De la grève au JDD naîtra-t-il un renforcement des lois sur les médias ? Conditionnement des aides à la presse, renforcement du pouvoir des rédactions face aux actionnaires : si plusieurs pistes sont évoquées, elles n’ont jusqu’ici pas fait consensus.
« Les lois qui existent ne sont pas efficaces et sont inadaptées » au paysage médiatique actuel, estime auprès de l’AFP l’historien de la presse Alexis Lévrier. « La situation devient urgente » avec des patrons de presse qui « malmènent des rédactions », juge-t-il. Un point de vue partagé par une partie des milieux intellectuel et politique alors que s’est achevée mardi une grève inédite de 40 jours menée par la rédaction du Journal du dimanche pour protester contre l’arrivée à sa tête de Geoffroy Lejeune, marqué à l’extrême droite.
Les bras de fer se multiplient. En 2021, l’essentiel de la rédaction de Science et Vie a démissionné, inquiète pour son indépendance après le rachat du titre par Reworld Media. Plus récemment, des remous ont agité les quotidiens Le Parisien et Les Echos, détenus par le groupe LVMH du milliardaire Bernard Arnault.
Mais c’est le milliardaire Vincent Bolloré, à la tête de Vivendi depuis 2012, qui est au centre du débat. Ce magnat aux opinions réputées ultra-conservatrices a construit un empire médiatique, déclenchant au fil de ses acquisitions des grèves et des départs dans les rédactions : reprise en main du groupe Canal +, transformation d’iTELE en CNews, rachat en 2021 de Prisma Media, premier groupe de presse magazine en France, et dernièrement, absorption du groupe Lagardère, propriétaire d’Europe 1, Paris Match et du JDD, tous remaniés.
Face à l’ampleur de plusieurs opérations de concentration alors prévues dans le paysage médiatique français -comme la fusion TF1/M6, finalement avortée, et les assauts de Vivendi sur Lagardère- le Sénat avait lancé une commission d’enquête fin 2021. À l’issue d’une quarantaine d’auditions, un rapport a été publié fin mars, avec des préconisations pour renforcer l’indépendance et l’éthique au sein des médias.
Un équilibre législatif complexe
Se remémorant des débats tendus, son rapporteur David Assouline (PS) estime qu’il existe « deux visions sur cette question entre la droite et la gauche ». De « grands groupes privés, qui n’ont pas vocation à faire de la presse, sont propriétaires de l’essentiel des médias » ce qui « pose le problème de l’étanchéité entre l’actionnaire principal et les rédactions », or le journalisme n’est « pas une marchandise », pointe le sénateur, à l’origine d’une proposition de loi déposée en juillet. Ce texte propose de conditionner l’octroi des aides à la presse et l’attribution de fréquences audiovisuelles à un droit de veto des journalistes sur le choix du directeur de l’information.
Néanmoins, certains objectent que cela pourrait engendrer « un problème constitutionnel », faisant valoir qu'« on ne peut pas imposer à un actionnaire » ses employés, relève le socialiste. Deux autres propositions de loi ont suivi : l’une de la sénatrice UDI Nathalie Goulet pour « assurer la protection juridique des rédactions », l’autre de députés de divers bords politiques (sauf LR et RN) demandant aussi de conditionner les aides à la presse et d’octroyer plus de droits aux journalistes.
Reste une difficulté majeure : trouver le juste équilibre législatif pour « ne pas dissuader les investisseurs dans les médias tout en assurant l’indépendance rédactionnelle », souligne le sénateur centriste Laurent Lafon, président de la commission d’enquête sur la concentration des médias.
Cette « ligne de crête est tout à fait tenable », d’après Nathalie Sonnac, professeure à l’université Panthéon-Assas, qui développe sa position dans l’ouvrage « Le nouveau monde des médias : une urgence démocratique ». L’ancienne membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, devenu l’Arcom) milite pour des groupes de médias, privés comme publics, « forts » car « économiquement parlant, l’information coûte cher à produire ». « Mais ce n’est pas parce qu’on a une entreprise commerciale que ça l’empêche de s’inscrire dans un cadre très clair » exigeant une information « de qualité, c’est-à-dire sourcée et vérifiée ». Et « quand il y a ingérence, il faut que ce soit sanctionné lourdement », soutient l’universitaire.
Autant de pistes qui seront débattues en septembre lors des Etats généraux de l’information annoncées par l’Elysée sous la pression du conflit au JDD.