Vincent Bolloré, qui détient le numéro deux de l'édition en France et va acquérir le numéro un, entretient le mystère quant à des projets qui devront contourner l’écueil de position dominante.
Il détient le numéro deux de l'édition en France et va acquérir le numéro un. Mais le milliardaire Vincent Bolloré entretient le mystère sur ses projets pour le marché du livre, où il devra éviter une position dominante. L'actionnaire principal de Vivendi contrôle Editis, et s'apprête à lancer son offre publique d'achat sur Lagardère, maison mère d'Hachette Livre. Un point est clair: conserver le périmètre actuel de ces deux rivaux ne sera pas autorisé par les autorités de la concurrence européennes.
«Ce serait des présences des deux grands groupes de l'ordre de 80% dans certains secteurs: 84% parascolaire, 74% scolaire... En littérature poche, ça serait autour de 65%. Donc c'est énorme», détaillait cette semaine Antoine Gallimard, le patron du numéro trois Madrigall, sur France Inter. Mais Vincent Bolloré, rompu aux acquisitions pour faire grandir ce qui est souvent qualifié d'empire, ne se laissera probablement pas dicter par Bruxelles les conditions de celle-ci. Il arrivera, selon toute vraisemblance, avec ses propositions. Lesquelles? Tenus au silence médiatique, les éditeurs au sein d'Editis disent tout ignorer des intentions de leur actionnaire. «C'est un sujet Vivendi», précise une source au sein du groupe d'édition.
Deux scénarios privilégiés
«Personne n'est dans la tête de Vincent Bolloré», affirme à l'AFP la secrétaire générale du Syndicat national Livre-Édition CFDT, Martine Prosper. «On ne sait strictement rien. Mais on voit que pour les salariés des deux groupes, c'est un moment angoissant», ajoute-t-elle. Entre rumeurs et spéculations, ce secteur qui pèse plus de trois milliards d'euros de chiffre d'affaires a hâte de savoir ce qu'il va devenir. Deux scénarios semblent envisageables. Vivendi pourrait se défaire d'Editis pour avoir le droit de contrôler Hachette Livre, détenteur de maisons parmi les plus prestigieuses de Paris (Grasset, Calmann-Lévy, Stock, Fayard, Le Livre de poche, Larousse...). Les deux meilleurs vendeurs de la littérature française, Guillaume Musso et Virginie Grimaldi, ainsi que l'éditeur de la superstar Astérix, Albert René, tomberaient ainsi dans l'escarcelle de Vincent Bolloré.
Ce dernier aime manifestement la dimension internationale de Hachette, dont moins d'un tiers du chiffre d'affaires est réalisé en France. L'homme d'affaires a mis en avant cette ambition culturelle mondialisée devant les sénateurs qui enquêtent sur la concentration dans les médias. «Un groupe capable de proposer à un auteur français de traduire son œuvre à l'étranger, de l'adapter en série ou en plus petits éléments digitaux pour les passer sur Dailymotion, Canal ou autre, me semble être un sujet passionnant pour ce fameux soft power, qui reste très important pour la France», avançait-il.
Craintes politiques
L'autre scénario, jugé plus réaliste, est que Vivendi fasse son tri entre maisons d'édition à conserver et à céder. C'est celui auquel croit Conor O'Shea, analyste financier qui suit le groupe pour Kepler Cheuvreux. «Le plus vraisemblable est qu'il vende les activités françaises de Hachette, ou alors les segments où les deux groupes ont une part de marché largement supérieure à 50% (scolaire, dictionnaires, livres de poche)», explique-t-il à l'AFP. «Il aime les activités médias pour leur capacité à générer de la trésorerie rapidement et leur croissance stable», rappelle également l'analyste. En s'offrant Lagardère, «il veut créer un Bertelsmann français, un groupe familial stable mêlant livres et audiovisuel».
L'allemand Bertelsmann a tenté une opération du même type aux États-Unis, où il détient Penguin Random House. Il voulait acquérir Simon&Schuster, et le gouvernement a entrepris de bloquer ce qu'il qualifie de «fusion anticoncurrentielle». En France s'ajoutent, à cette logique de sauvegarde de la concurrence, de fortes craintes politiques. Vincent Bolloré a procédé, chez des médias qu'il détient comme CNews et Europe 1, à un virage marqué à droite. Deux anciennes ministres de la Culture sont convaincues qu'il poursuit le même but dans le livre. Il «défend un projet idéologique d'extrême droite», accusait fin janvier la socialiste Aurélie Filippetti. Il pourrait «soutenir un courant d'idées unique, qui est celui que nous connaissons», appuie Françoise Nyssen, ministre dans le premier gouvernement du président Emmanuel Macron, et par ailleurs dirigeante des éditions Actes Sud.
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