Mediapart voit son enquête portée à l'écran dans un documentaire qui éclaire aussi les contre-offensives médiatiques du clan Sarkozy.
« Les Français sont bien en peine de résumer ce qu'on me reproche. Personne n'y comprend rien ». C'est par cette citation de Nicolas Sarkozy, dans Le Figaro Magazine du 16 août 2023, que démarre le documentaire de Yannick Kergoat produit par Mediapart et financé par un crowdfunding de 500.000 euros. Un film d'une heure quarante, qui sortira le 8 janvier en salles (voir un aperçu ici), pour comprendre dans le détail cette « affaire d'Etat » révélée par Fabrice Arfi et Karl Laske de Mediapart. Et notamment comment, et pourquoi, elle a pu appraître incompréhensible à bien des Francais.
L'affaire d'un financement occulte présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy par Mouammar Kadhafi, pour l'élection présidentielle de 2007, a été révélée par Mediapart en juillet 2011. La justice ouvre une information judiciaire en avril 2013 et deux juges d'instruction se succéderont, Serge Tournaire et Aude Burési. Le procureur et l'office central de lutte contre la corruption enquêtent et, au bout de dix ans d'instruction, l'ancien président a été mis en examen pour quatre délits présumés. Sur le banc des prévenus, on trouve aussi trois anciens ministres de Sarkozy, Claude Guéant, Brice Hortefeux et Eric Woerth, ainsi que Thierry Gaubert, l'ancien dirigeant lybien Béchir Saleh, un cadre d'Airbus Edouard Ullmo et surtout les intermédiaires Ziad Takieddine et Alexandre Djouri.
« Pacte de corruption »
Selon Fabrice Arfi, que Stratégies avait rencontré l'année dernière, le dossier d'ordonnance de renvoi de 586 pages ne repose pas sur les dires ou les rétractations de Ziad Takieddine, mis en scène notamment dans Paris Match ou le JDD, mais sur des charges suffisament nombreuses pour déclencher un procès qui s'est ouvert lundi 6 janvier. « Ce sera le plus grand et le plus grave procès de l'histoire politique et pénale française, jamais un ancien président et trois anciens ministres n'ont été jugés pour avoir été corrompus par une dictature étrangère », nous déclarait le journaliste le 22 janvier 2024.
Après avoir été poursuivi, Mediapart a gagné l'ensemble de ses procès. Le 28 avril 2012, le journal en ligne a révélé que le 10 décembre 2006, une promesse de financement des autorités lybiennes avait été faite à concurrence de 50 millions de dollars. Il s'appuyait sur un document qui avait été attaqué par Nicolas Sarkozy pour « faux et usage de faux ». Mediapart a gagné en appel et devant la Cour de cassation. Fabrice Arfi garde toujours le chèque, non encaissé, de plusieurs centaines euros au sein de la rédaction. Selon lui, des flux et des contreparties pouvant étayer l'accusation d'un « pacte de corruption » ont été selon lui retrouvés. A la justice désormais de se prononcer.
Le journaliste d'investigation constate que l'affaire a jusqu'ici surtout existé médiatiquement par les dénégations de Nicolas Sarkozy à travers des interviews sur BFMTV ou TF1. « On a déroulé le tapis rouge à Nicolas Sarkozy, qui a tout à fait le droit de se défendre, explique-t-il, mais je ne comprends pas qu'on ne fasse pas parade aux mensonges qui sont les siens. On préfère la force d'un démenti à la brutalité des faits. En dix ans d'instruction judiciaire, il n'y a pas eu une couverture d'un newsmag sur l'affaire lybienne. La même histoire aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne aurait été autrement médiatisée. Cela m'attriste et me met en colère vis-a-vis de ma profession ».
Le journaliste met en cause la « flemme journalistique » ainsi que « la facilité à donner la parole à Nicolas Sarkozy et de céder à sa puissance de communication ». Les juges enquêtent aussi sur la contre-offensive menée notamment autour de la rétractation de Ziad Takieddine, via Mimi Marchand, patronne de l'agence Bestimages, mise en examen dans cette affaire, avec le concours notamment des journaux du groupe Lagardère, dont Nicolas Sarkozy est administrateur, à savoir le Journal du Dimanche et Paris Match.