Dans le monde de l’enseignement supérieur aussi, on se pose des questions sur les IA génératives. Il faut dès maintenant dompter l’IA avant qu’il ne soit trop tard, pour les établissements mais surtout pour les étudiants.
Dirigeants de grandes écoles, sollicitez ChatGPT pour savoir si vos étudiants n’ont jamais utilisé d’IA générative : il vous rira au nez. Curieux par nature, les étudiants s’intéressent déjà à ces outils et les manipulent. Ils n’ont pas attendu vos conseils et encore moins votre aval. Et ils ont bien raison. Dans une récente étude menée auprès de nos étudiants, nous leur avons justement posé la question. La réponse a été sans appel : 92 % des sondés ont ainsi utilisé au moins une fois ces derniers mois une IA générative, dont près d’un tiers pour des raisons académiques.
De prime abord, c'est un cauchemar pour les acteurs de l’éducation, forcément échaudés par les risques de triche et de plagiat. Mais après réflexion, ce cauchemar est irrationnel. Antisèches et autres copier-coller n’ont pas attendu l’IA. Le véritable cauchemar serait finalement de se braquer plutôt que de développer une approche constructive.
Avancer avec l’IA dans le cadre de formations, c’est d’abord faire évoluer les modalités d'évaluation par rapport à elle et intégrer une prise en compte de cette dernière pour l'ensemble des cours. Il faut donc légiférer son utilisation de manière claire auprès des étudiants, les autoriser à utiliser ChatGPT ou Midjourney sous conditions. Sachant qu’une telle décision peut entraîner une légitime levée de boucliers de la part du corps enseignant, il convient en premier lieu de défendre et de diffuser une approche intelligente et proactive de l'utilisation de l'IA, une approche basée sur une relation de confiance entre l’étudiant et l’école.
Si l’IA est autorisée, l’étudiant doit en revanche absolument préciser des informations complémentaires : à quelle IA a-t-il eu recours ? Avec quelle méthodologie ? Était-ce par simple volonté de correction ou pour pousser plus loin sa réflexion ? Ces questions – non exhaustives – définissent la démarche intellectuelle et la réelle intention de l’étudiant.
Les réponses apportées constituent alors des éléments à inclure dans les annexes des rendus ou des présentations, comme c’est le cas pour l'ensemble des études ou des données utilisées. Prenons le cas d’un étudiant qui utilise une IA sans fournir son prompt dans les annexes. Le corps pédagogique sollicite alors plus d'informations et, le cas échéant, lui attribue un malus. Responsabiliser l’étudiant sans le former à une utilisation intelligente ne sert en effet à rien.
Créer des (par)cours favorisant l’apprentissage de l’IA
Ne pas «criminaliser» l’IA dans l’école en la légiférant doit également s’accompagner de cours permettant aux étudiants de se l’approprier. Les résultats de notre étude soulignent d’ailleurs cette nécessité : 60% des étudiants interrogés, bien que majoritairement utilisateurs, avouent ne pas très bien connaître les technologies à l’œuvre et 75% souhaitent en apprendre davantage.
Durant le premier cycle, pour les cours de création graphique portant sur l'apprentissage de la suite Adobe, il a été ainsi décidé d’intégrer l’étude des prompts grâce à des séances dédiées à Firefly, l’IA de la licence, pour des utilisations opérationnelles – remplacer un fond, détourer un personnage, compléter une partie manquante… L’idée principale : pousser les étudiants à réellement réfléchir à la partie graphique et à créer des affiches par eux-mêmes avant de les inciter à travailler un peu plus en profondeur avec l’IA.
Autre exemple avec l’un de nos cours orientés soft skills pour l’ensemble de nos MBA. Baptisé «IA générative & prompt engineering», il aborde aussi bien l’aspect graphique qu’opérationnel en se concentrant sur l'utilisation d'un prompt et la logique amenant à son élaboration. Ce ne sont que deux exemples d’acculturation à l’IA générative. D’autres restent à imaginer en tenant naturellement compte des filières et des métiers.
Trouver les bons enseignants malgré la concurrence
Mettre en place de tels cursus n’est pas chose aisée. En effet, difficile pour une école de recruter des ingénieurs en prompt engineering. Forcément rares, ces profils de «rock stars» de la tech sont sollicités par de grandes entreprises. Impossible alors pour la majorité des écoles de s’aligner financièrement parlant.
Une alternative consiste à faire appel à d’autres professionnels maîtrisant tout de même l’art du prompt au quotidien, notamment au sein d'agences de marketing digital. Ces intervenants sont capables de justifier auprès de leurs clients l’utilisation de l’IA. Une qualité essentielle quand trop de personnes pensent encore que l’IA permet de tout faire rapidement et simplement.
Si une agence utilise l’IA, elle le fait pour gagner du temps sur certains points et se concentrer ainsi sur d'autres : c’est une nouvelle logique et on a besoin de ces professionnels pour la transmettre.
La lumière pour chasser l’obscurité
Toutes ces étapes auront notamment pour intérêt de lutter activement contre ce mal insidieux se propageant chez les nouvelles générations : la crainte (confirmée par un quart des sondés de notre étude) d’un remplacement par cette technologie dans le monde professionnel. Certes, des postes vont se transformer et de nouveaux vont se créer, mais, ChatGPT ou pas, les métiers évoluent toujours vers de plus en plus d’agilité.
L’IA ne va pas détruire tout notre écosystème, pas plus qu'internet ou les réseaux sociaux. Il va cependant falloir savoir s’adapter. Cela tombe bien, c’est une spécificité du marketing et de la communication, deux disciplines intrinsèquement liées aux nouvelles technologies, qui ont dû imaginer la publicité digitale, se familiariser avec l’émergence des influenceurs... L'intelligence artificielle doit donc être un levier d'efficacité, de performance, de défi. En définitive, elle agira davantage comme un allié plutôt qu’un concurrent.