Normalienne, directrice de Point de vue et écrivaine, Adélaïde de Clermont-Tonnerre snobe les clichés pour mieux suivre sa voie. En ex-experte en finances, elle gère son journal septuagénaire comme s’il s’agissait d’une start-up.
Sa silhouette rectiligne, un rien martiale, drapée d’un sobre costume noir saute aux yeux, autant que sa blondeur enfantine. Le tout porté par un sourire lumineux comme les locaux de Point de vue, près de l’École Militaire. Adélaïde de Clermont-Tonnerre dirige le magazine des familles royales et du gotha, la référence des dynasties bien nées du 7e arrondissement voisin et du 16e. Mais pas que… C’est aussi une revue qui fait rêver un lectorat plus populaire, à 75 % féminin, en mal de romances et de drames familiaux, sur fond d’armoiries.
Créé par Marcel Bleustein-Blanchet en 1945, l’hebdomadaire compte 76 000 abonnés pour une diffusion France payée de 126 283 exemplaires en 2020-2021. « J’aime créer et, du haut de ses 76 ans, Point de vue est désormais un vieux magazine en mode start-up », assure Adélaïde de Clermont-Tonnerre. La dirigeante vient de lui adjoindre une plateforme de VOD. Son partenaire, Alchimie, lui fournit la solution technique. Ensemble, ils puisent dans les catalogues de la BBC et de toutes les télés européennes des programmes inédits en France sur les familles royales, l’histoire, le patrimoine ou l’art de vivre. Ils ont dégoté une série sur la Russie des tsars, La Comtesse rouge, des docs sur le Prince Charles, Diana, Lauren Bacall et Humphrey Bogart, ou Karl Lagerfeld et Yves Saint Laurent. Elle croit à ce créneau de l’info culturelle, durable et positive. À l’image du journal.
Franc-tireuse
« Comme j’ai un nom à rallonge, le dernier endroit où je voulais aller, c’était à Point de vue », se souvient-elle. Les bonnes fées qui se sont penchées sur son berceau en ont probablement décidé autrement. Née à Neuilly-sur-Seine, fille d’une artiste et d’un ex-dirigeant d’Havas, l’ancienne élève de Paul Claudel-d’Hulst, collège privé pour jeunes filles convenables situé près de l’hôtel Matignon, n’a pas toujours été sage comme une image de papier glacé. « J’étais une franc-tireuse sous mes airs bien rangés », confesse-t-elle. Sa prof de philo, Brigitte Grangaud, distingue la bonne plume et lui conseille d’intégrer une classe préparatoire littéraire : « Je n’avais jamais entendu parler des hypokhâgnes ». Elle y travaille comme quatre, au grand dam de ses parents qui aimeraient la voir profiter davantage de la vie. Elle intègre l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud avec comme spécialité l’histoire-géo avant de choisir les lettres. Mais la jeune femme, à la rigueur militaire, ne s’arrête pas là. « J’ai voulu équilibrer mon CV avec une formation plus pragmatique à Sciences Po ». Elle travaille dans les fusions acquisitions pour le cabinet d’audit anglo-saxon Price Waterhouse Cooper avant de s’envoler pour Mexico, au service de la Société Générale. « C’était passionnant et j’y ai appris plein de choses qui me servent encore aujourd’hui ». Elle profite de son séjour à l’étranger pour proposer des reportages à Madame Figaro.
Prestance
Lorsqu'elle rentre en France, le journalisme la titille. Mais elle s’interdit Point de vue que sa tante, Laure Boulay de la Meurthe, possède et dirige. Marie-Claire Pauwels, en charge de Madame Figaro, la fait travailler… jusqu’à ce qu’elle réalise la première interview de Delphine Arnault. Colombe Pringle, qui a succédé à sa tante, la débauche alors pour couvrir l’actualité culturelle à Point de Vue. Elle n’a plus quitté le titre dont elle a pris la tête et qu’elle a racheté avec le soutien de Stéphane Bern, Charles Beigbeder et François Pinault, via sa filiale Artémis (Le Point) en 2018. « Je veux bien vous acheter car ma femme vous lit », a justifié ce dernier.
Sa finesse et sa prestance n’ont pas échappé à la télé et la radio. La productrice Rachel Kahn l’a embauchée comme chroniqueuse dans l’émission culturelle de France 2 Semaine critique !, animée par Franz-Olivier Giesbert. « Je la trouvais merveilleuse et courageuse de s’investir dans ce journal, moins coté que Libération ou L’Obs. Je l’avais entendue brosser des portraits d’invités dans Le Journal inattendu de Marie Drucker sur RTL. C’est une femme forte, en acier trempé, hyperdiplômée, brillantissime et excellente romancière », se souvient-il. A son actif aussi trois romans, Fourrure en 2010, Le Dernier des nôtres en 2016 et Les Jours heureux au printemps dernier. La directrice de Point de Vue, qui se déclare centriste, décline le maximum d’invitations le soir pour se coucher à 23 heures. Et avant que ses deux petits garçons de 6 ans ne se réveillent, entre 3 h 30 à 6 h 30 du matin, elle plonge sa plume dans de flamboyantes aventures. « L’écriture est l’espace de liberté absolu que j’ai trouvé et ça m’amuse terriblement ». Une activité qu’elle mène tambour battant.
Parcours
1976. Naissance à Neuilly-sur-Seine.
1998. Intègre l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud.
2010. Chroniqueuse dans Semaine critique sur France 2.
2013. Devient directrice de la rédaction de Point de Vue.
2018. Rachat de l’hebdomadaire à Altice.
2021. Fait paraître son 3e roman Les Jours heureux et lance la plateforme de VOD de Point de Vue.