Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Maire de Paris, s’efforce de clarifier le discours d’Anne Hidalgo qui a annoncé vouloir sortir de la publicité marchande dans les trois ans. Seul un contrat serait, pour l’heure, concerné.
Anne Hidalgo a déclaré le 16 novembre au Conseil de Paris qu’elle souhaitait se donner trois ans pour « sortir de la publicité marchande ». La ville va-t-elle renoncer à la publicité ?
Emmanuel Grégoire. C’est le sens de l’annonce de la maire mais cela concerne, dans son esprit, le marché des MUI, les mobiliers urbains d’information, un contrat de 1 600 dispositifs dont le titulaire de la concession est Clear Channel. Pas le reste.
Pas les Abribus de JCDecaux par exemple ?
Pas les Abribus, pas les kiosques, pas les mâts et colonnes - lesquels correspondent au marché de la publicité culturelle -, et pas les autres contrats. Nous avons une cohérence servicielle. Il ne s’agit pas d’interdire non plus les grandes bâches publicitaires des monuments historiques.
Sa déclaration était pourtant très générale. Est-ce que les chantiers privés peuvent être concernés ?
Non, ils ne le sont pas. Les marques sont alors moins dans le registre de la publicité que dans celui de l’enseigne, de l’habillage pour leur propre compte. Personnellement, le préfère une bâche, quitte à ce qu’elle soit publicitaire, à un immonde échafaudage. Et nous avons des règles très contraignantes ; il s’agit d’autorisations instruites par la direction de l’urbanisme. La maire ne parlait que du contrat MUI, dont la modalité juridique et la temporalité sont différentes - il arrive à échéance en septembre 2024. On peut s’amuser à se faire peur, mais j’en ai parlé avec elle, le reste n’est pas concerné, si ce n’est dans une autre dimension qui est la révision du règlement local de publicité (RLP), qui est une longue procédure.
Le groupe Les Écologistes de Paris s’est néanmoins félicité des déclarations d’Anne Hidalgo en publiant un communiqué prenant acte de son engagement en réponse à leur vœu…
Je ne commente pas les déclarations des écologistes qui, par définition, sont souverains. Elle a demandé à engager un travail à l’intérieur de la majorité sur l’extinction de la publicité marchande. Nous demandons donc ce qui peut rester, par exemple, pour les institutions publiques. Cela pourrait aussi s’étendre à la publicité culturelle. On va travailler dessus avec les groupes du conseil de Paris. On en tirera les conséquences pour le cahier des charges du futur appel d’offres sur la concession MUI.
La perte de revenus du contrat MUI se chiffrera à combien ?
C’est une moindre recette. La concession a un rendement de 34 millions d’euros par an avec l’amortissement de l’investissement [les panneaux appartiennent à la ville]. En travaillant sur la publicité non marchande, on considère que le contrat peut être à l’équilibre, voire dégager des moyens financiers. On souhaite aussi désencombrer significativement l’espace public.
Qu’est-ce que la ville reproche, au juste, à la publicité, qui lui rapporte 138 millions d’euros par an ?
Paris est l’une de capitales mondiales à avoir la plus faible intensité publicitaire. Le 4x3 a déjà été supprimé, et nous n’avons jamais déployé les écrans numériques dans l’espace public. Nous considérons que la publicité est un élément de pression consumériste qui a des effets pervers, notamment au regard des enjeux climatiques. Je ne suis pas du tout antipub. Mais il y a une publicité qui pousse à consommer et une autre qui est d’abord là pour informer…
Mais la plupart cherchent à favoriser la consommation, non ?
Oui, c’est logique de la part des industriels de vouloir de la publicité comme il est logique de la part des pouvoirs publics de vouloir la réguler un peu. Chacun est dans son rôle. Et les publicitaires sont conscients du débat de société sur l’intensité consumériste. Deux sujets nous préoccupent : les messages écocides et sexistes. Mais prenez une publicité qui pousse à la vente de produits textiles, malgré un bilan environnemental catastrophique, on a le droit de préférer des publicités plus éthiques. Certains peuvent considérer qu’il y a là une part subjective et donc idéologique. Mais l’idéologie est un principe cardinal de la vie collective. Nous souhaitons un débat avec les citoyens et les professionnels. Nous souhaitons aussi nous intéresser à la régulation des dispositifs numériques derrière des vitrines dans le domaine privé - commerçants, grandes enseignes - qui ne tirent leur valeur que de leur visibilité dans l’espace public. Or cette valeur est captée par des intérêts privés et ces panneaux sont sources de nuisance de proximité. Entre 2020 et 2023, il y a eu une augmentation de 63 % des panneaux publicitaires de ce type - on arrive à 4 116 petits et 320 grands. Cela me choque ! Nous avons de notre côté 1 600 sucettes [du contrat MUI].
Vous avez mis des amendes aux opérateurs qui ont été cassées au tribunal administratif…
Je m’y attendais. Nous souhaitons reposer ces questions à l’occasion de la révision du RLP, qu’on va essayer de faire assez vite mais qui prendra facilement quatre ans. On ne peut certes pas interdire les publicités dans le domaine privé mais on peut les réguler davantage sur la puissance et les horaires d’éclairage par exemple.
Pourquoi refuser la publicité marchande sur la concession MUI quand vous l’acceptez par ailleurs ?
Notre sujet est la baisse de l’intensité publicitaire, pas l’interdiction de la pub, qui provoquerait un déport massif sur les écrans numériques. Du reste, avec le smartphone, nous subissons tous un bombardement publicitaire que personne ne se préoccupe de réguler. L’État a fixé le nombre de secondes pour la pause de pub du soir à la télé. Mais là, c’est le Far-West. On ne peut pas imposer des règles très exigeantes à nos champions nationaux et tolérer qu’on fasse n’importe quoi sur les plateformes numériques.
Vous vous opposez aussi au street marketing événementiel…
Il peut y avoir des choses sympas, mais on souhaite remettre en place un process de travail en lien avec la Préfecture de police car nous avons eu des coups de chaud assez sévères sur la sécurité publique. On l’a vu sur une opération Nike totalement illégale et immaîtrisée. Et sur l’affichage sauvage, les marquages au sol, les entreprises doivent savoir que nous allons déclencher une guerre impitoyable aux acteurs qui intègrent parfois dans leur devis les amendes potentielles. Depuis le 1er janvier, nous avons une compétence nouvelle en matière de verbalisation que nous allons mettre en œuvre avec une grande puissance de feu. Les agences et les clients qui continueront de s’adonner à cette activité, et qui se voient comme des rebelles alors que ce sont des gougnafiers qui pourrissent l’espace public, nous leur interdirons l’accès aux supports publicitaires légaux. Il faut une publicité plus responsable. Nous ferons pour cela une communication très ciblée, très name and shame.