[Tribune] Les récentes révélations du collectif de journalistes Forbidden Stories montrent que l’automatisation de la désinformation à grande échelle est le dernier rebondissement du phénomène des fake news.
La désinformation devient un marché très lucratif. Ses motivations sont multiples. D’abord, l’appât du gain d’escrocs spécialistes de la manipulation de cours de sociétés cotées ou de cryptomonnaies. On y trouve aussi des entreprises malveillantes souhaitant déstabiliser la réputation de leurs concurrentes. Autre motivation, l’activisme écologique d’organisations, comme les Yes Men ou Extinction Rebellion, s’appuyant sur de faux communiqués destinés à challenger la réputation de grandes entreprises. Les cas récents de manipulation de la communication d’Adidas ou de BlackRock en témoignent.
La méthode la plus fréquemment utilisée est de laisser croire qu’une info est fiable en usurpant l’identité de l’émetteur supposé de cette info. En analysant de près ce phénomène, on constate notamment l’émergence des «dark PR», où des agences plus ou moins officielles sont devenues des spécialistes de la manipulation de l’information. Des sortes de mercenaires de la désinformation dotés d’outils à la pointe de la technologie.
En effet, l’intelligence artificielle ne permet pas seulement, comme ChatGPT, de créer des contenus divers. Elle permet aussi de produire en quelques secondes des contenus viraux en grande quantité, de mettre en ligne des articles, des posts ou des tweets, dans la langue de son choix, et de les répandre automatiquement et à grande vitesse via Facebook, Twitter ou Instagram. Une sorte d’industrialisation de la désinformation que dénonce et décrit en détail Forbidden Stories, la plateforme de l'association de journalistes Freedom Voices Network, soutenue par Reporters Sans Frontières.
Professionnalisation de la tromperie
Au grand dam des nombreuses agences qui travaillent avec éthique, ces «professionnels de la communication» organisent des opérations de désinformation pour le compte de tous ceux qui ont les moyens d’acheter leurs services. Selon Nathaniel Gleicher, responsable de la cybersécurité de Meta, «la professionnalisation de la tromperie est une menace croissante».
Les plateformes éprouvent de plus en plus de difficultés à empêcher les dark PR d’envahir leurs écosystèmes. «Si une agence travaille sur plusieurs plateformes pour de nombreux clients différents, nous ne pourrons peut-être pas les détruire complètement, précise Nathaniel Gleicher, de Facebook. Notre approche consiste à retirer les pages impliquées dans une opération spécifique et à interdire toute l'organisation à l’origine de cette page.» Une activité difficile quand la technologie permet de créer en temps réel un nombre illimité de comptes destinés à la propagation d’une fake news.