Les quotas sont une première étape nécessaire mais ils doivent s’accompagner d’un changement profond du modèle actuel de l’entreprise.
Aujourd’hui, les quotas constituent le meilleur moyen pour les femmes d’intégrer des postes à haut niveau. Cela en dit long sur la situation actuelle. Si les quotas sont nécessaires, ils demeurent insuffisants, à l’instar d’un pansement qui servirait à dissimuler une plaie profonde.
Selon une étude de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur l'Indice des normes sociales de genre (GSNI) en date de juin 2023, les préjugés sexistes à l’encontre des femmes n’ont montré aucun signe d’évolution au cours des dix dernières années, évoquant «une décennie de stagnation». 46% des personnes interrogées pensent que les hommes sont plus légitimes que les femmes à occuper un emploi. En l’état, il faudra attendre 131 ans pour atteindre la parité et 169 ans pour obtenir l’égalité économique entre les femmes et les hommes, selon le 17e Global Gender Gap Report du Forum économique mondial.
Pour cesser d’entretenir ce cercle pernicieux et identifier les biais empêchant une véritable parité, il faut penser la question de la place des femmes de façon globale, en prenant en compte non seulement le monde de l’entreprise, mais aussi la société et ses modes de pensées.
La loi Copé-Zimmermann du 20 janvier 2011 fixe un seuil minimal de 40% de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance. En 2021, avec 46% de femmes dans les conseils d’administration, l’objectif est atteint. La France se classe même première à l’échelle mondiale en matière de féminisation des conseils d’administration des entreprises cotées en Bourse. Néanmoins, ces bons résultats doivent être nuancés.
Zones d’ombre
Au-delà des conseils d’administration, où en sommes-nous en termes de parité, au sommet de la hiérarchie, dans les Comex et Codir ? La loi Rixain du 24 décembre 2021 vient, en partie, pallier ce vide. D’ici à 2030, dans les postes de cadres et dans les instances dirigeantes devront figurer, a minima, 40% de femmes. De fait, il y a nécessité : «en 2020, seul un quart des entreprises avaient une quasi-parité dans leurs 10 plus grosses rémunérations», peut-on lire sur le site Vie Publique.
Là encore, des zones d’ombre subsistent et doivent être prises en considération pour espérer atteindre une véritable parité. Comment les femmes s’intègrent-elles dans ces postes de direction ? Doivent-elles obligatoirement se réapproprier les codes masculins, au risque de perdre leur authenticité en s’aliénant ? En somme, le réel enjeu, au-delà des quotas, est celui de la refonte de la culture d’entreprise pour permettre aux femmes de non seulement exister dans les Comex et Codir mais surtout, d’exister en tant que femmes dirigeantes, c’est-à-dire en ayant l’espace pour s’affirmer en tant que telles, selon leur propre vision.
Si ces dernières années portent en elles l’espoir d’un progrès social dans la manière de penser la parité, le chemin est encore long. Si tôt que l’on gratte le vernis, la réalité est moins reluisante, les défis nombreux. Le monde du travail s’est construit à travers le prisme masculin, aboutissant à un boy’s club. Alors, comment intégrer les femmes dans un monde qui s’est initialement construit sans elles ? La manière dont les femmes vont être sélectionnées puis vont occuper des postes de direction sont deux points clefs pour évaluer la pertinence réelle des quotas.
Effet caméléon
À la manière de ce que d’aucuns nomment «l’effet caméléon», il est probable que les hommes recrutent des femmes qui leur ressemblent, c’est-à-dire des femmes qui reprennent leurs codes et vision. En ce cas, bien que les quotas permettraient une féminisation des postes à haute responsabilité, la culture d’entreprise resterait inchangée. Via le phénomène d’aliénation, le statu quo, néfaste, demeurerait.
La clef de voûte d’un réel progrès repose donc sur le fait de laisser l’espace aux femmes dirigeantes pour prendre les rênes selon leurs propres modes de pensées, d’être et d’agir. Par ailleurs, si la parité est une nécessité morale, elle est en plus un facteur de performance. D’après l’étude Women Matter du cabinet de conseil McKinsey, les entreprises avec le pourcentage de femmes le plus élevé au sein de leur comité exécutif génèrent une prime de 55% dans les résultats d’exploitation.
Incarner leur leadership
Pourtant, régulièrement, je constate que les femmes se minimisent et atténuent leur réussite : elles s’auto-censurent, se justifient et s’associent peu aux bons résultats qu’elles obtiennent, au profit des équipes – contrairement aux hommes dirigeants, largement accompagnés pour gérer leur communication. Cela a un impact négatif sur la manière dont l’opinion publique envisage le leadership des femmes : 43% des personnes sondées par l’ONU estiment que les hommes sont meilleurs leaders d’entreprise que les femmes (chiffre issu du rapport de l’ONU de juin 2023).
Peu de femmes dirigeantes s’octroient un accompagnement pour incarner leur leadership, pensant que le charisme est une qualité innée. Au contraire, cela s’apprend et se maîtrise ; l’image renvoyée est capitale, c’est le vecteur par lequel passe le propos : si le contenu est très pertinent mais que le contenant n’est pas convaincant, il n’est pas entendu.
Ainsi, les quotas sont une première étape nécessaire mais ils sont insuffisants. Ils doivent s’accompagner d’un changement profond du modèle actuel de l’entreprise, du regard des hommes, mais aussi du regard des femmes sur les hommes et sur elles-mêmes. Pour reprendre les mots de Pedro Conceição, directeur en charge du Rapport sur le développement humain au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), «l'absence de progrès en matière de normes sociales liées au genre s'inscrit dans le contexte d'une crise du développement humain».