Les tensions au Mali placent France 24 et RFI au centre d’une guerre d’influence entre Russie, Chine, Turquie et l’ancienne puissance coloniale. De leur côté, TV5Monde et Canal + jouent la différence et développent des productions locales.
L’Afrique est décidément un continent qui suscite toutes les convoitises. Depuis quelques années, le continent est redevenu l’objet d’enjeux géostratégiques majeurs, la Chine, la Russie et la Turquie y poussant activement leurs pions. La France en a fait les frais au Mali, où les antennes de France 24 et de RFI, suivies quotidiennement par près d’un tiers des 20 millions de Maliens, ont été fermées en mars 2022 par la junte au pouvoir.
« Il y a un mouvement de dégagisme, spontané ou non, qui touche de près ou de loin tout ce qui concerne la France », constate Cécile Mégie, directrice de RFI, en soulignant que la radio « a une position historique en Afrique qui peut se retourner contre nous ». « Il se joue actuellement une guerre informationnelle, menée notamment par la Russie, tout particulièrement en Afrique », pointe plus précisément Vanessa Burggraf, directrice de France 24. « Cela devient très compliqué pour nous et pour nos correspondants », déplore-t-elle. « La situation nous oblige à être encore plus vigilants que par le passé, à être, plus que jamais, irréprochables, multi-voix et d’offrir du débat équilibré », renchérit Cécile Mégie. Le récent coup d’État au Burkina Faso et les manifestations anti-françaises font craindre un effet domino.
Dans ce contexte, les chaînes publiques d’information françaises rappellent de concert qu’elles ne sont pas des chaînes d’État, mais des chaînes de service public. Toutefois, une déclaration d’Emmanuel Macron sème le trouble. Le 1er septembre, devant la conférence des ambassadeurs, le chef de l’État les invitait à « assumer une stratégie d’influence » pour contrer « le narratif, russe, chinois ou turc » en Afrique en appelant à « mieux utiliser le réseau France Médias Monde ». Une déclaration qui a suscité de vives réactions des journalistes de France 24, craignant que la chaîne ne soit justement assimilée à un simple « porte-voix de l’Élysée »…
Lire aussi : Les télés africaines à l’heure du Mondial au Qatar
L’Afrique est aussi un enjeu majeur pour les autres chaînes francophones qui ne misent pas, ou pas exclusivement, sur l’information. « L’Afrique occupe une place majeure à TV5Monde. Elle est au cœur de notre plan stratégique et de nos investissements », rappelle Yves Bigot, son PDG. Les deux chaînes diffusées sur le continent, TV5Monde Afrique et TV5Monde Maghreb-Moyen-Orient, « sont celles qui disposent du plus grand nombre de productions particulières : journal télévisé Afrique quotidien, magazines, séries, documentaires, animation, cinéma, spectacle vivant, sports… », souligne-t-il. La chaîne internationale s’inscrit aussi dans cette préoccupation d’apporter « à [ses] téléspectateurs et internautes africains une information fiable et vérifiée » au travers des JT et magazines d’information des chaînes actionnaires, mais aussi via sa production propre de magazines (Internationales en partenariat avec Le Monde, Maghreb-Orient Express, Objectif Monde…).
Canal+ a fait, lui, le choix d’ignorer totalement l’information. « Le choix de notre groupe est de ne pas aller sur le terrain de l’information, au-delà de la diffusion de CNews, souligne Fabrice Faux, directeur des programmes de Canal+ International. C’est un choix éditorial, afin de respecter les sensibilités des pays dans lesquels nous sommes présents. »
Pour faire face à l’interdiction de diffusion ou à des risques de blocage dans d’autres pays, les chaînes publiques d’information misent sur leur diffusion via les plateformes numériques, mais aussi grâce à des solutions alternatives. En partenariat avec Reporters sans Frontières, les sites internet de France 24 et de RFI sont accessibles via des sites miroirs ou en utilisant un VPN ; RFI peut aussi être écouté dans cette zone grâce à sa diffusion en ondes courtes. Mais c’est surtout les plateformes numériques qui constituent l’alternative la plus importante. « Nous mettons le paquet sur le développement du numérique », rappelle Vanessa Burggraf, de France 24, qui souligne que Le Journal de l’Afrique réalise des scores d’audience très importants sur YouTube. Pour accompagner ce déploiement de l’antenne numérique, France 24 développe des productions propres sur YouTube comme L’Instant mobile. Son audience numérique a crû de 34 % au 1er semestre 2022. Pour RFI, l’audience sur YouTube est passée de 1,7 % au 1er semestre 2021 à 6,3 % aujourd’hui (de la 9e à la 5e place), un effet direct du report d’audience sur le numérique lié au Mali, selon Cécile Mégie.
Une stratégie aussi suivie par TV5Monde. « Nous pratiquons l’hyper-distribution, nos chaînes et nos supports numériques sont disponibles sous toutes les formes existantes », notamment via des partenariats avec Orange et MTN, détaille Yves Bigot. « Nous produisons un certain nombre de modules adaptés à la consommation sur téléphone intelligent, tels que Encre noire, consacré aux écrivains africains, et à travers un partenariat avec Brut Afrique, de même que des webfictions comme Mbaku, le marabout », détaille-t-il.
Lire aussi : Ces éditeurs de presse qui se focalisent sur l’Afrique
Sur les fictions et les divertissements, le groupe Canal+ fait le pari d’« africaniser son offre », selon Fabrice Faux. « Notre bouquet devient progressivement un bouquet 100 % africain », précise-t-il. Le groupe privé propose six offres d’abonnement, de l’offre premium « Tout Canal+ » (à 40 000 francs CFA par mois, environ 60 euros) à l’Access (5 000 francs CFA, 7,60 euros). C’est surtout sur cette dernière que le groupe mise pour son développement en Afrique (6 millions d’abonnés contre environ 300 000 au début des années 2010). « Notre croissance ne se fait plus dans les grandes villes, mais dans les villes moyennes et les zones rurales », explique le directeur des programmes.
« La majorité de notre public n’est désormais plus cette super-élite urbaine tournée vers l’Europe, mais des familles plus modestes qui apprécient des programmes populaires, africains en langue locale », poursuit-il. Le groupe déploie donc une stratégie de développement de chaînes en langues africaines, malgache, wolof au Sénégal, lingala en RDC et au Congo et, depuis octobre, au Rwanda, ainsi qu’un projet en Éthiopie. « Ces chaînes locales diffusent 100 % de productions locales », souligne Fabrice Faux. Et le groupe Canal+ a acquis en 2019 deux studios à Nollywood, l’industrie nigériane du cinéma, la deuxième au monde en nombre de films produits (derrière l’Inde).
Sur les offres premium, l’offre de Canal+ a donc été « africanisée » en déclinant des succès occidentaux : Le Chœur des femmes, un talk-show 100 % féminin de type Frou-Frou, le jeu Quatre mariages pour une lune de miel, Le Bachelor et des séries panafricaines de 52 minutes en français. L’offre la plus accessible est bâtie, elle, autour du sport et de feuilletons locaux de 26 minutes. Canal+ produit environ 2 000 épisodes par an à destination de l’Afrique, principalement des 26 minutes, mais reconnaît l’« énorme défi de formation » auquel elle est confrontée pour ses productions africaines face à la rareté de la plupart des profils : réalisateurs, cadreurs, scénaristes…
TV5Monde est aussi très engagé dans la production locale. « Nous intervenons dans la production locale à travers de très nombreuses coproductions ou préachats de films de cinéma (Atlantique, Timbuktu…), des téléfilms, des séries télévisées (River Hotel, Les Secrets de l’amour…), des documentaires, de l’animation, mais aussi des magazines (Les Maternelles d’Afrique, Bonne Santé !…) », précise Yves Bigot.
Lire aussi : L'ardue régulation des infox sur les réseaux sociaux en Afrique
La plupart des séries africaines populaires de Canal+ tournent beaucoup autour de la place de la femme dans la famille et dans la société, et de l’émancipation féminine dans une société encore très patriarcale. Une problématique similaire à celles de France 24 et de RFI. La radio a renforcé depuis 2020 ses émissions en fulfulde (peul) et mandenka (50 à 60 millions de locuteurs), permettant notamment de toucher les femmes, les enfants et les populations peu scolarisées, dans une zone où l’accès à l’éducation – et donc à la langue française – est de plus en plus difficile en raison notamment de la poussée des groupes islamistes radicaux. Cécile Mégie, de RFI, résume cette stratégie : « Notre rôle, c’est de porter la francophonie dans le plurilinguisme. »
Plumm TV s’adresse aux millennials des deux rives de la Méditerrannée
Ambitionnant initialement de créer un Arte franco-algérien, Rachid Arhab, ancien présentateur du JT de France 2 et ex-membre du CSA, devrait prochainement lancer Plumm TV en association avec Pascal Josèphe (TF1) et Guillaume Pfister (Deezer). Plumm TV se définit comme un média « 100 % vidéo, 100 % social, 100 % méditerranéen » s’adressant aux 67 millions de millennials sur ce bassin de population. « La Méditerranée [est] un horizon culturel à rayonnement international, bien au-delà de sa géographie », affirment les promoteurs du projet. Le contenu sera dédié à l’entertainment et à la création : social, identité, découverte, humour, spectacle vivant, cinéma… Plus de 30 formats originaux seront proposés aux auditeurs pour une durée moyenne de 3 à 4 minutes. Plumm se veut aussi une « content factory » qui va réaliser du brand conte