Toutes les études concordent cette année à relever un dynamisme inédit pour l’audio digital. Acteurs, apport du média, nouveaux inventaires, stratégies annonceurs, défis et perspectives… Exploration d’un nouveau marché.
C’est l’une des révélations média de l’année. L’audio digital, qui regroupe la radio, le streaming et les podcasts, qu'ils soient replay ou natifs, capte cette année des niveaux d’investissements publicitaires inédits. Le dernier Observatoire de l’e-pub du SRI et de l'Udecam fait état d’une augmentation de 50 % en un an. Les montants totaux, 29 millions d'euros au premier semestre 2022, sont encore modestes, mais la progression, considérable.
Cet essor, comme souvent, est fortement tiré par l’usage utilisateur, mais aussi soutenu par un phénomène de digitalisation globale des médias, ou encore par une démocratisation des services de streaming. « La quasi-totalité de notre consommation média passe par notre ordinateur et notre téléphone, ce qui change les comportements. Les nouvelles générations éprouvent désormais le besoin de rechercher leur contenu de manière volontaire », rappelle aussi Kamel El Hadef, cofondateur de Audion, ad tech spécialisée dans la monétisation des contenus et activations publicitaires.
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L’écosystème, en pleine effervescence, sait parfaitement capitaliser sur ces nouvelles opportunités, et ce, quels que soient les acteurs. La croissance de la radio digitale par exemple, toujours à deux chiffres, démontre à ceux qui jouent les Cassandre que ce média historique sait opérer sa mue. Un fait confirmé par Maxime André, directeur marketing pour M6 publicité : « 57% des écoutes audio sont consacrées aux contenus radio direct et replay. Nous sommes toujours sur un mass média consommé par 41 millions de Français par jour dont, ne l’oublions pas, 12,7 millions en simultané le matin à 8 heures. »
Les annonceurs savent aussi tirer leur épingle du jeu en dynamisant leurs plans avec ce nouveau segment. « La radio est saturée, notre secteur préemptant près de la moitié des inventaires, témoigne Mathieu Lepoutre, responsable médias 360 pour Auchan. Les plans ne sont plus garantis. L’audio digital nous offre donc de nouveaux espaces, qui ont l’avantage d’être premium, et nous permet de bénéficier d’une écoute qualitative qui facilite la mémorisation. Le ciblage offert par le digital est précieux, nous permettant aujourd’hui, avec des acteurs comme Spotify ou YouTube Audio Ads, de géolocaliser nos investissements audio selon nos zones de chalandises. Ce degré de personnalisation augmente le potentiel de trafic sur point de vente et nous permet surtout de travailler sans déperdition sur les 42 % du territoire que nous couvrons. »
Avec 150 campagnes audio digital par an, Auchan déclare avoir fait évoluer son médiaplanning vers une approche de stratégie audio globale et confesse avoir obtenu, grâce aux logiques de ciblage pratiquées sur Spotify, 15 % de reach incrémental. Pour Didier Sahok, directeur des études médias pour Dentsu France, l’audio digital complète parfaitement une campagne radio, avec des formats mutualisables et la possibilité d’atteindre de nouvelles audiences additionnelles plus jeunes. « Notre panel propriétaire annuel M1 indique que l’âge moyen de l’auditeur en audio digital est de 38 ans versus 48 ans pour l’auditeur radio traditionnelle. L’impact et la puissance de la voix, l’atout de la mobilité, la maîtrise des coûts et le sujet de la brand safety font le reste », poursuit Didier Sahok. Maxime André confirme retrouver pour ses marques RTL, RTL2 et Fun radio, la même typologie d’annonceurs : « grande distribution, automobile, télécommunications… Les principaux secteurs qui communiquent en audio digital sont globalement les mêmes qu’en radio, à l’exception de quelques annonceurs exclusifs audio digital. »
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Pour stimuler cette fidélité, l’écosystème s’attache à créer un dynamisme certain en termes d’offres de format et d’innovation média, comme le note Didier Sahok. « Des initiatives fortes sont prises sur la création originale de podcasts ou d’opérations spéciales sur ce nouveau média. La généralisation du programmatique et du ciblage en temps réel via DCO montent en puissance. Enfin, on assiste à l’invention de nouveaux formats inédits », détaille le directeur des études médias de Dentsu. Parmi eux, le très remarqué ShakeMe, créé par l’ad tech Adswizz, et récemment proposé par M6 Publicité à Norauto, pour jouer sur l'engagement des auditeurs qui étaient invités à secouer leur téléphone pour interagir avec le spot.
Autre tendance en pleine expansion, le text-to-speech, transformation audio des contenus média écrits par voix de synthèse, et déjà utilisée par les groupes Prisma, Le Figaro, Unify, Slate ou encore M6 Publicité, pour ses articles sur Turbo.fr. Avec une technologie disponible sur 800 millions de pages web, ce sont autant de nouveaux inventaires sonores en moins de deux ans. À terme, le leader de cette innovation, Audion, déclare d’ailleurs plancher sur un autre projet pionnier, celui du ciblage contextuel. « Le logiciel analysera de manière anonymisée la consommation média des auditeurs grâce aux champs sémantiques des contenus, pour permettre ensuite aux annonceurs de communiquer sur des sujets clés par segments d’audience. À l’aune d’une ère sans cookie, nous allons avancer sur ce sujet rapidement », promet Kamel El Hadef.
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Dopé par cette effervescence collective, le marché de l’audio digital devra néanmoins relever certains défis pour grandir davantage. Celui de la mesure par exemple. Certes, certaines plateformes de streaming, comme Spotify, permettent aux annonceurs de connecter leurs outils de tracking pour avoir une lecture de la performance cross-canal. Mais qu’en est-il pour les autres canaux ? Les niveaux de maturité restent différents et les unités de mesure, multiples. Experts et spécialistes appellent dès lors de leurs vœux la création d’un consensus et d’une seule et unique unité de mesure, pour structurer une consommation média globale et ainsi démocratiser un peu plus encore l’audio digital dans les plans.
Côté usages, il faudra également passer un palier. À regarder chez nos voisins anglais, qui affichent un chiffre d’affaires global de 180 millions sur ce secteur, nous n’en sommes qu’au début. Mais comme le rappelle Mathieu Lepoutre, ces audiences restent modestes. « Après un démarrage très fort, Il faut que les Français soient plus présents sur cette plateforme pour que cela continue à progresser », estime le responsable chez Auchan. L’audio devra également conforter ses acquis. « Son caractère mobile et le fait d’être le seul media à pouvoir être consommé pendant la réalisation d’une autre activité sont des atouts précieux pour la suite. Mais avec cinq heures de vidéos regardées par jour par les Français, l’audio devra sécuriser ses territoires de consommation mais aussi l’accès aux bons équipements, pour se défendre face à une sollicitation accrue des audiences et une fragmentation continue des médias », prévient Maxime André.
Le dynamisme du podcast tire sans conteste la croissance de tout un secteur. « Au premier semestre, nous connaissons une hausse significative en termes d’impressions publicitaires, avec +100 % sur le sponsoring et +40 % sur le format spot audio », reconnaît Yann Thébault, directeur général de la plateforme Acast. Le podcast n’en demeure pas moins un format à part, tant son mode de consommation se distinguent des autres segments. Ses audiences sont différentes, avec, comme le décrypte Yann Thébault, « une cible CSP+, de 35 ans en moyenne, plus éduquée, urbaine et hyperconnectée ». De fait, il séduit d’autres catégories d’annonceurs, comme la culture, les loisirs, le voyage, la banque et la tech. Ces derniers recherchent des contextes de brand safety, une intégration premium et un contexte affinitaire, au travers des différents formats que le média a su inventer pour sa monétisation. Car au-delà des classiques pre, mid et post-rolls, ces inventaires relèvent davantage du brand content : formats host read, dans lesquels le créateur du podcast prend la parole pour parler de l’annonceur ou du produit, sponsoring, épisodes co-brandés...
Côté création, le secteur n’est pas en reste avec, déjà à son actif, quelques campagnes innovantes. Dentsu et Acast ont par exemple récemment imaginé, en partenariat avec le podcast Vulgaire, un dispositif audio visant à déceler une perte d’audition. Pari réussi pour cette autre façon de faire de la publicité : selon une étude Iligo parue en septembre, 77 % des auditeurs considèrent que la publicité est acceptable pour pouvoir écouter les contenus gratuitement, et ce, sur un temps toléré entre 53 à 56 secondes par podcast écouté. Reste, pour le podcast, un écueil important à maîtriser. « Il doit sortir de son positionnement de niche, avec davantage de sujets traités. Le format doit aussi être porté par des personnalités connues ou de très grosses marques média pour réussir à s’implanter dans tous les foyers », plaide Yann Thébault. Une intuition validée par le gros succès du podcast Love Island en Angleterre, ou les audiences des Grosses Têtes de RTL, premier podcast de France, tous les deux contribuant à élargir l’accessibilité du podcast.