Delphine Ernotte et Rodolphe Belmer, les patrons de France Télévisions et de TF1, s’opposent sur le rôle du service public. Un lobbying et un contre-lobbying qui surviennent dans un marché fébrile.
Rodolphe Belmer, PDG de TF1 et président de l’Association des chaînes privées (ACP), et Delphine Ernotte, son homologue à France Télévisions, devraient se rencontrer pour tenter d’arrondir les angles. Dans une lettre surprise à la Première ministre, le 10 mai, l’ACP a été la première à ouvrir le feu contre « une programmation étonnamment commerciale sur ses grandes chaînes et en particulier France 2 » alors que les missions de service public, dans le spectacle vivant notamment, seraient concentrées sur France 4, Culturebox ou le digital. La lettre note « l’absence de diversité en matière de fiction française avec une programmation principalement policière » et suggère une clarification des rôles du service public sur « les genres populaires comme le sport, la fiction ou le cinéma américain ». Dans la publicité, elle appelle à « mettre fin aux pratiques de contournement de France Télévisions » via le sponsoring, les décrochages régionaux ou le digital, ses recettes en replay représentant déjà « 15 % du marché ». De plus, il s’agit de faire obstacle à tout élargissement publicitaire après 20 heures, même pour financer les JO de Paris. Rodolphe Belmer s’est entretenu en ce sens avec la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak.
Selon l’ACP, le groupe public, qui négocie pour cinq ans son contrat d’objectifs et de moyens, devrait disposer d’objectifs de diffusion chiffrés, chaîne par chaîne, comme les groupes privés, au lieu de pouvoir se contenter d’indicateurs pour le groupe. « Personne n’est dupe sur le calendrier et les raisons de ces attaques particulièrement injustes », a répliqué Delphine Ernotte, dans une lettre à ses salariés, y voyant « surtout le signe d’une très grande fébrilité ». Explication : « Les audiences de France 2 et TF1 n’ont jamais été aussi proches. Depuis le début de l’année, nos deux chaînes amiral France 2 et France 3 sont leaders plus de deux soirées sur trois chaque semaine », écrit la PDG.
Au lendemain de la lettre de l’ACP, France Télévisions a informé Newen, la filiale du groupe privé, de « la suppression d’une partie de ses commandes » notamment sur les documentaires de Capa, selon TF1, qui dénonce « une intention de rétorsion, en prenant en otage Newen, ses auteurs, ses producteurs et ses journalistes ». Faux, rétorque France TV, pour qui il n’y a « aucun boycott », les fictions ayant été renouvelées. Le volume de commandes est néanmoins en baisse sur trois ou quatre ans.
Fébrilité ? La lettre de l’ACP reconnaît un « marché publicitaire atone ». Mais, selon nos informations, les chaînes privées anticipent des recettes de publicité à -7 % voire -8 % sur 2023 après deux mauvais premiers trimestres. C’est de devoir investir dans leur transformation au moment même où leurs revenus se rétractent qui rend nerveuses TF1 et les chaînes privées. Alors qu’elles menacent de saisir Bruxelles, elles devraient obtenir dans le cahier des charges de France TV des « déclinaisons un peu plus précises chaîne par chaîne », selon une source officielle, afin d’éviter que MasterChef s’impose sur France 2 à la place d’une programmation culturelle. Le ministère de la Culture devrait aussi s’opposer à toute velléité de Bercy de régler la question de l’après financement par la TVA, en 2025, par de la pub après 20 heures.