Alors que la presse écrite connaît un déclin constant depuis plusieurs années, de nouveaux titres voient le jour. Un signe que le papier n’a pas dit son dernier mot et que les éditeurs misent sur une adaptation aux nouveaux modes de consommation. Un article également disponible en version audio.
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Alors que la diffusion de la presse écrite, déjà sur une pente descendante depuis des décennies, a connu un recul très net à l’issue du covid (-1,5 % en 2020, -2,9 % en 2021, -5,9 % en 2022 et -4,6 % en 2023, selon l’ACPM), certains éditeurs continuent de lancer des journaux et magazines. Preuve que la mort des grands médias d’information papier annoncée à l’aube des années 2020 n’est pas encore tout à fait d’actualité.
« Le modèle de la presse papier est un peu mis à mal, mais il a de l’avenir », assure Bertrand Gaillard de Saint-Germain, directeur général adjoint de CMI qui a lancé six magazines en deux ans dont l’hebdomadaire d’opinion Franc-Tireur et le magazine générationnel Vieux. « Avec le covid et la hausse du coût de la matière première, on nous avait prédit la fin du papier, affirme-t-il. Avec la digitalisation et l’émergence des plateformes vidéo, on nous avait aussi prédit la fin de la presse TV. Or c’est le marché le plus résilient. » L’analyse est partagée par Jean-Christophe Tortora, le patron de La Tribune, qui a profité du repositionnement très droitier du JDD pour lancer La Tribune Dimanche en octobre 2023. « On peut voir les choses à travers le prisme de la décroissance du papier et des nouveaux usages digitaux. On peut aussi se dire que le papier n’est pas mort et qu’il peut contribuer à la réinvention des médias », analyse Jean-Christophe Tortora. Une nécessaire adaptation des médias écrits qui est le moto Prisma Media. « Nous croyons au papier, mais nous croyons aussi à la nécessaire transformation des marques médias. Les marques historiques ont encore leur place sur le papier si elles savent se transformer », revendique Pascale Socquet, directrice générale de Prisma Media qui lance la version print de la marque digitale Cuisine AZ le 23 octobre. L’économie de la presse papier est aussi mieux maîtrisée, souligne Bertrand Gaillard de Saint-Germain. « L’atout du papier en presse magazine est qu’il existe encore un modèle économique plus évident et plus direct que sur le numérique. Aujourd’hui, il fait de doute pour personne qu’un magazine est payant ; sur le digital, ce n’est pas aussi évident. »
La presse quotidienne régionale a aussi misé sur le papier en lançant fin 2022 son propre magazine télé, Diverto, en remplacement de TV Magazine, édité par le Figaro. Visant une diffusion payée de 3,2 millions d’exemplaires dès le premier numéro, celui-ci a réussi son pari avec 3,14 millions d’exemplaires payants diffusés en 2023 (source ACPM). Si le pari de Diverto était audacieux – un lancement de cette envergure cela ne s’était pas vu depuis très longtemps -, il s’appuyait sur la diffusion dominicale des 53 titres de la PQR avec lequel il est diffusé et les habitudes des lecteurs de retrouver leur supplément télé.
Le lancement de La Tribune Dimanche fin 2023 était autrement plus risqué. Celui-ci a habilement profité du vide laissé par le virage idéologique du Journal du dimanche en journal aux opinions toujours droitières et la nomination en août 2023 de Geoffroy Lejeune, proche de Marion Maréchal et d’Eric Zemmour, dans le cadre du rachat du titre par Vincent Bolloré. « En 2012, je suis le premier patron de presse à arrêter un quotidien papier pour le transformer en média numérique. En octobre 2024, je lance un nouveau quotidien papier (c’est la classification officielle de La Tribune Dimanche, quotidien du septième jour). Preuve que l’on peut se tromper », reconnaît avec bonhommie Jean-Christophe Tortora. Le titre, qui vient de fêter son premier anniversaire, vend 45 400 exemplaires (DSH ACPM 2023-2024), dont 20 000 exemplaires papier. Un « véritable succès » selon son éditeur. Son principal concurrent, le JDD, âgé lui de près de 70 ans, vend 101 660 exemplaires. Mais sa diffusion a connu un véritable effondrement en 2023 (-21,3 %) ; ses ventes ont reculé de plus de 46 000 exemplaires depuis 2020.
Sur le marché de la presse d’information et d’opinion, le lancement de Franc-Tireur fin 2021 par CMI se fait sur un constat en contrepoint de celui de La Tribune Dimanche. L’hebdomadaire imaginé par Caroline Fourest et Raphaël Enthoven revendique clairement un positionnement d’« info-opinion » et s’est fixé une mission très claire : « Combattre l’obscurantisme et tous les extrêmes par la rationalité avec un manifeste hebdomadaire », selon la définition de ses directeurs de la rédaction. Deux ans après son lancement, le titre vendrait selon son éditeur entre 30 000 et 35 000 exemplaires par numéro auxquels s’ajoutent 8 000 abonnés print (et 27 000 abonnés en numérique). « C’est un lancement à rebours de ce qui est proposé sur le marché des newsmagazines : un titre très resserré, pas cher », explique Bertrand Gaillard de Saint-Germain pour justifier ces résultats.
Enfant du rock
Sur un tout autre créneau, CMI a lancé cette année Vieux, incarné par l’éternel « enfant du rock », Antoine de Caunes et qui vise une « génération un peu plus rock’n’roll » que celle des Pleine Vie ou Notre Temps, affirme Romain Jubert, son directeur éditorial. Le n° 1 s’est vendu à un peu plus de 90 000 exemplaires, assure le DGA de CMI qui se réjouit aussi de « premiers signes positifs » pour le n° 2, en kiosque depuis début octobre.
Si l’hybridation print-numérique des médias est aujourd’hui une évidence, il est rare que cette complémentarité aille jusqu’à la création d’un magazine papier, décliné d’un support digital. C’est le pari que fait Prisma media en lançant le 23 octobre le bimestriel Cuisine AZ, tiré à 150 000 ex., décliné du site internet à succès 500 millions de visiteurs uniques, 500 millions d’abonnés aux newsletters, source éditeur). Le groupe prévoit aussi le lancement début 2025 de deux déclinaisons, décoration et homme, de Harper’s Bazaar. La version Intérieurs sera tirée à 50 000 exemplaires.
La presse papier a toutefois un défi majeur à relever : séduire les jeunes générations. « Quand on vise les plus de 40 ans, il n’y a pas de doute à se dire que le papier est pertinent. Pour les plus jeunes, c’est moins évident, moins mainstream », constate Bertrand Gaillard de Saint-Germain. Mais « l’enjeu est moins de faire consommer de la presse papier aux jeunes que de les habituer à acheter de l’information. »