Douze groupes de presse écrite ont adopté un prototype d’IA développé par Reporters sans frontières, avec l’Alliance de la presse d’information générale.

Alors que Microsoft a présenté lundi 20 mai ses nouveaux ordinateurs (Copilot+PC), dotés d’une IA générative intégrée sur Windows et apte à appuyer l’utilisateur dans ses tâches, les rédactions savent que l’ère du journalisme augmenté a commencé. Témoin, la décision de douze groupes de médias de s’embarquer dans un prototype d’intelligence artificielle, le 16 mai, avec Reporters sans frontières (RSF) et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig).

Baptisé Spinoza, ce projet concerne les groupes Ebra, Libération, L’Équipe, La Nouvelle République du Centre-Ouest ou Publihebdos. Il vise à la fois à aider les rédactions avec un outil d’IA et à garantir la propriété intellectuelle. Le prototype intègre cinq bases de données, avec 12 000 articles de presse, la législation, 15 000 pages du rapport du Giec, les données de l’Ademe, ainsi que des documents issus de la stratégie nationale bas carbone du gouvernement. « Il s’agit de faciliter la production journalistique sans toucher au travail ou à la condition sociale des journalistes, explique Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général de RSF. Cela favorise un journalisme augmenté en répondant à des requêtes mais pas un modèle de langage en tant qu’outil de production : c’est un outil d’assistance à la production. »

Dans les accords signés jusqu’à présent (Axel Springer, Financial Times, Le Monde…), OpenAI échange contre rémunération la capacité d’entraîner ses modèles d’IA avec des contenus médias. Ce faisant, ChatGPT augmente ses capacités langagières comme la pertinence de ses réponses, réduisant du même coup son risque hallucinatoire. Mais est-ce une bonne idée que l’IA prenne le pouvoir sur des questions d’actualité ? En principe, tout ce qui est publié est relu par le journaliste, mais la compilation et le choix des données pertinentes est effectué par la machine. « Il faut faire coïncider l’éthique et le deal », observe Thibaut Bruttin.

« On a besoin d’être acteur de cette révolution », a estimé de son côté le patron du Monde, Louis Dreyfus, le 25 avril, au cours d’une « masterclass IA » de Microsoft. Pour lui, « Bard ou ChatGPT vont être utilisés de manière massive par les jeunes générations », et son accord avec OpenAI, initié par lui, « est un moyen de toucher un public beaucoup plus large ». L’IA générative est en effet l’occasion de valoriser des sources éditoriales et de favoriser des réponses valides et non hallucinatoires sur un outil de masse. Quant à l’idée qu’il s’agit d’un accord individuel faisant peu de cas des intérêts mutuels du droit voisin, la riposte est cinglante : « La presse française, ce n’est pas un kolkhoze ! »

Réalisé avec Ekimetrics à partir de GPT-3.5 d’OpenAI, le prototype de RSF et de l’Apig doit être perfectionné jusqu’à l’automne, où un bilan sera fait avant la définition d’un modèle économique. Pierre Petillault, directeur général de l’Apig, estime qu’il « devra y avoir un partage de la valeur » si la solution est retenue. Pour l’heure, Thibaut Bruttin s’estime satisfait : l’outil évite le risque hallucinatoire en ne répondant pas quand il butte sur une requête, offre des liens pour cliquer vers les sources et met en évidence les points de contradiction. Et il permet de fact-checker, comme de rentrer dans des questions techniques ou scientifiques complexes avec un gain de temps, de précision et d’expertise.

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