Devenue troisième de France, la radio du groupe M6 pâtit de la surpuissance du service public et d’une offre fédératrice qui s’éloigne de notre société en crise, en quête de singularité voire de clivage. Décryptage avec les experts du secteur.

Coup de tonnerre le 14 novembre dernier : la radio historiquement leader a rétrogradé en troisième position, cédant sa place de deuxième sans panache à une franceinfo qui perdait 18 000 auditeurs en un an. RTL affiche 8,7 % en audience cumulée (-0,7 point sur un an) et une part d’audience en recul à 10,7 % (-1,3pt) selon la vague septembre-octobre 2024 de Médiamétrie. Avec 4,904 millions de fidèles, l’antenne a égaré 306 000 auditeurs en un an. « Une telle chute relève du mystère », lâche un professionnel encore stupéfait. « C’est un séisme dans notre monde » assure Frank Lanoux, ancien patron de RMC.

Côté RTL, silence radio. Aucun responsable n’a souhaité s’exprimer. Pourtant, l’antenne a eu des audaces en cette rentrée. Souhaitant renouer avec sa signature historique de la grande famille RTL, elle a embarqué ses 41 têtes d’affiche en gare Montparnasse le 12 septembre dans une rame dédiée du TGV. Thomas Sotto discutait sur le quai avec le directeur de la rédaction Frank Moulin, à l’écart d’Yves Calvi. L’ex-matinalier était encore sous le choc de son éviction, annoncée par téléphone fin juillet alors qu’il savourait sereinement depuis Mykonos l’idée d’une 11e rentrée. Il s’est cru définitivement remercié avant que ne se profile pour lui la solution de prendre en charge le 18-20 heures.

Loyal, le co-animateur de RTL Soir (avec Agnès Bonfillon) tentait de faire bonne figure auprès de Julien Courbet, Flavie Flament, Faustine Bollaert et Laurent Ruquier pour ses 24 heures en direct du Mans. Le maire PS, Stéphane Le Foll, attendait les 110 Parisiens à la gare de sa ville, et les fidèles auditeurs guettaient leurs stars. L’édile a assuré lui-même la visite du centre historique et de la mairie, avant que « la famille RTL » ne pose sous l’objectif de Raymond Depardon et sous le regard de David Larramendy, successeur depuis avril de Nicolas de Tavernost (il s'était invité la veille du périple). Un cliché au goût amer, celui de la première rentrée en troisième position. Pourtant, avec une heure d’info en plus par jour, Thomas Sotto en nouveau matinalier et avec le retour le 14 octobre d’Hervé Beroud comme directeur de l’information de M6 et de RTL, tous espéraient une embellie.

Il est vrai que le déclin s’est amorcé depuis plusieurs années. Nos spécialistes le datent du rachat par M6 de la première radio de France en 2017. RTL était alors une grande et puissante maison dans sa tour d’ivoire. Son déménagement de la rue Bayard vers Neuilly-sur-Seine avec sur sa façade un gros logo M6 et un petit RTL a été signifiant : sa force s'est diluée dans un grand groupe dont elle est devenue un petit élément. « Le pôle RTL n’a jamais été aussi rentable », en raison de l’attention aux coûts et à la commercialisation, justifiait David Larramendy à sa prise de fonction.

Aujourd’hui, Régis Ravanas, qui dirige les activités audio (donc RTL), n’est plus au directoire du groupe depuis février 2023. « Dès que l’on rapproche l’image du son, l’image écrase le son. La radio devient toujours le parent pauvre », note Frank Lanoux. Les investissements et la créativité sont à la peine depuis ce rachat malgré l'audace et la réussite de l'introduction dans la matinale de l'humoriste Philippe Caverivière en 2019 et de Jimmy Mohamed en 2022. La stratégie a consisté à allonger les tranches les plus porteuses, celles de Julien Courbet d’une demi-heure en 2020 et en 2021, soit trois heures tous les jours avant de revenir à deux heures cette année. Les Grosses Têtes de Laurent Ruquier ont eu leur demi-heure supplémentaire en 2020 avant que l’animateur ne s’oppose à l’ajout d’une demi-heure supplémentaire, rassasié avec ses 2 h 30 quotidiennes.

Un auditoire vieillissant 

Mais RTL peine à lutter contre le vieillissement de son auditoire. « Il y a sept ans déjà, nous avions fait une étude dans laquelle on voyait que la matinale perdait des moins de 55 ans qui n’étaient en croissance que chez Laurent Ruquier », confie un professionnel. Ces modifications marginales ont masqué l’amorce du déclin alors que France Inter montait en puissance, devenant leader en 2019. Une première claque. « Alors qu’au fond, vu son maillage territorial, son faible volume publicitaire et ses moyens, France Inter ne fait que rattraper son histoire et aurait toujours dû occuper cette place », souligne Frank Lanoux. « L’engouement pour Radio France étonne. Peut-être que les auditeurs saturent de la publicité. Mais pour RTL, réduire la publicité, c’est réduire ses moyens. C’est très compliqué », assure un spécialiste média dans un grand groupe de communication.

Pourquoi les changements de rentrée ne portent-ils pas encore leurs fruits ? En radio, il peuvent déstabiliser et faire fuir des fidèles avant d’en conquérir de nouveaux. Selon nos informations, les données d'audience sur trois semaines, en novembre, montrent un recul encore plus prononcé que sur la dernière vague septembre-octobre. Seul voyant au vert ? La fidélité du socle d’auditeurs, avec 33,3% de couverture mensuelle, stable sur un an et la médaille d’or de la durée d’écoute du marché à 2h18. Des indicateurs propres aux médias dont l’audience est vieillissante. 

Comment sont perçues les initiatives de la rentrée ? « Ce sont des changements de style mais pas de fond. Leur grille repose sur un assemblage de blocs, portés par des personnalités. Mais sans cohérence d’ensemble. Il manque un fil conducteur. Aujourd’hui, on écoute Ruquier ou Courbet, mais pas RTL », analyse un expert. « Dans cette période de crise, il faut une identité claire et forte. Celle de vouloir s’adresser à tous ne suffit plus. Il faut tirer un, deux ou trois fils majeurs pour émerger. À vouloir s’adresser à tout le monde, on ne parle plus à personne », note un concurrent. Et comment le public peut-il comprendre qu’Yves Calvi n’est pas légitime pour la matinale mais adéquat pour le 18 heures-20 heures ? Prendre un journaliste plus jeune ne rajeunit pas l’audience. « Il leur faut retravailler la couleur de la matinale et lui donner une cohérence. »

Avec 1,3 million d’auditeurs en 2023-2024 et 12,2% de part d’audience, la matinale a perdu 140 000 auditeurs en un an (-1,4 point de PDA) et 418 000 en sept ans. Et comment le public perçoit-il Laurent Gerra, qui serait compatible avec Europe 1, côtoyant un Philippe Caverivière, plus proche de France Inter ? « Quand on zappe sur RTL, on ne sait plus où l’on est », entend-on. Même si demeure l’identité sonore la plus puissante des ondes françaises…

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