Pour l'élection présidentielle, on trouve une marque dominante (Macron), un rebranding (Le Pen), une stratégie d'outsider (Mélenchon), un produit de rupture (Zemmour), une marque historique ayant raté son relooking (Pécresse), un positionnement peu clair (Jadot), et un coup marketing (Roussel).
« Tout peut encore se produire…» a lâché Denis Pingaud, président de Balises, le 23 mars, en constatant le resserrement des intentions de vote au deuxième tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Depuis, jamais l’écart n’a été aussi faible. 53 % pour le président-candidat contre 47 % pour la candidate selon OpinionWay, le 4 avril. Harris Interactive allant même jusqu’à la créditer de 48,5% des intentions de vote dans cette perspective. « Elle est le personnage préféré du peuple de droite et d’extrême droite avec 64 % d’opinions favorables, explique Gaël Sliman, président d’Odoxa. Elle est numéro 3 en termes d’adhésion avec 34%, mais elle est passée à la septième place en termes de rejet avec 46%. »
Cette métamorphose ne s’est pas produite sans un patient travail de communication et d’habileté politique qui, aux yeux des experts interrogés, fait de la candidate une des meilleures communicantes de cette campagne, avec Jean-Luc Mélenchon, de la France insoumise. Sans surprise, ce sont aussi les aspirants à l’élection suprême qui disposent de la meilleure dynamique à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle. Décryptage.
Emmanuel Macron, le président à peine candidat
Avec Éric Zemmour, qui a contribué à dédiaboliser la candidate du Rassemblement national, Emmanuel Macron est en partie responsable de cette situation. « Il a fait le choix de ne pas faire de cette élection un enjeu majeur car il a compris qu’on ne se prononçait pas pour mais contre et il a choisi de jouer la carte Marine Le Pen », souligne Philippe Moreau-Chevrolet, président MCBG Conseil. Une stratégie inspirée de Mitterrand et qui lui permet, selon cet expert, d’éviter de faire campagne : « Il n’a ni promesse ni proposition en dehors de la stabilité », estime-t-il. Le fait que Macron refuse de débattre ou de participer à l’émission Élysée 2022 avec cinq autres candidats, mardi 5 avril sur France 2, a accrédité cette idée. Au risque de réactiver l’image d’un président arrogant qui n’hésite pas à être clivant. D'autant que l'affaire McKinsey, et le milliard consacré par l'Etat aux cabinets de conseil, vient conforter l'image d'un président des riches, défenseur des intérêts privés. « Cinq ans de plus, pour quoi faire, la question reste, relève Bernard Sananès, président d’Elabe, le président a mieux réussi son entrée en campagne, au début de la guerre en Ukraine, que le candidat, qui a davantage déçu. Il a une difficulté à se projeter. Il habitait la campagne en 2017, ce n’est pas le cas en 2022, on a l’impression que l’envie n’est pas la même. »
Pourtant, le président candidat fait le job en misant sur des médias très grand public (TF1) ou touchant les jeunes (Brut). Mais pour les meetings, comme celui de La Défense Arena, le 3 avril, c’est trop peu. Quant à la conférence de presse du 17 mars, destinée à présenter le projet du candidat et dont il est difficile de dire ce qu’il en ressort, elle était trop longue. « Sa vision d’avenir, il n’a peut-être pas le temps de s’en occuper, mais on ne le voit pas dans l’arène et il n’y a personne pour porter sa parole », résume Valérie Lecasble, directrice générale de Hill + Knowlton Strategies. Sur la communication pure, même si le président a fait mine de mettre le costume du candidat en retirant de ses photos de campagne sa rosette de la Légion d’honneur (à la différence de Mitterrand et Chirac), on n’est pas dans la haute couture. On est passé du slogan « Avec vous » à « Nous tous » sans explication, et les photos de Soazig de La Moissonnière – comme le cliché avec le sweet de commando à la Zelensky – manquent de subtilité : « On voit trop ce qu’il veut nous dire », résume Gaspard Gantzer, fondateur de Gantzer Agency. « Il va certainement gagner de très peu, poursuit l’ancien conseiller de François Hollande, mais son mandat apparaît très faible sur le fond car il n’a pas été débattu : il a tout misé sur sa présidentialité ». Gaël Sliman rappelle qu’il conserve 46 % de popularité, contre 30 % pour Nicolas Sarkozy lors de sa deuxième candidature. Mais, pour lui, l’annonce d’une retraite à 65 ans risque de lui rester collée à la peau : « On ne peut pas se contenter de ne dire que cela sans faire campagne ».
Marine Le Pen, la colère tranquille
L’expression est de Bernard Sananès : « Pour une partie de l’opinion, elle incarne la colère tranquille », dit-il. Toute son intelligence tactique est donc d’avoir fait le pari d’une campagne de second tour en s’attachant à baisser le niveau de rejet pour éviter un « tout sauf Le Pen ». D’où une attitude plus apaisée sur les plateaux, le refus de la surenchère face à Zemmour et un positionnement sur le pouvoir d’achat avec la sécurité et l’immigration en seconde main.
« Je suis impressionné par son naturel et sa décontraction, poursuit Gaspard Gantzer, on la sent libérée dans le fond et dans la forme. Elle n’a même plus à parler de son programme d’extrême droite, elle se concentre sur son discours à l’adresse des classes populaires. » Les journalistes ont aussi évolué en paraissant d’une plus grande bonhommie à son égard. « Elle a fait une campagne très habile, souscrit Valérie Lecasble, elle a tenu bon pour ne pas emboiter le pas à Zemmour, a parlé vie quotidienne et pouvoir d’achat, et l’idée des "Français d’abord" est dite en passant sans agressivité ni violence. »
Pouvoir d’achat et... pouvoir des chats : « C’est le premier mot associé à Marine Le Pen quand on tape son nom sur Google dans les Hauts-de-France », note Philippe Moreau-Chevrolet. « Elle sort du cadre de la candidate d’extrême droite. Elle parle de ses chats, de son mec qui l’a quittée et de sa coloc », relevait Denis Pingaud. Gaël Sliman constate qu’elle a aussi su se victimiser quand Nicolas Bay ou Marion Maréchal l’ont abandonnée pour son rival de Reconquête : « C’est le syndrome Chirac-Balladur, même le départ de sa nièce ne l’a pas affectée », constate-t-il.
Jusqu’au nom de Le Pen a été gommé sur ses affiches pour laisser place à un « Marine présidente » ou à « femme d’État ». « Marine est devenue une marque grand public et non plus de niche, illustre Philippe Moreau-Chevrolet. Elle apparaît presque sympathique ». Reste à voir si elle saura garder cette maîtrise face à Macron en cas de duel au second tour : « Le débat sera un test, mais elle ne peut que mieux faire », estime Bernard Sananès.
Jean-Luc Mélenchon, l’outsider d’expérience
Multidiffusé par hologramme le 5 avril dans onze villes de France depuis son dernier grand meeting de campagne, à Lille, Jean-Luc Mélenchon n’a rien perdu de son image de candidat « tech », dissuadant ceux qui chercheraient à le ringardiser. Il a aussi pour lui des innovations de marketing olfactif ou immersif et des relais efficaces sur les réseaux sociaux. À l’image de son spot de campagne, où il n’apparaît quasiment pas, le candidat de la France Insoumise vise le rassemblement par une certaine radicalité sociale et écologique.
« C’est un collectif 100% soudé, car chez lui personne ne tue le père, analyse Philippe Moreau-Chevrolet, il se pose en champion du peuple dans une fonction tribunicienne. Il a essayé de gommer les aspects irritants lors de sa campagne – comme sa colère lors de la perquisition de son parti - et il s’est recréé une image en faisant du judo avec Zemmour [sur C8]. Mais il a surjoué le côté insoumis, il a une promesse défensive et pas tellement positive, et il lui manque une stature présidentielle. »
Pour Gaspard Gantzer, toutefois, « c’est lui qui a la meilleure communication ». Explication : le côté irruptif ou le soupçon d’autoritarisme s’estompent devant le phrasé simple de la langue. Il s’impose par son expérience et sa maîtrise des sujets. « Et c’est le seul qui n’est pas ridicule sur TikTok », ajoute-t-il. C’est aussi un candidat qui a une très forte empreinte digitale grâce à son blog sur YouTube. « Il s’est posé en radicalité, ce qui lui a permis d’imprimer, complète Valérie Lecasble, et depuis qu’il est loin devant les autres, il cherche à apaiser. Il a bien gommé son côté populiste, il fait moins peur mais c’est récent… »
Il semble aussi s’être bien sorti de la séquence sur l’Ukraine alors qu’il voyait encore en l’Otan l’agresseur, avant l’invasion. « Il a réussi un tournant sur la Russie et à occuper le territoire des écologistes », confirme Bernard Sananès, « mais comme il n’a pas fait le rassemblement à gauche, il lui manquera quelques points… » À moins que l’idée de vote « utile » ne l’emporte.
Valérie Pécresse, le rendez-vous manqué
C’était, sur le papier, la meilleure affiche contre Macron : 51 % vs 49 % au second tour, selon les projections d’Odoxa. Au lendemain de la primaire de LR, la dynamique est bien là : Valérie Pécresse passe de 9 % à 19-20 %. Elle bénéficie en plus du soutien de tous ses concurrents (Bertrand, Ciotti, Wauquiez…). « C’est rarissime mais un meeting raté [au Zenith de Paris] a complètement décrédibilisé sa candidature, pointe Gaël Sliman. Elle avait pourtant tous les atouts en mains – chiraquienne, ancienne ministre, présidente de la région Île-de-France, au barycentre de la droite. »
Pour lui, elle aurait dû être une Merkel française, en assumant son absence de charisme au profit de son sérieux et de sa détermination, mais elle a « voulu jouer Sarkozy à Villepinte ». « Elle a sans doute écouté des conseils en communication politique comme quand Balladur était allé dans le RER ou Juppé au beer-pong : elle a donné le sentiment qu’elle n’était pas elle-même », ajoute-t-il. Une ambiguïté autour du « grand remplacement » a ensuite engagé la mécanique infernale. « Cela exprime toute la difficulté de sa campagne et de la droite à trouver un positionnement différenciant entre Le Pen et son discours sur l’immigration, et Macron et son discours sur l’économie : on n’est pas d’accord, mais… », relève Bernard Sananès.
Éric Zemmour, le météore satellisé
Stratégie à la Trump passant par la répétition ad nauseam de l’expression « Grand remplacement », imposition de ses thèmes pendant deux mois autour de l’immigration et de la sécurité… Éric Zemmour a opéré une remarquable percée à l’automne à l’annonce de sa candidature. « La prime à la nouveauté, résume Philippe Moreau-Chevrolet, avec des techniques d’astro-turfing et d’occupation de l’espace digital qui ont donné l’illusion d’une très forte dynamique perçue comme une alternative à Le Pen. Mais il a été si loin dans la posture agressive – y compris sur la scolarisation des handicapés – qu’il a donné le sentiment d’être un populiste intellectuel incapable de parler d’autre chose que de l’immigration. Il lui aurait fallu un deuxième moteur. »
Gaspard Gantzer voit aussi une campagne redoutablement efficace dans sa phase de lancement grâce à sa compréhension des codes numériques et son armée de « twittos du chaos ». Mais il se révèle vite peu éloquent sur le pouvoir d’achat et sort plus difficilement du soupçon de proximité avec Poutine en raison de ses déclarations. « Et en disant que tout le monde savait bien que Le Pen ne pouvait pas gagner, il subit un effet boomerang car il peut y avoir un vote utile dans son électorat », soutient Bernard Sananès.
Yannick Jadot, le casting n’a pas pris
Le candidat EELV, qui a adopté la cravate pour se présidentialiser, est aussi une rencontre manquée. « Le thème a réussi son rendez-vous avec la société, pas avec l’électeur », dit Sananès. L’idée de sortir de l’écologie politique à travers Yannick Jadot s’est finalement révélé un piège car la branche radicale des écologistes, Sandrine Rousseau en tête, a nagé à contre-courant du candidat. Pour Philippe Moreau-Chevrolet, « les écologistes ont un logiciel qui n’est pas compatible avec le suffrage présidentiel ». Tout en argumentant, Jadot n’a pas su convaincre. « Il est brillant, il connaît bien ses sujets, il aurait pu être le "en même temps" de l’écologie, mais il a été entravé pas sa branche radicale qui l’a amené à prendre position par exemple sur la chasse et la pêche », souligne Valérie Lecasble.
Fabien Roussel, la révélation
Physique de playboy à la Franck Dubosc, le candidat des « Jours heureux » est sans conteste la révélation des derniers mois de la campagne. Reprenant une tradition ancienne du PCF, il a su incarner une aspiration au bonheur à travers son appréciation des vins et des fromages français. « Une dimension identitaire, patriote, exprimée à travers la nourriture, qui colle avec la promesse de bonheur et de temps libre de la gauche, explique le président de MCBG Conseil, mais on est davantage dans le coup marketing que dans la campagne d’image qui permet d’avoir une marque dominante ». La répétition de ses punchlines – le pistolet à essence qui braque le consommateur par exemple– laisse penser qu’il a « surjoué le côté stand-up », dixit Bernard Sananès. Les débuts sont donc prometteurs mais sentent encore un peu la comédie.
Les petits candidats : des anciens et une nouvelle
Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Nicolas Dupont-Aignan et Jean Lassalle, ont pour point commun d’avoir déjà été candidats à la Présidentielle de 2017. Entre « le camp des travailleurs » d’Arthaud et « l’urgence anticapitaliste » de Poutou (qui s’est fait piquer « nos vies valent plus que leur profit » par Macron lors de son discours de La Défense), il y a sans doute cinquante nuances de gauchisme. Mais l’impression de déjà-vu domine. Idem pour Nicolas Dupont-Aignan qui, comme dit Valérie Lecasble, « ne lâche pas le morceau et apparaît de plus en plus radical dans son expression ». Quant à Jean Lassalle, il reste la star iconoclaste des verts pâturages. Sa « campagne de merde » a bien résumé le sentiment dominant aux yeux de certains. Il peut engranger les manifestations de sympathie – un sondage Ifop le place même en tête des candidats avec lesquels les Français voudraient partager un barbecue. Mais pour les voix ?
Nouvelle à la présidentielle mais bien connue des Parisiens, Anne Hidalgo devra démontrer qu’elle est capable de faire mieux que ces petits candidats. Passant pour la maire de Paris et loin de faire l’unanimité chez les Franciliens, la candidate n’a pas réussi à faire partager « intimement les raisons de sa candidature », comme dit Valérie Lecasble. Elle paye, en outre, la déliquescence du parti socialiste qui ressemble de plus en plus à une survivance du passé.