Les millennials auraient-ils connu Budweiser sans l’ingéniosité des créatifs à l’origine de sa campagne culte «Wazaaaa» ? À l’heure où les publicitaires carburent aux KPI et au martèlement de messages lisses, rendons à César ce qui est à César : la viralité ne peut pas advenir sans créativité.
Galvaudé car utilisé à tout va, le mot viralité est loin de se limiter aux écarts de conduite qui, relayés d’une oreille à une autre, ont terni l’image de marques dont la notoriété ne faisait à priori aucune conteste. Du bad buzz de H&M, et la photo de l’enfant au sweat «The coolest monkey of the jungle», à celui de Burger King et son tweet polémique «Women belong in the kitchen», l’image de la viralité a longtemps été entachée par les contenus controversés.
On s’est parfois dit qu’un contenu viral était forcément polarisant : la polarité étant catalysatrice de fortes réactions émotionnelles en ligne, du commentaire indigné au partage engagé. Et puis, il y a eu le temps de la viralité dépassionnée : celle axée sur l’amplification média. Plutôt que d’enclencher positivement le facteur émotionnel des audiences, les marketeurs ont privilégié une approche fondée sur la répétition de messages génériques et l’orchestration méticuleuse de l’achat d’espace publicitaire, comme si le média pouvait à lui seul être source d’amplification.
Or, à trop se cantonner à ces deux visions, le risque est de mépriser l’un des fondamentaux de la viralité : la créativité. Les premiers exemples de campagnes virales l’ont montré. Sony, dans les années 1990, n’a ni attendu le sacre des KPI, ni celui de la polémique, pour faire de la PlayStation 1 la console préférée des amateurs de jeux vidéo, alors que Nintendo et Sega dominaient le marché. Si le géant japonais n’était pas sorti des sentiers battus, en créant le mystère autour de visuels surréalistes qui contrastaient avec les publicités conventionnelles de l’époque, il y a fort à parier que la viralité autour de la console ne serait pas advenue.
Briser les silos entre créativité et viralité
Évidemment, depuis les années 1990, les temps ont bien changé. La réalité numérique a bouleversé l’autorité des leaders d’opinion, du journaliste à la célébrité. La sursaturation des contenus en ligne pousse aujourd’hui les marques à investir davantage dans le media planning, avec pour but d’obtenir des résultats quantifiables et justifier leurs investissements. Si cette stratégie paye, dans la mesure où elle permet d’amplifier considérablement la portée des messages, elle gagnerait à être consolidée via la créativité, pour que ces messages restent durablement dans les esprits.
C’est d’ailleurs bien ce qui définit la publicité virale. N’est viral qu’un contenu si fort qu’il finit non seulement par se répandre avec contagion dans les esprits, mais aussi à y laisser une trace indélébile. Si le média peut prétendre répondre à la première exigence, seul un concept différenciant, imaginé avec l’intrépidité créative aujourd’hui oubliée de la publicité, est à même de répondre à la deuxième. Si la campagne «Live Young» d’Evian a autant perduré dans le temps, c’est bien parce qu’elle reposait sur un concept pertinemment décalé, aligné avec le désir des consommateurs de rester jeunes et dynamiques, quel que soit leur âge.
In fine, c’est bien le diptyque média et créativité qui semblerait triompher, dès lors qu’il est question de viralité. Dessein que peu, dans le monde des marketeurs, parviennent à atteindre, à l’heure où la prégnance d’une vision en silos règne. Les uns ne voient que sous le prisme créatif, les autres sous le prisme diffusion. Les premiers, bien qu’en possession d’un concept créatif avec une force de frappe inestimable, sous-exploitent le média. Or, la viralité n’est pas un élément imprévisible : elle se travaille grâce au média. De l’autre côté, les seconds sont obnubilés par une approche control freak, et minorent le volet créatif pour réaliser des économies d’échelle. Résultat ? Un contenu de marque si faible que même avec le meilleur dispositif média, il ne créera que de faibles résultats. L’heure est décidément à la viralité créative, et les marketeurs devraient y songer.