À l’instar de France 24, RFI et TV5Monde, les médias internationaux francophones doivent faire face au Mali, au Burkina Faso et au Niger, à la censure des pouvoirs en place et à la montée en puissance d’influenceurs malveillants.
Devant son immense carte africaine, le directeur de RFI, Jean-Marc Four, regarde les étendues semi-arides des territoires sahéliens où les frontières des pays (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad…) comptent moins que les peuples et les langues qui les traversent. Une zone de près de 100 millions d’habitants où les incursions djihadistes et de groupes armés sont légion et où l’information vérifiée a de plus en plus de mal à se tailler un chemin. « On perd des radars », lâche-t-il, confirmant la crainte d’un « trou noir de l’information » lancée par RSF en Afrique. Sa radio, comme France 24, TV5Monde et la plupart des médias internationaux a été interdite au Mali, au Burkina Faso et au Niger, trois pays issus de coups d’État et regroupés au sein d’une Alliance des États du Sahel, qui viennent d’ailleurs d’engager des poursuites contre un journaliste de France 24. « On n’a pas perdu toute source d’info, complète le directeur de radio, mais elles sont dans un dispositif d’ultra-protection. »
Plus question de garder sous leur signature et même dans leur voix les correspondants locaux qui demeurent sur place ou vivent dans un pays voisin. Le risque est trop grand pour eux ou leurs familles. RFI peut alors compter sur des journalistes franco-africains ou qui ont été en poste. Ce sont eux qui lisent le papier du correspondant anonyme ou à qui on se contente parfois de payer l’info. La radio n’a donc pas perdu tout signal sur cette région du monde. « Reste que le fondement du journalisme, c’est d’aller sur le terrain et de voir les gens », rappelle Jean-Marc Four.
Une contrainte à laquelle fait également face France 24, qui n’a plus de correspondant sur place depuis que son reporter Wassim Nasr a été inculpé par un procureur du Niger pour « des actes de publicité et de soutien flagrant aux terroristes ». Cette autorité judiciaire, qui salue dans un communiqué « la bravoure des Forces de défense de la Confédération des États du Sahel », reproche au journaliste d’avoir recoupé ses sources auprès de djihadistes. Comme Jean-Marc Four, Vanessa Burggraf, directrice de France 24, constate que ces intimidations sont révélatrices d’atteintes plus larges à la liberté de la presse au niveau local. Dans les radios communautaires, très écoutées en zones rurales, deux journalistes locaux ont déjà été tués et quatre autres ont été enlevés, selon RSF. « Il n’y a aucune amélioration, la situation se dégrade, il y a encore plus de pression sur eux », note-t-elle. Au-delà de la sécurité de leurs sources, les médias internationaux sont alors confrontés à la difficulté de ne pas être sur le terrain pour vérifier les faits. « Il faut redoubler de vigilance », prévient-elle.
Montée en puissance d'influenceurs
Depuis l’invasion de l’Ukraine, en février 2022, ces médias français ou francophones doivent résister au procès en néocolonialisme fait à la France et à la montée en puissance d’influenceurs. Le premier fait de ces leviers d’information, très écoutés en Afrique subsaharienne, des boucs émissaires commodes depuis le départ de l’armée française. Vanessa Burggraf rappelle qu’il s’agit pour elle de porter des valeurs (liberté, égalité femmes/hommes, lutte contre la discrimination et la désinformation…) mais dans le respect du débat contradictoire : « On ne fait pas la guerre, mais notre métier, à travers une info vérifiée et impartiale. On donne le point de vue du Sud global et de l’Occident, nous n’avons jamais d’intervenants alignés tous sur la même ligne. »
À TV5Monde, Ousmane Ndiaye, rédacteur en chef Afrique, estime que face à une situation inédite où les journalistes sont menacés ou pris en otages, « il faut continuer à traiter le Sahel coûte que coûte en donnant la parole aux voix dissonantes comme aux juntes ». Pour lui, il s’agit donc de continuer à contacter les autorités, même si elles se refusent à parler, pour respecter le contradictoire, quitte à raconter les difficultés rencontrées.
« La suspicion généralisée jetée sur les médias internationaux a permis d’ouvrir un boulevard aux fake news », relève-t-il. Une mise au ban qui n’a pas seulement assuré l’impact de la propagande russe (voir ci-dessous) mais aussi favorisé l’émergence de vidéos incarnées par des leaders d’opinion qui peuvent être rémunérés par des proches du pouvoir. « La désinformation a récupéré une partie des influenceurs », note Ousmane Ndiaye. Des « ovnis » qui ont pour noms Nathalie Yamb, Ibrahim Diarra ou Kemi Seba et qui contribuent à discréditer les médias d’information.
Théorie conspirationniste
Pour les contrer, les médias ont mis en place des cellules de fact checking, comme Les Dessous de l’infox (RFI) ou Info/Intox (France 24) qui vient d’être lancée en arabe. Tous les soirs, on compte deux à trois infox, rappelle Vanessa Burggraf. À RFI, Sophie Malibeaux, chargée de la rubrique, constate qu’une théorie conspirationniste consiste à accréditer la thèse que la France finance le terrorisme islamiste. Pour cela, tous les moyens sont bons : faux communiqué du ministère des armées, fausses citations, fausses vidéos et faux reportages avec parfois des images et le logo de France 24. La manipulation peut prendre la forme d’une bande-son trafiquée en langue locale, difficile à débunker. D’où l’importance d’avoir des journalistes parlant le fulfulde ou le mandenkan. Le travail consiste aussi à repérer les signaux faibles et des indicateurs de vitalité. « Si l’infox est sur plusieurs réseaux sociaux et prend une certaine ampleur, on la traite mais on floute le nom du compte, indique le journaliste Grégory Genevrier, et on se fait le relais des fact checkers africains. »
Les solutions sont aussi dans les VPN pour contourner la censure - qu’utilisent même des proches du pouvoir -, dans les ondes courtes qui permettent de toucher les zones reculées mais également, bien sûr, via les nouveaux médias en langues locales où la hausse d’audience est régulière : YouTube, Facebook, TikTok, lancé récemment en haoussa et les chaînes WhatsApp. France Médias Monde devrait encore monter en puissance avec une offre 100 % réseaux sociaux à partir de son « hub » de Dakar.
La propagande russe en Afrique de l’Ouest
« Depuis la mort d’Evgueni Prigojine [ancien patron de Wagner tué en août 2023], explique Valdez Onanina, rédacteur en chef d’Africa Check lors de la présentation du Propaganda Monitor de RSF, le 30 septembre, certains anticipaient un affaiblissement de la propagande russe en Afrique. Elle donne le sentiment de s’être renforcée et mieux organisée. Wagner et l’IRA [guerre de l’information sur internet] ont peut-être disparu, l’Africa Corps et l’African Initiative ont pris le relais. » Avec cette nouveauté : « on compte de plus en plus de relais locaux à cette propagande », ajoute-t-il, en raison d’un « narratif qui trouve de plus en plus d’échos au sein des populations locales ». Il s’agit non seulement de médias mais aussi d’influenceurs qui se sont « autopositionnés en faveur de la Russie » et organisent des conférences en live avec du placement de produits. En clair, la Russie financerait directement ou indirectement une nébuleuse de sites et de comptes sociaux. « Une économie pourrait se créer autour de cette propagande russe, ce qui va compliquer davantage la tâche, note l’expert camerounais. Il sera difficile d’enlever le pain de la bouche des populations locales. »