Tribune

Avec la multiplication des canaux d’information et la caisse de résonance qu’offrent les réseaux sociaux, il est compréhensible qu’une personne interviewée exige la relecture de ses propos. Aux attachés de presse de bien la cadrer.

Nous n’avons jamais été aussi bavards. Jamais nous n’avons produit autant d’informations. Jamais non plus la France n’a connu autant de médias. L’information est devenue du contenu éditorial, de la donnée de masse, un service payant, une valeur ajoutée, même de la fake news. Mais nous en sommes accros.

En France, les journalistes la recherchent, la traitent et la diffusent avec le plus de sérieux possible. Ce n’est pas toujours facile. L’un des défis récurrents de leur métier est celui de la demande de relecture des articles par les interviewés. C’est un sujet délicat car au cœur du pacte de confiance entre le journaliste et son lecteur. L’objectivité d’un article ne peut être trahie au profit de l’intérêt d’un tiers. Idéalisme peut-être, professionnalisme certainement.

Pourtant, la relecture des articles est une pratique assez courante. Certains titres de presse écrite parmi les plus prestigieux l’autorisent sous certaines conditions, d’autres la refusent catégoriquement. Le plus souvent, celles et ceux qui le demandent sont des politiques et des responsables de grandes entreprises. Alors qu’ils maîtrisent leur communication orale, ils souhaitent valider leurs propos par leur attaché(e) de presse ou leur dircab.

On peut comprendre les demandes de relecture. Les responsables d’entreprises cotées en Bourse se justifient par la réglementation de leur communication financière. Les politiques qui accordent un entretien d’une heure peuvent légitimement s’inquiéter du résumé qui en sera fait sur une demi-page. Et la retranscription d’une interview téléphonique, d’une conférence de presse, d’un dialogue impromptu ou d’un long entretien n’est pas aisée pour le journaliste qui devra forcément sélectionner des informations. Le journaliste choisira aussi un angle qui surprendra parfois les interviewés, leur donnant l’impression qu’une information secondaire devient le sujet principal.

Zone grise de négociation

Parfois, pour corriger un point technique, un chiffre ou éviter une erreur factuelle, une relecture est accordée. Pour qu’elles soient acceptables, ces éventuelles corrections ne peuvent être que minimes. Il arrive même que certains entretiens ne soient délivrés qu’à la condition d’une relecture de l’article. C’est la limite de l’acceptable.

Dans cette zone grise de négociation, les attaché(e) s de presse ont un rôle essentiel de médiation quand, bien sûr, ils sont missionnés pour le faire. C’est à eux d’expliquer les règles aux personnes interviewées, de bien connaître les journalistes pour préparer l’entretien avec diplomatie, et enfin d’accompagner celles et ceux qui souhaitent s’adresser à la presse. Car oui, les journalistes sont perpétuellement sollicités. Rien de plus agaçant pour eux que d’être assimilés à des relais de communication promotionnelle. C’est ainsi depuis toujours.

Mais l’époque a changé. Le digital perturbe le modèle économique de la presse et offre aux entreprises et aux politiques des outils d’expression directs vers leurs publics. Les terrifiants algorithmes des Gafa enferment aussi les citoyens dans des bulles d’informations. Et des propos mal interprétés sur la religion, l’identité ou bien l’histoire risquent de terminer en lynchages médiatiques sur les réseaux sociaux avec parfois de funestes conséquences. Dans ce contexte, les propos des interviewés comme les écrits des journalistes peuvent être périlleux. Toutes les thématiques n’ont pas la même gravité, mais on peut comprendre qu’un interviewé soit désormais circonspect et exige de relire ses propos. C’est une contrainte de plus pour les journalistes et un nouveau défi pour les attachés(e) s de presse.

Note de la rédaction : Stratégies n’est pas épargnée par ce phénomène. Notre politique est d’accepter les relectures quand il s’agit d’une interview qui est publiée comme telle dans le journal, mais pas les relectures de citations dans un article.

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