Le président d’Arte, Bruno Patino, revient sur les préconisations concernant l’audiovisuel public. Et milite pour qu’Arte.tv devienne la plateforme culturelle de référence de l’Union européenne.
Comment réagissez-vous au rapport de la mission sur l’avenir de l’audiovisuel public ? Arte n’a pas vocation à être chapeautée par un holding public mais la préconisation d’un financement par une part de TVA après 2024 vous concerne.
Bruno Patino. Arte est membre de l’audiovisuel public français mais c’est avant tout le résultat d’une ambition, d’une gouvernance et d’une ligne éditoriale binationales. On est très favorable aux coopérations avec nos « cousins » français mais étant un projet franco-allemand, né d’un traité interétatique, nous sommes spécifiques en termes de gouvernance. C’est reconnu par la proposition de loi sénatoriale Lafon-Hugonet comme par ce rapport de l’Assemblée nationale. Concernant le financement, une budgétisation simple poserait un vrai problème diplomatique avec la partie allemande. On se réjouit de voir les députés proposer une fraction de TVA en 2025 et un prélèvement sur recettes.
Est-ce suffisant ?
L’audiovisuel public a besoin d’un financement pérenne, si possible pluriannuel mais le droit budgétaire français ne le permet pas. La redevance traduisait bien le pacte entre les Français et leur audiovisuel public, mais le fractionnement de TVA est une solution bien plus positive que la budgétisation. Faut-il changer pour cela la loi organique ? Les spécialistes ne sont pas tous d’accord. Le cas échéant, ce sera alors tout un mécanisme parlementaire.
Sur France Télévisions, dont vous avez été directeur général, faut-il interdire toute forme de publicité après 20 heures en attendant une compensation par une taxe, comme le demande le rapport ?
France Télévisions doit avoir les ressources pour l’accomplissement de ses missions, et une part de ces ressources est due au parrainage et à la publicité digitale. Sur le mécanisme de compensation budgétaire, le passé montre qu’il n’a pas duré la pluri-annuité qu’il aurait dû durer… [Bip d’alerte sur téléphone portable]. Pardon, les audiences viennent de tomber…
On a beau être sur Arte, on suit les audiences comme à TF1…
Bien sûr. Notre objectif n’est pas l’audience mais on fait des programmes pour être vus. Pour maximiser notre utilité sociale. Je n’ai pas envie qu’on soit une chaîne ornementale, Arte doit avoir de l’importance dans la vie des gens. On y arrive depuis quelques années.
Le président d’Arte n’est pas nommé par le régulateur mais par son conseil de surveillance. C’est surprenant pour une entreprise publique…
Pour une entreprise audiovisuelle publique car c’est totalement classique par rapport à d’autres entreprises publiques. Du fait de notre statut binational, étant l’objet d’un traité international, Arte n’est pas soumis à la régulation de l’Arcom, même si nous regardons les directives du régulateur sur les équilibres de temps de parole, les protections des jeunes publics ou les présences à l’antenne.
Faut-il garantir les ressources d’Arte ? Y a-t-il des inquiétudes ?
Les politiques de finances publiques sont très attentives à la façon dont sont gérés les fonds publics. En 2023, nous avons été entendus, avec une hausse budgétaire de 4 %, après des années de baisse entre 2018 et 2022. Nous sommes une entreprise qui ne cesse de se développer, dont les performances sont meilleures année après année, tout en étant une chaîne, une plateforme et des chaînes sociales. Eclectisation, plateformisation et européisation sont nos trois axes. Sur ce dernier point, on a un vrai coup à jouer avec Arte.tv qui est en français, allemand mais aussi espagnol, anglais, italien et polonais. On est passé de 450 à bientôt 1 700 heures par an. Nous répondons à des appels à projets de l’Union européenne. Nous en avons remporté quatre, à hauteur de 4 à 4,5 millions d’euros par an, pour le développement de la plateforme, ses langues, son sous-titrage, ou en faveur du cinéma d’auteur européen (Arte Kino). Ce sont de petites rivières qui ne font pas encore un fleuve. Les soutiens des commissaires Thierry Breton et Mariya Gabriel ont été très précieux.
Et en 2024, le rebond budgétaire va-t-il se poursuivre ? Il y a l’inflation et l’hyper concurrence avec des plateformes… Pas simple quand il faut négocier des droits…
Je salue qu’on ait mis fin à la baisse régulière de notre budget. Cela nous permet de rétablir le niveau d’activité d’il y a deux ou trois ans. Mais dans un contexte d’inflation économique et sectoriel, de tension sur les coûts, c’est une évidence que c’est très tendu sur notre niveau d’activité et c’est totalement insuffisant dans la perspective d’un développement européen. Arte.tv est un outil formidable d’appartenance européenne qui rend accessible non seulement des programmes mais la complexité du monde, des premiers films, des œuvres complexes… On a un coup à jouer pour le faire exister en six langues. Je suis prêt pour cela à un budget et des objectifs fléchés sur ce projet. Pour toucher 80 % des Européens, c’est 36 millions d’euros. Arte est née pour être européenne. Le « e » de l’acronyme Arte c’est d’ailleurs « européenne » : nous devons contribuer au rapprochement des peuples d’Europe par la culture. Nous avons déjà 480 coproductions européennes par an.
Et pourquoi pas plutôt les programmes d’Arte sur YouTube avec de l’IA pour la traduction ?
Ce n’est pas antinomique. Nous avons développé notre chaîne YouTube dans plusieurs pays d’Europe. Nous avons 25 millions d’abonnés sur nos chaînes sociales. À chaque usage son offre artésienne. Mais nous avons des droits Europe que nous n’exploitons pas bien pour des raisons linguistiques. Prenez le documentaire sur Wagner. À moins de parler français ou allemand, vous ne verrez pas le programme. On teste par ailleurs la traduction assistée par l’IA. La plateforme est déjà agnostique sur le plan technologique avec pour la France, l’IPTV et ses magasins applicatifs et, pour l’Allemagne, la norme HBBTV. Elle peut être distribuée sur pratiquement tous les téléviseurs européens.
Dans un monde d’abondance, vous dîtes que le grand enjeu est la « découvrabilité ». C’est-à-dire ?
Oui, notre boulot est faire trouver aux gens des choses qu’ils ne cherchent pas. Cela tient à notre liberté. Cela passe par la prescription qui ne marche que parce qu’on fait confiance, si on est un tiers de confiance dans un monde de défiance. On essaye d’avoir une plateforme éditorialisée. Mais la découvrabilité, c’est aussi de tenir compte du règne de l’algorithme. Il faut savoir ne pas se le mettre à dos. Sur YouTube, où nous avons 90 millions de vues par mois, nous avons des durées de visionnage de 15 à 20 minutes, ce qui est très important. C’est pour cela que nous sommes la chaîne de documentaires de YouTube. Et une chaîne de jeunes.
Sur les magasins d’application, faut-il des services d’intérêts généraux ?
Mille fois oui ! C’est en enjeu phénoménal de découvrabilité. Dans cette jungle des deals mondiaux sur les têtes de gondole, qui vont des applications à la présence sur les boutons de télécommande, c’est un enjeu très important. Je parlais déjà d’une loi Bichet du numérique en 2014. Au-delà de la visibilité, il faut une harmonisation des normes en Europe.