Si l’Afrique est encore en retard en matière d’accès à internet, la croissance des réseaux sociaux y est fulgurante. WhatsApp, TikTok et Facebook sont les plateformes les plus populaires, transformant les modes de communication et d’information sur le continent.

L’Afrique est encore à la traîne en matière de réseaux sociaux. Mais le rythme soutenu de progression de leur utilisation devrait permettre au continent de rattraper son retard… du moins avec les autres pays en voie de développement. La part de la population africaine utilisant les réseaux sociaux est passée de 25 % en 2021 à 35 % en 2024 (contre 63,4 % au niveau mondial), selon le rapport Digital 2024 (1). « Cette augmentation est due à une meilleure accessibilité des smartphones et à la réduction des coûts de données », analyse Xavier Kreutzer, directeur du pôle digital et social media de Forward Global, une entreprise de conseil en gestion du risque basée à Paris et qui dispose de bureaux à Abidjan (Côte d'Ivoire).

« Il faut évidemment rappeler qu’il n’y a pas "une" Afrique avec des usages homogènes, mais des pays qui présentent (chacun) des caractéristiques spécifiques », poursuit l’expert. Les écarts sont effectivement très marqués entre l’Afrique du Nord ou australe (autour de 40 % d’utilisateurs) et l’Afrique de l’Ouest (15,6 %), centrale ou de l’Est (env. 10 %). L’analyse par pays montre des écarts encore plus importants. Le taux d’utilisation des réseaux sociaux s’élève à 57 % en Tunisie, mais baisse à 21 % au Sénégal et chute à 2,2 % au Niger…

Les rythmes de croissance de l’utilisation des médias sociaux varient aussi considérablement selon les pays, souligne l’Afrobarometer, une organisation à but non lucratif, dont le siège se trouve au Ghana, dans une note d’analyse publiée en avril 2024 (2). « Plusieurs pays ont connu une croissance fulgurante depuis 2014-2015 », souligne ce document. Ainsi, la part des habitants qui déclare s’informer régulièrement via les médias sociaux s’est fortement accrue au Cameroun, au Gabon, au Togo, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire (+37 % à +49 %). Mais les écarts sont aussi très importants - considérablement plus élevés qu’en Europe - au sein d’un même pays entre les différentes catégories de population : 27 points entre les jeunes et les plus âgés, 35 entre les urbains et les ruraux, 38 entre ceux qui ont les revenus les plus élevés par rapport aux plus bas. Toutefois, la différence la plus significative tient au niveau d’étude : 81 % des personnes ayant un niveau d’instruction supérieur au secondaire sont utilisatrices contre 11 % seulement pour celles qui n’ont pas suivi d’études, souligne Afrobarometer.

« Les réseaux sociaux sont devenus l’un des premiers moyens d’information en Afrique francophone après la radio et la télévision », note pour sa part Amélie Ebongué, auteure de l’ouvrage Génération TikTok, Un nouvel eldorado pour les marques. « Ce sont aussi des espaces de démocratie, le lieu où l’on peut exprimer librement ses convictions, qu’elles soient culturelles ou étatiques », détaille-t-elle. Un levier important dans des pays où les espaces de liberté démocratiques sont parfois restreints.

Développement des chaînes WhatsApp

 La hiérarchie des plateformes numériques est sensiblement la même en Afrique que dans le reste du monde. Une différence notable toutefois : WhatsApp détrône YouTube à la première place (250 millions d’utilisateurs actifs contre 175 millions). Ce succès s’explique en raison de sa « capacité à fonctionner avec des connexions internet de faible qualité, ce qui est crucial dans les pays où la connectivité internet est limitée », souligne Xavier Kreutzer. « WhatsApp permet à la communication de parcourir le dernier kilomètre, il entre très facilement dans les petites villes et les villages », constate-t-il.

Autre différence significative, le temps passé sur la plateforme est particulièrement élevé, il est de 17 heures en moyenne par mois et par utilisateur (contre 4 h 14 en France), avec un pic de près de 25 heures en Afrique du Sud… Le développement des « chaînes » sur WhatsApp est un autre facteur du succès de la plateforme. À la différence des groupes où chacun peut interagir, les chaînes sont réservées à une communication unidirectionnelle ; elles sont particulièrement adaptées aux médias qui ont besoin d’informer largement leur public. Le succès des « chaînes » de médias panafricains francophones illustre cette dynamique. Les chaînes publiques françaises se hissent dans le trio de tête - France 24 (3,7 millions d’abonnés), RFI Appels sur l’actualité (1,7 million) et RFI (1,4 million) – suivies de Jeune Afrique (1,2 million).

Facebook est l’autre grande plateforme populaire en Afrique avec plus de 160 millions d’utilisateurs actifs. Sa popularité tient à une version « Lite » qui consomme moins de données, fonctionne même avec un faible débit internet et grâce à des partenariats avec des opérateurs télécoms permettant d’offrir des accès à internet et Facebook gratuits ou peu chers. L’autre atout de Facebook, c’est sa capacité à s’adapter aux langues et aux cultures locales, ce qui renforce l’engagement de ses utilisateurs. « Facebook, c’est là où se forge l’opinion nationale en Afrique », estime Xavier Kreutzer. Celui-ci souligne une autre particularité du réseau de Meta : il est beaucoup plus utilisé dans un cadre professionnel qu’en Europe.

TikTok, la plateforme à suivre

Comme dans le reste du monde, TikTok est la plateforme à suivre : son nombre d’utilisateurs actifs a doublé entre 2021 et 2024 pour atteindre 30 millions de personnes. « Comme elle est principalement utilisée par les jeunes, la plateforme bénéficie d’un effet accélérateur de croissance en Afrique du fait de la jeunesse de la population », observe le directeur du pôle social media de Forward Global. Au départ, plutôt appréciée par les jeunes urbains, la plateforme chinoise s’est progressivement étendue aux régions rurales.

Bénéficiant d’une même dynamique, LinkedIn a aussi doublé son nombre d’utilisateurs en cinq ans pour atteindre environ 40 millions de professionnels, dont +30 % en un an. Mais ce déploiement accéléré est surtout significatif dans les pays non francophones : l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Égypte et le Kenya représentent plus de 60 % des utilisateurs africains. Comme en Occident, LinkedIn est le lieu où se retrouvent les décideurs économiques : 88 des 100 principaux leaders africains ont un compte pro, selon le Digital news report du Reuters Institute. La place des femmes est encore en retrait car elles ne représentent que 34 % de ce classement. Signe d’une évolution, trois femmes ont rejoint le top 5.