L’Hexagone figure aujourd’hui parmi les plus mauvais élèves en Europe de la représentation du handicap à la télévision. Le salut pourrait venir de la fiction, avec de récentes initiatives à succès qui montrent la voie.
Dénoncés par l’Arcom dans ses rapports, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Alors que les personnes en situation de handicap représentent 20 % de la population, leur part de visibilité en télévision se fixait à 0,8 % en 2021. Et avec 8,2 % pour le Royaume-Uni, 2,1 % pour l’Espagne et 1,6 % pour l’Italie, il est clair que l’Europe ne propose pas de bons ou de mauvais élèves, mais seulement de moins médiocres que d’autres.
En France, 60 % de cette représentation est concentrée dans la fiction. Le genre, comme le rappelle l’Arcom, sait faire évoluer les imaginaires collectifs et la formation des opinions. « La fiction construit des représentations, crée des modèles et amenuise l’autocensure, résume Marie-Anne Bernard, directrice RSE à France Télévisions. Elle permet également d’augmenter la connaissance des handicaps pour tous. » Une opinion partagée par Laura Kaim, fondatrice de l’agence de casting inclusive Singularist : « Quand un documentaire apprend, la fiction touche au cœur. L’attachement aux personnages lève des blocages et contribue à la dédramatisation. »
Engagés avec l’Arcom par une charte du 3 décembre 2019, les professionnels sont depuis peu à l’ouvrage, le temps long des projets masquant les progrès. Les premiers pas volontaristes ont eu lieu sur France Télévisions dès 2010 avec la pastille quotidienne humoristique Vestiaires, positionnée en sortie du JT. Un pari à l’époque, qui s’est avéré gagnant.
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Atypical sur Netflix, Les Bracelets rouges ou Mention particulière sur TF1, Handicops sur France Télévisions ou encore la série Good Doctor… L’exercice maintenant se généralise, souvent sur des grands carrefours d’audience. Pour Anne Viau, directrice de la fiction chez TF1, « la puissance du récit fait évoluer les choses. Entre les feuilletons quotidiens et le prime time événementiel, le terrain de jeu est vaste, avec des fictions qui permettent d’ouvrir le débat, de sensibiliser, de faire exister… Il s’agit bien d’aborder les questions liées au handicap mais aussi de mettre en scène des personnages dont le handicap n’a rien à voir avec ce qu’ils vivent. »
Ces nouveaux récits font carton plein. Au total, 15 millions de téléspectateurs ont suivi la série Lycée Toulouse-Lautrec sur TF1 (20 % de part d’audience en moyenne), quand la saison 3 d’Astrid et Raphaëlle sur France 2 a réuni presque 6 millions de téléspectateurs en prime ou que la saison 5 de Skam, qui suit le destin d’un adolescent devenu sourd, a cumulé 5 millions de vues sur France.tv et YouTube.
La dynamique est réelle. Ces diffuseurs ont d’ailleurs fait part aux productions de leur souhait d’intégrer davantage ces programmes. Certains producteurs comme Quad ont décidé de systématiser l’audition d’acteurs en situation de handicap dans tous les castings. « Pour lutter contre le phénomène d’autocensure, nous sollicitons des agences de casting inclusives, précise Iris Bucher, fondatrice de Quad Drama et présidente de l’USPA, l’instance interprofessionnelle du métier. La consigne est aussi donnée sur la figuration pour retrouver la vraie rue dans nos fictions. »
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Mais transformer prendra du temps. Le Royaume-Uni a ainsi estimé que la parfaite représentation serait atteinte en 2040, des objectifs chiffrés ont été assignés pour accélérer le processus. Même démarche pour l’académie des Oscars, qui a imposé des critères de diversité pour candidater. Cette politique du chiffre, la France ne peut se l’offrir en raison d’une culture protectrice de la donnée, qui interdit de recenser quelqu’un par son état physique. Adieu également les fiches casting ouvrant explicitement les rôles à des personnes en situation de handicap ; elles seraient lourdement sanctionnées par le code du travail et le code pénal.
Il faudra donc autre chose. Du bon sens d’abord, pour garantir la qualité au-delà de la quantité. « Compassion, victimisation, registre du superhéros… Il faut casser les stéréotypes habituels qui contribuent à marginaliser », rappelle Laura Kaim. Pour Patrice Tripoteau, directeur général adjoint d’APF France handicap, les rôles ne doivent plus non plus assigner les personnes en situation de handicap à celui-ci : « Décloisonnons. Demain, un téléspectateur doit pouvoir avoir envie de s’identifier à une personne en situation de handicap pour l’histoire qu’elle porte et non au regard de son handicap. »
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Autre point, le travail sur la crédibilité des situations, chantier sur lequel certains choisissent de se faire accompagner par des associations. Netflix vient ainsi d’opérer un travail de fond avec l’Association pour adultes et jeunes handicapés sur la pertinence du sous-titrage et les termes les plus adaptés. Dernier chantier enfin, celui de la formation. Pour Marie-Anne Bernard, tout commence ici : « Les écoles du secteur n’offrent pas encore assez de formations adaptées et nous devons tous y travailler pour ensuite recruter. Le volet de l’évangélisation est aussi essentiel. » L’appel à projets « Les uns et les autres » du CNC viendra prochainement compléter cette chaîne pédagogique, avec la création de différents outils communs à tout le secteur.
Toutefois, comme le rappelle Patrice Tripoteau, « il n’est pas possible de se contenter de belles initiatives. Elles sont intéressantes, mais la représentation réelle n’est toujours pas là. » La mobilisation naissante des professionnels pourrait néanmoins changer les choses. Les forts enjeux de RSE également, les notations extrafinancières comptant de plus en plus dans l’évaluation des entreprises. On a le droit d’y croire.
Quand la fiction bouscule la réalité
Lycée Toulouse-Lautrec est la dernière fierté du groupe TF1. Imaginé par la scénariste et réalisatrice engagée Fanny Riedberger, qui y raconte son adolescence, l’exercice oscille entre fiction sur le handicap et teen movie où l’on parle d’amour, de sexualité et de parents qui ne comprennent rien. La structure éducative du film existe vraiment, accueillant à Vaucresson valides et non-valides, avec un centre médical internalisé. Et si l’établissement luttait encore en mars dernier contre la suppression annoncée d’un poste d’infirmière, le coup de projecteur a tout changé, provoquant dans la foulée la visite de deux ministres. L’Éducation nationale a depuis fait marche arrière.