Le gouvernement met en évidence le rôle des réseaux sociaux dans la circulation de vidéos tournées pendant les émeutes par les auteurs d’actions violentes. Contre-champ avec trois universitaires.

Des pillages ou des dégradations commises devant une nuée de téléphones par des acteurs qui sont aussi des vidéastes de leurs actes ? Alain Bauer, spécialiste de la sécurité, appelle cela « la téléréalité de l’émeute ». « On se met en scène, on se filme et il y a une compétition pour faire le buzz », estime sur BFMTV le président du syndicat des policiers municipaux. Après la mort de Nahel, tué par un policier, et les révoltes qui ont suivi, Emmanuel Macron a lui-même pointé la responsabilité des réseaux sociaux, en particulier Snapchat et TikTok, incitant à retirer les vidéos publiées et à identifier les auteurs. Les jeux vidéo et leurs effets supposés d’insensibilisation à la violence sont aussi mis en cause. Devant la flambée de vidéos d’émeutes ou de pillages, une réunion d’urgence a eu lieu le 30 juin entre Élisabeth Borne, Gérald Darmanin et les responsables de Meta, Snap, TikTok ou Twitter.

Le gouvernement entend exiger des plateformes, qui servent à faire converger des mineurs de 14 à 17 ans sur des actions de vandalisme ou de pillage, qu’elles retirent les vidéos sensibles ou les appels à la violence. Il parle de « mimétisme de la violence ». Mais la caméra des smartphones est aussi ce qui a permis de mettre à mal la version officielle de la mort de Nahel, relayée par des médias souvent dépendants de leurs sources policières. « Quelqu’un a filmé, et cela a eu un rôle déterminant dans la remise en cause de cette vérité officielle, constate Édouard Bouté, chercheur au Ceres (Sorbonne). Il y a déjà eu à Nice des images invalidant une version policière, mais cela n’a pas suscité autant de réactions. Ce qui change, c’est que cette vidéo va réussir à circuler en France et à indigner ». À Angoulême, rappelle Daniel Schneidermann dans Libé, le Guinéen Alhoussein Camara a aussi été tué par un policier après un refus d’obtempérer. Mais il n’y avait pas de vidéo…

Comme le note Arnaud Mercier, professeur à l’Institut français de presse (Assas), les émeutes de 2005 avaient déjà montré une sorte de mimétisme avec son décompte de voiture brûlées, orchestré par les médias. Les images ne circulaient pas encore sur les réseaux sociaux mais des quartiers se comparaient déjà à d’autres par l’écho qu’ils trouvaient dans les JT. Cette fois, il y a des images spectaculaires en raison de l’usage des mortiers d’artifice et d’autres, prises sur le vif avec des portables. Faut-il y voir la résultante d’une boucle de médiatisation autonome, fonctionnant sur les messageries et de façon hermétique par rapport aux médias traditionnels ? Arnaud Mercier n’y croit pas. Il y a toujours interpénétration des deux mondes. « Il y a des lieux de délibération sur les réseaux sociaux mais qui ne se font pas autour de l’information », constate Pascal Froissart, professeur au Celsa, qui appelle à se méfier de tout « techno-déterminisme » qui verrait « des liens de causes à effets directs avec la crise sociale » ou des populations fragiles plus perméables aux dérives de la technologie. « Le cadrage ne se situe pas que sur la circulation des images, il ne faut pas oublier que les motifs de révolte peuvent être associés au sentiment d’injustice », conclut Arnaud Mercier.