L’organisation d’événements en Afrique représente un relais de croissance crucial pour certains groupes de médias. Mais les défis à relever sont nombreux, à commencer par celui de la logistique. Un article également disponible en version audio.
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Pas moins de 15 000 personnes étaient attendues à la BK Arena de Kigali, au Rwanda, pour fêter pendant trois jours, du 20 au 22 octobre, les 20 ans de Trace, un groupe qui rassemble 29 chaînes de télévision et une soixantaine de radios musicales diffusées sur le continent africain. Ce Trace & Festival Awards devait accueillir des défilés de mode, des concerts, des remises de prix à une sélection d’artistes du monde entier et la présentation d’artisans d’excellence, pour un budget d’environ 5 millions de dollars. « Cela nous permet d’avoir une relation plus directe avec les artistes et avec le public, et c’est aussi une source de revenus, en tout cas, c’est l’objectif », remarque Olivier Laouchez, le patron du groupe Trace. À côté de la distribution de ses chaînes et de la publicité, la diversification vers l’événementiel, au sens large, constitue la troisième source de revenus de ce groupe média. Elle pèse au total près de 20 % de son chiffre d’affaires, qui s’élève à 40 millions de dollars. À côté de son festival, Trace organise tout au long de l’année des événements et des activations en Afrique pour des marques et possède même sa propre agence de brand content et d’événementiel.
Pour le groupe Jeune Afrique, l’activité évènementielle représente également une part non négligeable de ses recettes, environ 25% de son chiffre d’affaires estimé à 28 millions d’euros. Son flagship, c’est l’Africa CEO Forum, un raout annuel qui rassemble le gratin des décideurs africains et dont la dernière édition s’est tenue à Abidjan les 5 et 6 juin derniers en présence de 2 000 participants. Lancé en 2012, l’événement s’est tenu par le passé à Genève, Abidjan et Kigali et devrait revenir en 2024 à Kigali, la capitale d’un pays qui investit beaucoup dans le développement du tourisme d’affaires. « Cet événement, c’est la plus grande conférence du secteur privé en Afrique. Il s’inscrit dans la continuité de notre métier. Une conférence, c’est une plateforme qui permet, d’une manière différente, de discuter et de débattre », note Amir Ben Yahmed, le patron de Jeune Afrique. Le groupe a lancé l’an dernier un nouvel événement, cette fois à Lomé, l’Africa Financial Industry Summit. Pour la première édition, 800 personnes étaient présentes. Pour la seconde, qui doit se tenir, à Lomé encore, les 15 et 16 novembre prochains, un millier de personnes sont attendues.
«Des coûts prohibitifs»
Le modèle de La Tribune Afrique repose lui aussi sur l’événementiel, avec l’organisation du Forum Europe Afrique, dont la deuxième édition a eu lieu les 15 et 16 mai derniers à Marseille et que le groupe de presse présente comme « la rencontre de deux continents ». Le groupe organise aussi des événements dans des capitales africaines sur des sujets ayant trait aux grands enjeux de la transition climatique ou numérique. Le 26 octobre dernier, Le Monde Afrique devait réunir de son côté à Abidjan, à l’Agora de Koumassi, entre 600 et 800 personnes autour d’un événement consacré au sport en Afrique. Il devait rassembler des institutionnels, des bailleurs, des politiques, des athlètes et des étudiants sur cette thématique importante en Afrique, notamment dans la perspective de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), qui doit se tenir l’an prochain en Côte d’Ivoire. Preuve de l’importance accordée à cette journée de débat par le groupe, son président du directoire, Louis Dreyfus, avait prévu de s’y rendre.
L’organisation d’événements sur le continent africain constitue toutefois un défi pas toujours aisé à relever, notamment sur le plan logistique. Rares sont les capitales où l’on peut réunir sans encombres plusieurs milliers de personnes. Abidjan et Kigali font partie aujourd’hui des destinations les plus sollicitées pour ce type d’événements, parce qu’elles offrent les infrastructures, notamment hôtelières, indispensables. « Tout événement est un défi logistique mais c’est vrai qu’on peut vite être confrontés en Afrique à des coûts prohibitifs pour le traiteur, l’hôtel ou l’avion », relève Hélène Guinaudeau, directrice adjointe pour le développement à l’international du Monde, et qui a travaillé pendant six mois sur l’organisation de la journée sur le sport organisée par le journal à Abidjan.
Une rentabilité à long terme
« À Kigali, il y a des salles de spectacle, des hôtels, et c’est sûr, ce qui n’est pas toujours le cas en Afrique, comme par exemple au Nigeria où c’est plus difficile », note Olivier Laouchez, le patron du groupe Trace. Les pays africains ne disposent pas toujours non plus des compétences techniques nécessaires. Pour le Trace Awards & Festival, diffusé auprès de 300 millions de personnes, Olivier Laouchez a fait venir par avion une cinquantaine de personnes d’Afrique du Sud. Quand l’événement est plus modeste, l’organisation peut se révéler plus facile, à en croire René Saal, fondateur du média Adweknow (lire encadré p.31). « Pour notre table ronde à Abidjan, qui a réuni 80 personnes, nous avons tout organisé depuis Paris, sans même passer par l’ambassade de France et sans aucune difficulté, à des tarifs tout à fait convenables », raconte-t-il.
L’autre défi est celui de la rentabilité des événements. « D’une manière générale, c’est très compliqué en Afrique d’avoir un retour sur investissement immédiat quand on fait quelque chose », met en garde René Saal, citant notamment l’exemple de Canal+, qui a mis de longues années avant d’arriver à exister réellement sur le continent. Selon lui, « si c’est pour ça qu’on vient en Afrique, pour un profit immédiat, il ne faut pas y aller ». Le groupe Lagardère avait ainsi quitté rapidement, devant les difficultés, le marché africain de la radio. L’événementiel n’échappe pas à cette règle. Les premiers Africa CEO Forum, organisés à Genève par Jeune Afrique, ne réunissaient guère plus de 400 à 500 personnes, contre 2 000 dix ans plus tard. « Les événements que nous organisons peuvent-ils devenir un jour un centre de profits ? On aimerait bien, mais le modèle événementiel est compliqué, surtout avec une éthique comme la nôtre », remarque Hélène Guinaudeau.