Face à la montée en puissance dans les médias de Vincent Bolloré, qui dément tout projet « politique », le gouvernement est divisé, oscillant entre condamnation et «embarras».

Que cherche Vincent Bolloré en tissant sa toile médiatique ? « Notre intérêt n’est pas politique, il n’est pas idéologique, c’est un intérêt purement économique », répondait devant le Sénat le 19 janvier 2022 l’industriel français.

Certes Vincent Bolloré n’a jamais affiché d’ambition politique personnelle comme le magnat des médias italien Silvio Berlusconi, devenu président du Conseil. Mais « tous les entrepreneurs qui se lancent dans la construction d’un empire médiatique ont autre chose qu’un projet de rentabilité économique. Car les médias ne sont pas rentables », estime le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite.

En ce qui concerne Vincent Bolloré, il s’agit d’un projet « métapolitique », explique-t-il, qui consiste à « penser que la diffusion des idées est le préalable de la conquête du pouvoir ». Et cette diffusion passe par les médias. En récolteront les fruits les candidats aux élections partageant sa « représentation idéologique », dans un spectre qui va de la droite LR jusqu’à Eric Zemmour, en passant par Marine Le Pen.

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Face à ce projet, le gouvernement est resté jusqu’à présent très prudent voire partagé sur une éventuelle riposte : « il ne revient pas à l’État aujourd’hui d’interférer dans le choix d’une rédaction du domaine privé », a rappelé le porte-parole du gouvernement Olivier Véran devant l’Assemblée nationale le 27 juin. En outre, au nom du pluralisme des médias, « la presse d’opinion est légale en France », a-t-il insisté.

La rédaction du JDD, qui devrait bientôt rejoindre la galaxie Bolloré et fait grève depuis plusieurs semaines contre la nomination à sa tête de Geoffroy Lejeune, journaliste marqué à l’extrême droite, a appelé samedi Emmanuel Macron à se « saisir au plus vite » des questions d’indépendance de la presse, dans une lettre publiée par Ouest-France. En épinglant à cette occasion « la discrétion » de l’exécutif qui « semble ainsi avaliser ce nouveau coup porté à l’indépendance des médias ».

La ministre de la Culture Rima Abdul Malak a certes engagé avec les parlementaires « une réflexion » pour faire évoluer la loi Bloche de 2016 qui vise à renforcer l’indépendance des médias, selon Olivier Véran. Les États généraux de l’information pourront aussi interroger la manière de « préserver les comités de rédaction de l’influence d’actionnaires extérieurs ». Mais le porte-parole admet qu’à ce stade, la seule question qui se pose est de savoir si M. Bolloré prend « acte de la volonté ou non des salariés » du JDD.

Ndiaye hausse le ton

Le ministre de l’Education nationale Pap Ndiaye a lui clairement affiché dimanche son soutien à la « mobilisation des personnels du JDD » en s’en prenant à Vincent Bolloré, un « personnage manifestement très proche de l’extrême droite la plus radicale » et à sa chaîne CNews, devenue « clairement d’extrême droite », tout comme la radio Europe 1. Des propos qui ont suscité la polémique jusque dans les rangs macronistes.

« Si je pensais qu’Europe 1 était une radio d’extrême droite, je ne serais pas venu à votre antenne ce matin », s’est ainsi démarqué mardi le ministre de la Fonction publique Stanislas Guerini. Le parti LR et des élus RN ont, eux, apporté leur soutien à CNews, quand le sénateur PS David Assouline, qui avait auditionné M. Bolloré, et plusieurs membres de l’aile gauche de la macronie, ont salué les propos de Pap Ndiaye.

Indépendance totale

Le sociologue Jean-Marie Charron décèle dans cette cacophonie « l’embarras » d’un gouvernement qui n’a « pas beaucoup de marge de manoeuvre » juridique.

« La loi sur la liberté de la presse de 1881 est extrêmement claire, elle dit que le propriétaire est le directeur de publication, et en tant que tel il a la main sur l’orientation éditoriale. Le rédacteur en chef ou le directeur de la rédaction, juridiquement ça n’existe pas », souligne-t-il.

Conçue à une époque où les journaux d’opinion étaient nombreux, elle vise à « laisser aux éditeurs la totale indépendance en matière de contenu ». Si bien que ce spécialiste des médias « ne voit pas du tout comment le politique peut interférer ».

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