Commerces désertés, pertes colossales… L’économie californienne est en crise depuis l’arrêt quasi-total des tournages de films et séries provoqué par le mouvement social des scénaristes, débuté il y a exactement 100 jours. L’inquiétude grandit chez les commerçants et les habitants.
Dans son pressing juste à côté des studios Warner Bros et Disney, Tom Malian désespère face au manège roulant sur lequel il suspend chemises, vestes et pantalons : après plus de trois mois de grève d’Hollywood, deux tiers des emplacements restent vacants. L’arrêt quasi-total des tournages de films et séries provoqué par le mouvement social des scénaristes, débuté il y a exactement 100 jours et rejoint mi-juillet par les acteurs, a vidé bureaux et plateaux des quartiers alentours à Burbank, en banlieue de Los Angeles.
« Si personne n’est au bureau, aucun vêtement n’entre (chez nous), c’est aussi simple que cela », soupire ce commerçant de 56 ans, qui réalise 70 % de son chiffre d’affaires grâce aux employés des studios. Pour encaisser le choc, le patron a raccourci de trois heures les horaires d’ouverture de son magasin de huit employés. Des efforts qui ne suffisent pas à compenser l’effondrement de ses revenus.
« Mes factures sont toutes les mêmes, les dépenses sont toutes les mêmes, cela me donne des sueurs froides », confie ce commerçant, capable d’endurer quotidiennement les vapeurs à 65°C de ses machines à défroisser sans transpirer. Comme lui, les restaurateurs de cette ville située juste derrière les collines où serpente le fameux Mulholland Drive immortalisé par David Lynch, font grise mine. Même en plein coup de feu du midi, ils peinent à remplir leurs tables. « À ce stade, tout le monde souffre », constate Tom Malian, surpris par la durée exceptionnelle de cette grève.
Coût exorbitant
Traiteurs, fleuristes, boutiques de vêtements… À Los Angeles, les commerces qui profitent de la manne d’Hollywood sont légion : la production cinématographique et télévisuelle génère chaque année 70 milliards de dollars en salaires en Californie, selon la Film Commission de l’État. Quand ce poumon économique est à l’arrêt, le « Golden State » se grippe. La dernière grève des scénaristes en 2007-2008 a coûté 2,1 milliards de dollars à l’économie californienne en durant 100 jours, selon une analyse du Milken Institute.
Le mouvement social actuel - qui implique aussi les acteurs depuis un mois, une première depuis 1960 - vient de dépasser cette durée symbolique. Face aux désaccords majeurs avec les studios sur une meilleure répartition des revenus liés au streaming et d’éventuels garde-fous pour encadrer l’usage de l’intelligence artificielle, le conflit pourrait se poursuivre jusqu’à l’automne ou la fin d’année. Une perspective qui inquiète les Angelins. « J’ai perdu environ 75 % de mon business », explique à l’AFP Boris Sipen, patron d’une entreprise de transport privé.
Faute de tournages et de soirées promotionnelles, il n’emploie plus qu’une seule voiture sur les quatre véhicules de luxe qu’il possède, pour des courses vers l’aéroport. La plupart de ses chauffeurs « restent à la maison sans salaire » et l’entrepreneur ne sait pas combien de temps il pourra tenir. D’autant que les Emmy Awards, qui devaient avoir lieu en septembre et lui apportent une source majeure de revenus, ont été reportés sine die.
Pressions politiques
L’inquiétude semble gagner les poids lourds démocrates de Californie, qui multiplient appels du pied et pressions polies pour sortir de l’impasse. Fin juillet, le gouverneur Gavin Newsom a officiellement fait savoir qu’il avait proposé aux différentes parties de servir de médiateur.
Vendredi, la maire de Los Angeles Karen Bass a regretté « les répercussions profondément négatives » de la grève sur sa ville et s’est dit prête à « (s') engager personnellement » pour atteindre un accord. « Il est essentiel que ce problème soit résolu immédiatement », a-t-elle insisté.
Dans le salon de coiffure qu’elle vient d’ouvrir près de Warner Bros, Roxanne Schreiber espère aussi un compromis. Pour économiser, plusieurs de ses clientes commencent à reporter leurs rendez-vous, ou optent désormais pour une simple coupe, sans refaire leurs mèches. Cette prudence « va juste se propager, […] les gens ne vont pas faire autant de shopping », craint la trentenaire, elle-même contaminée par l’incertitude.
Le contrat de location de sa voiture expire en octobre et plutôt que de la changer, « je me dis que je vais peut-être la garder », confie-t-elle. Mais la commerçante n’en veut pas aux grévistes, à qui elle offre des réductions. Pour elle, la balle est dans le camp des grands patrons de Paramount, Netflix et consorts. « Nous savons tous que les studios gagnent de l’argent grâce au streaming », estime-t-elle. « Et ils ne le partagent pas. »