Gilles Bouleau, journaliste et présentateur du JT de 20 heures de TF1 revient sur les grandes actualités de l'année 2024.

Les 50 ans de TF1, qui seront fêtés lors d’une émission spéciale fin janvier 2025.

Cet anniversaire a une résonance personnelle pour moi. J’ai eu la télévision assez tard, vers 10-12 ans. Mes premiers émerveillements, ma première fenêtre ouverte sur le monde, depuis ma banlieue, c’était TF1. C’était Bernard Golay dans La Une est à vous, c’était Roger Gicquel, Au Théâtre ce soir, Starsky et Hutch… Cela fait partie de mon paysage mental. En cours de récré avec les copains, on parlait de ce qu’on avait vu la veille sur TF1.

Des décennies plus tard, avec Isabelle Ithurburu, ouvrir cet album nous a fait tout drôle. C’était formidable. Sont remontés mille souvenirs. Il m’est revenu à l’esprit à quel point collectivement on avait changé, vu l’esprit de « déconnade » d’alors dans les jeux (Lagaf’, Patrick Sébastien…), l’ampleur des émissions de variétés comme les Carpentier… Aujourd’hui, des spectateurs de 10 ou 80 ans verront cela avec des yeux différents et se diront : TF1 était un miroir de nous-mêmes, et c’est nous.

Les images les plus marquantes de Paris 2024.

J’ai été hypnotisé par la victoire de Cassandre Beaugrand en triathlon – discipline à laquelle j’essaie péniblement de m’atteler. Elle avait beaucoup échoué, elle était très forte, au-dessus du lot, et elle avait un combat mental à gagner contre elle-même : elle l’a fait. Et quelque temps plus tard, le 14 septembre, lors d’une émission spéciale sur le défilé des athlètes sur les Champs-Élysées – toujours avec Isabelle Ithurburu –, j’ai pu, privilège insigne pour un journaliste, lui poser des questions.

L’élection et la communication de Donald Trump.

Ayant vécu et travaillé longtemps aux États-Unis, pendant sept ans, j’essaie de comprendre, sans œillères. Ce que Trump a parfaitement réussi, c’est que chacune de ses interventions était distrayante. Cet adjectif n’a a priori rien à faire dans le champ de la politique, mais là, c’était comme une campagne de pub. Chacune de ses saillies, chaque gros mot, grossièreté, exagération, mensonge… était distrayant. Il a totalement transgressé les règles élémentaires de la politique. C’est une campagne marketing. C’est du spectacle. Et ce qui peut choquer, terrifier, son rapport éloigné à la vérité factuelle notamment, qu’importe, c’est le monde d’hier…

Élections européennes et législatives, dissolution de l’Assemblée nationale, absence de majorité gouvernementale… La séquence politique de ces derniers mois, entre rebondissements et incertitudes.

En tant que citoyen, je regarde cette séquence de façon parfois un peu désespérée. Il y a quelques jours a disparu mon prof d’histoire à Sciences Po, le meilleur spécialiste de la IVe République, Jean-Pierre Rioux, qui m’a beaucoup marqué. Il disait de cette époque, non que c’était des gens médiocres, mais qu’elle a été marquée par le naufrage de l’intelligence.

Ce jeu, pas toujours d’un niveau élevé, depuis quelques mois, fait qu’on risque un divorce, une déconnexion entre la France réelle et le théâtre politique. Le risque est d’arriver dans quelque temps à une situation à l’italienne, où les gens se réunissent et regardent des émissions politiques comme ils regarderaient un programme relevant plus du spectacle. Et ils font leur vie, se débrouillent seuls. Et cela, c’est un drame. On a besoin de la politique, des hommes et des femmes politiques, d’action, de réformes. Ce qui se passe depuis quelques mois ne donne pas le meilleur visage de la politique.

2024, année la plus chaude jamais observée sur le plan climatique.

Cela nous oblige, nous journalistes, dans notre travail quotidien, à alerter les téléspectateurs. Il ne se passe pas un journal de 20 heures sans un sujet estampillé « Notre planète ». On n’est pas là pour donner des leçons mais pour alerter. Je suis fier qu'on ait diffusé, il y a plusieurs mois, l’incroyable reportage de Yani Khezzar remontant aux origines du réchauffement climatique. On m’a parlé de ce sujet pendant des mois. On aurait souhaité qu’il soit montré aux écoliers, aux sixièmes. En sept minutes, on comprenait. C’était la 3D immersive au service de la pédagogie pour tous.

Les difficultés à couvrir le conflit à Gaza pour les médias internationaux.

Nous sommes face à une guerre que nous ne pouvons pratiquement pas filmer nous-mêmes. C’est très inhabituel. À Gaza, la guerre est comme sous cloche. Les journalistes n’ont pas accès, on a fait quelques reportages avec l’armée israélienne qui, par ailleurs, nous interdit d’envoyer des reporters là-bas. Pour informer, nous avons donc compté sur des reporters gazaouis, notamment Rami Abou Janous. Avec son téléphone portable, à hauteur d’homme, il a filmé ce qu’il voyait : son enfant, qui va travailler le soir après l’école, la tente, devenue sa maison, qu’il déménage de bombardement en bombardement, et puis un enfant à venir. Le désespoir et l’espoir.

On a essayé, avec nos reporters tout près, de raconter cette guerre sans se laisser enfermer dans l’interdiction. On l’a fait, de manière régulière, en pesant nos mots, en étant à bonne distance, en n’avalant pas la propagande des uns ou des autres, en montrant les choses, en ne masquant rien, en laissant nos téléspectateurs se faire une opinion sur un sujet ô combien inflammable.

L’émergence de la figure d’Abou Mohammed al-Joulani, après la chute de la dictature en Syrie.

Je saute de joie à l’idée que ce tyran monstrueux de Bachar el-Assad ait quitté le pouvoir. Nos reportages sur ses geôles sont au-delà du dicible. Mais je suis très prudent. Je me demande si l’on est en 1979 à Neauphle-le-Château, avec l’ayatollah Khomenei interrogé sous sa tente, qui va devenir le grand patron de la révolution islamique en Iran. Ou bien face à un islamiste qui va se tempérer et changer pour le mieux le destin des Syriens et des Syriennes.

Face à cette question simple, à la réponse compliquée, Liseron Boudoul a été à Idlib, gouvernée par les islamistes d’al-Joulani depuis plusieurs années. Elle est allée voir, le sort des femmes et des élèves, l’économie, la justice, l’enseignement. Son reportage était formidable, balancé (chacun peut se faire son opinion), sur ce qu’est aujourd’hui cette région gérée par ces islamistes. D’immenses points d’interrogations demeurent.

L’affaire Abbé Pierre et la communication de la Fondation, qui a révélé les accusations et prépare son changement de nom.

Dans ce naufrage, j’ai trouvé remarquable la volonté de Christophe Robert, le délégué général de la Fondation, de prendre tout cela à bras le corps. Il a dit : recueillir la parole des victimes n’est pas suffisant, on va changer de nom. Face à ce tremblement de terre, il fallait faire quelque chose. Je n’aurais pas l’impudeur de dire qu’en termes de communication de crise, ils ont bien fait. Mais est-il possible de faire mieux face à cette Fondation qui apporte tant de bienfaits et qui porte le nom d’un homme qui, par ailleurs, a fait tant de mal ?

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