Porté par une ferveur sans précédent, le Mondial qui s’ouvre en France devrait permettre au rugby de passer un nouveau cap. Médias, marques et acteurs de l’événement s’y préparent.
De mémoire d’Ovalie, la Coupe du monde de rugby France 2023 s’annonce historique. Et pas simplement parce que le XV de France, lequel ouvre le bal avec une affiche de rêve face à la Nouvelle-Zélande, figure parmi les favoris de la compétition programmée à domicile du 8 septembre au 28 octobre prochains. D’ores et déjà, la billetterie est un succès et les places ont trouvé presque intégralement preneur, y compris auprès d’un public international - Anglais, Australiens… - qui ne compte pas non plus passer à côté du moment. L’intérêt est là : d’après un sondage Odoxa pour Meta révélé fin août, 58 % des Français entendent suivre ce Mondial, soit près de 20 points de plus que l’édition précédente. « Cela va être l’événement de l’année en sport pour les Français, exceptionnel pour trois raisons : la compétitivité de l’Équipe de France, la localisation de l’événement - à l’image de l’Euro 2016 ou de la Coupe du monde 1998 en football, un événement organisé en France est toujours exceptionnel -, et enfin, l’envie de partage, de joie, dans un contexte pas facile socialement et économiquement », dessine François Pellissier, directeur général adjoint business et sports de TF1, diffuseur officiel de la compétition. Dans le sillage des hommes du sélectionneur Fabien Galthié, portés par une ferveur populaire massive dans leur quête du Graal, marques, médias, agences et autres acteurs de l’événement se mettent au diapason avec des investissements et des dispositifs à la hauteur des enjeux. De multiples records devraient ainsi être battus, signe que le rugby est en passe de basculer dans une autre dimension.
Premier concerné par ces enjeux record, le secteur des médias se prépare à un tourbillon deux mois durant. À commencer par TF1, diffuseur de tous les Mondiaux sauf un depuis 1987, qui en proposera les meilleures affiches. Le groupe sort l’artillerie lourde, aussi bien côté éditorial, avec un dispositif à la hauteur (lire encadré), que commercial, avec des offres en publicité, sponsoring et digital qui n’auraient pas eu de mal à séduire. Les matchs se déroulent dans notre fuseau horaire, pour beaucoup en fin de journée ou en soirée, à une période - finie la vadrouille estivale - où les gens sont chez eux. Idéal pour les annonceurs. À titre d’exemple, un spot à la mi-temps du match d’ouverture est proposé entre 270 000 et 290 000 euros.
De fait, l’on peut s’attendre à de fortes audiences, d’ores et déjà promises, pour les meilleurs matchs, à figurer sauf surprise dans le top 10 de l’année 2023. Des audiences à deux chiffres sont espérées pour le match d’ouverture aux allures de finale et celles-ci pourraient augmenter au fil de la progression de la France dans la compétition. Pour comparaison, 12,5 millions de téléspectateurs en moyenne avaient regardé les matchs en prime time en 2007, année où l’Hexagone avait accueilli l’événement. Pour revenir à 2023, les matchs de préparation, joués durant l’été, ont rassemblé entre 3,7 et 5,8 millions de personnes en moyenne. Autre chiffre, la finale des Six Nations 2022, ayant vu la France gagner face à l’Angleterre, a été suivie par 8,9 millions de personnes sur France Télévisions.
De quoi se frotter les mains. Même si un tel événement, pour lequel TF1 a mis sur la table 60 millions d’euros, reste compliqué à rentabiliser, comme en témoigne la sous-licence de droits à France Télévisions et M6 pour certains matchs. Cette rentabilité ne tiendra pas seulement aux retombées publicitaires mais aussi aux revenus indirects et à la façon de faire vivre les droits et de démultiplier l’exposition, un point sur lequel, donc, rien n’a été laissé au hasard. Aussi, diffuser l’événement est un « outil de valorisation de la marque », rappelle Vincent Chaudel, fondateur de l’Observatoire du Sport Business. Dominer le top 10 des audiences est une démonstration de puissance médiatique et, de fait, un argument pour les annonceurs. « TF1 apparaît comme partenaire des Équipes de France - alors que non, France Télévisions diffusant les Six Nations. Il y a un petit côté cocardier en termes d’image. À l’instar du JT de 13 heures qui va sur les marchés, etc., cela consolide une logique de positionnement », ajoute l’expert. « L’enjeu majeur pour une chaîne, avec cette Coupe du monde qui dure sept semaines, consistera aussi à faire vivre l’événement dans la durée. D’où l’importance de créer de multiples contenus dépassant le cadre purement sportif », anticipe pour sa part Magali Tézenas du Montcel, directrice générale de Sporsora, en écho à une logique de production de contenus - documentaires, vidéos, stories… - très prisés du grand public.
Terrain déminé
Cette visibilité maximale, les marques ne comptent pas s’en priver. Si une Coupe du monde est toujours propice aux investissements, celle-ci l’est particulièrement. « Il y a tous les éléments d’un storytelling magnifique : une Coupe du monde à la maison, une génération de joueurs jeune mais expérimentée, une stabilité (hors problèmes de gouvernance). La mariée paraît très belle. Le terrain est déminé pour les annonceurs », scrute Vincent Chaudel. « Depuis 2007, le marché s’est considérablement professionnalisé, complète Olivier Peulvast, directeur général de l’agence Egg Sports, qui compte la FFR parmi ses clients. On observe une maturité différente chez les marques. Elles comprennent désormais l’utilité de ce type de partenariats et de leur intégration dans leurs stratégies de communication ». Sans compter une certaine émulation liée au fait que, en 2023-2024, avec aussi les JO, la France sera plus que jamais une terre d’accueil du sport. Le « momentum » ne risque pas de se reproduire de sitôt… Les annonceurs l’ont compris et les investissements suivent. « C’est une opération de communication que l’on attend et que l’on prépare depuis des années, confie Laetitia Maurel, directrice de la communication de Société Générale. Les investissements à tous les niveaux sont à la hauteur de l’enjeu et de l’opportunité ». (lire notre interview complète)
Au total, les sponsors sont 37, en cumulant les sponsors mondiaux et les nationaux, à avoir répondu à l’appel de France 2023. Dans le détail, y figurent six partenaires majeurs, avec un ticket d’entrée compris entre 15 et 20 millions d’euros. Société Générale et Capgemini, tous deux sponsors historiques du rugby, sont accompagnés par Mastercard, Emirates, Defender et Asahi. Au deuxième rang, les sponsors officiels, lesquels ont déboursé en moyenne 6 millions pour s’associer à l’événement. S’y pressent GMF, Orange, TotalEnergies, SNCF, Vivendi, Loxam, GL events et Proman. Au troisième rang, les fournisseurs officiels, lesquels ont investi 1,5 à 2,5 millions. On y retrouve pêle-mêle des marques comme Andros, Meta, HP, Invivo, Eden Park ou encore Canon et Geodis. Les supporters officiels complètent le casting avec des accords chiffrés en moyenne à 750 000 euros. Groupe RATP, Volvic, Casino ou encore le programme de fidélité ALL du groupe Accor seront de la partie, pour ne citer qu’eux. « Sur le volet du sponsoring, 2023 s’annonce comme une belle édition. Il faut désormais que les sponsors activent ces partenariats à la hauteur de leur potentiel », ajoute Magali Tézenas du Montcel.
Valeurs positives
Si, pour ces marques issues de secteurs d’activité très variés, l’enjeu est avant tout business, elles ont aussi beaucoup à y gagner en termes d’image. Le rugby est bien vu de 84 % des Français, selon Odoxa-Meta. Et pas seulement parce qu’il porte des valeurs : sens du collectif, travail, discipline, fair play, humilité... « Les problèmes [de gouvernance] avec Bernard Laporte n’ont pas été simples à gérer mais on a l’impression que cela ne concerne pas le grand public. Ce n’est pas un sujet de mœurs, comme au Mondial féminin de football », remarque Vincent Chaudel. Cela tient notamment à une équipe de France qui s’avère très aimée. « Il n’y a pas ce côté extravagance, golden boy du football. Cela, pour un pays comme la France qui marche à reculons vers le sport business, c’est acceptable », poursuit-il. Une entaille tout de même dans cette belle image : une campagne de Greenpeace, fin août, contre le sponsor TotalEnergies, mettant en scène un stade envahi de pétrole.
Reste que « les valeurs véhiculées par le rugby sont positives et font écho aux nôtres, la solidarité notamment. Il s’agit de faire rayonner ces valeurs et GMF comme assureur », décrit Marie-Jo Ninine, responsable des partenariats rugby de l’entreprise qui apportera, en plus de ses actions de sponsoring, une assistance médicale de terrain, à travers un personnel formé aux risques du rugby. « Nous pensons nos partenariats dans la durée. En ce moment [16 août-10 septembre], nous soutenons le championnat du monde militaire de rugby à XV. Nous contribuons aussi au développement de la pratique du rugby fauteuil », précise-t-elle.
France des territoires
Au-delà de l’image, Société Générale attend de la compétition un rayonnement à la fois international et national, alors qu’il est en train de déployer une nouvelle banque de détail dans l’Hexagone et d’installer un nouveau positionnement et de nouvelles marques régionales. « Les villages rugby que nous allons mettre en place dans toutes les villes hôtes vont y contribuer. L’objectif est de faire participer davantage de clients et de collaborateurs et de faire rayonner le rugby au-delà des stades », témoigne Laetitia Maurel. Pour cela, l’accent est mis sur la communication. Société Générale aussi bien que GMF, tout comme les autres partenaires, ont mis sur pied des plans médias à la hauteur. Reste maintenant à ce que l’Équipe de France brille dans la compétition. Car comme le rappelle Magali Tézenas du Montcel en guise d’évidence, « le parcours du XV de France conditionnera pour partie l’engouement du public et les retombées de l’événement ». Pour l’heure, tous les voyants sont au vert et certaines initiatives témoignent d’un intérêt inédit du public à l’approche du jour J. Ainsi, en vue notamment du match d’ouverture, Privateaser lance une opération test dans une trentaine d’établissements parisiens afin de permettre de réserver ses places à l’avance. En cause : « des demandes déjà supérieures aux capacités d’accueil de certains bars deux mois en amont de l’événement », souligne Nicolas Furlani, fondateur de la plateforme de réservation en ligne de lieux pour les événements. Une première - potentiellement amenée à être pérennisée - qui en dit long quant à la dimension prise par le rugby ces dernières années.
Dernière caractéristique essentielle pour la réussite du Mondial 2023 : la compétition sera assez bien répartie sur le territoire avec neuf stades concernés dans l’Hexagone, y compris dans des villes - Lille ou Nantes - pas forcément considérées comme des terres de rugby. Une raison qui a notamment poussé le groupe agroalimentaire Invivo à s’associer à l’événement. « Ce n’est pas simplement Paris qui est concerné mais la France dans son ensemble », se réjouit son CEO Thierry Blandinières, quant à un « coup de projecteur » sur des « territoires » et des « terres de champions » ayant vu grandir nombre d’internationaux français. Place au jeu désormais.
Ce 7 septembre, à J-1, TF1 diffusera en deuxième partie de soirée un documentaire immergeant le public dans la préparation du XV de France, baptisé Les Bleus en mission. En matière d’immersion dans le rugby, le groupe ne lésine pas sur le dispositif, s’étant notamment offert une recrue remarquée lors du mercato, Isabelle Ithurburu, longtemps figure du ballon ovale à Canal+, pour présenter ses magazines d’après-match. Comme consultants, il accueille plusieurs anciens internationaux, dont Christian Califano et Thomas Lombard, également DG du Stade Français. Le dispositif sera aussi digital avec, par exemple, l’accès à des résumés de matchs sur mesure (durée au choix) et en temps réel. Ambitieux, aussi, le dispositif mis en œuvre par Meta, pour sa première incursion de cette ampleur dans l’univers sportif. Le groupe a imaginé des « Superfans », des filtres en réalité augmentée destinés à accompagner la ferveur des supporters. Des partenariats ont été noués avec TF1 et L’Équipe pour des diffusions d’émissions en direct sur Facebook et Instagram, comme Fan zone, pour faire vivre les avant-matchs, avec TF1.