En 50 ans, Stratégies a été le témoin d’une explosion des formats publicitaires. Ce qui, lorsqu’on sait que le format conditionne la création, soulève de nombreuses questions. Qui invente les formats publicitaires ? Pourquoi ? Et pour qui ? Pour le savoir, je me suis adressé directement aux différents acteurs – médias, réseaux sociaux… – et leur ai envoyé un même questionnaire. Quand avez-vous créé votre premier format ? Quel département invente aujourd’hui les formats ? Quel est le processus de création ? Des créatifs ou des artistes testent-ils le support avant sa diffusion ? Ou encore qui valide ? Enseignement majeur : l’invention d’un format est un processus prenant en compte un grand nombre de paramètres et de contraintes, mais qui ne pose pas vraiment la question de la qualité narrative ou créative que ce format autorisera. L’audience en tant que cible marketing apparaît toujours comme la raison de la création d’un format, mais le public en tant que spectateur s’avère rarement une préoccupation première.
Industrie très régulée
Les formats sont ainsi pensés comme des espaces monétisables pour les annonceurs. Le sac à pain ou le support pub de téléski sont des cas parlants. Disposant d’une audience, ces objets sont devenus des médias publicitaires. La connaissance fine de l’audience est également une bonne raison de créer de nouveaux formats. Et à ce jeu-là, les plateformes font valoir une plus grande capacité de ciblage grâce à la data. Twitter a ainsi créé le «format Branded Notifications, qui permet aux marques d’envoyer des notifications personnalisées aux utilisateurs qui likent un de leurs tweets», explique-t-on du côté du réseau social. Mais cette capacité de ciblage soulève aussi de nombreuses interrogations et le débat public reste vif à ce sujet.
La publicité étant une industrie très régulée, il faut assimiler cette dimension pour comprendre la création des formats. Chaque support a ses propres contraintes et, généralement, plus le média est ancien, plus il est régulé. Par exemple, la télévision a des règles de diffusion contraignantes comme le fait que les messages publicitaires soient clairement séparés des programmes et facilement reconnaissables ou que le temps de publicité soit limité à 9 minutes par heure en moyenne quotidienne pour les télévisions privées hertziennes et à 6 minutes pour les télévisions publiques.
La régulation stimule paradoxalement la créativité, France Télévisions proposant par exemple des billboards allant jusqu’à 12 secondes en prime time parce que la publicité classique n’est pas autorisée sur cette tranche horaire. Dans l’affichage, le 8 m2 a remplacé progressivement le format 4×3 pour des raisons d’intégration urbaine et de régulation de taille maximum. Dans l’affichage encore, c’est la même logique qui guide le choix du format. Par exemple, chez JCDecaux avec le 2 m2 inventé par Jean-Claude. Un format, vitré et rétroéclairé pensé pour la ville et lancé «en 1964, à Lyon, non loin du pont de la Guillotière», rappelle JCDecaux. Ce format est devenu – cocorico – la référence mondiale.
Ingénieurs tout-puissants
Chez les acteurs digitaux et les plateformes, les ingénieurs ont la main. Chaque acteur de la tech s’appuie sur son équipe maison pour développer les formats. Par exemple, chez Google, «ce sont toujours les ingénieurs qui essaient de réconcilier besoins annonceurs, innovations technologiques et respect des attentes utilisateurs», avance la firme américaine. Pour la validation des formats, la culture de l’entreprise prime aussi. Dans les médias journalistiques, comme la presse ou la radio, la décision revient à l’éditeur et à la rédaction. «Nous les présentons pour validation car ils disposent toujours du dernier mot. Ils sont seuls à juger de l’intégration au sein du contenu éditorial que ce soit d’un point de vue technique ou éthique», précise-t-on chez Media.Figaro. Pour les médias numériques, ce sont les tests AB qui font consensus. Le principe type est bien expliqué par Facebook : «Avant d’être pleinement développés, les formats sont toujours lancés en alpha, puis en bêta.» Et le public dans tout ça ?
Ce qui est frappant, c’est que la qualité narrative du format n’est pas un critère de validation. À la question «Les supports sont-ils mis à l’épreuve des créatifs ?», personne ne répond positivement. Si bien qu’aujourd’hui, deux logiques existent. Les médias historiques, ceux qui existaient quand le premier numéro de Stratégies est paru, ont eu le temps de valider leurs qualités narratives auprès de leurs publics avant d’être proposés à la communication commerciale. Par exemple, bien avant de vendre «un quart de page» à un annonceur, les journaux avaient éprouvé le potentiel créatif de leur support grâce aux talents des dessinateurs de presse, des photographes et des auteurs. Idem pour les autres médias historiques qui avaient laissé les réalisateurs, les présentateurs, les acteurs, les musiciens s’emparer de l’image, de la vidéo et du son pour plaire au public.
Retour des esprits créatifs
Les nouveaux acteurs n’ont pas la même histoire ni la même logique. Ils créent des espaces publicitaires car ils ont une audience ou des utilisateurs plus ou moins captifs, et non parce qu’ils permettent de raconter des choses intéressantes. Ce qui est vrai pour le sac à pain l’est aussi pour les bannières de display. C’est dommage car les marques ont besoin d’espaces narratifs pour déployer leurs récits. Et puis la vocation de la publicité, contrairement à la réclame, est de plaire au public en lui offrant des narrations intéressantes. La création se fait donc en fonction du format alors qu’on devrait davantage penser les formats pour la création.
Bonne nouvelle néanmoins, sur certaines plateformes sociales, les esprits créatifs reprennent les rênes. Par exemple, les stories ont été inventées de manière organique par des instagrammers créatifs. Face à l’engouement du public, ils sont devenus le format publicitaire clé de la plateforme Aujourd’hui, les formats publicitaires de TikTok utilisent à plein les capacités de son ancêtre Musical.ly, qui était une plateforme sociale de création et de partage de vidéos de lipsync et de danse. Le succès a d’ailleurs immédiatement inspiré les plateformes concurrentes qui vont développer le format «shorts». Misons sur le fait que beaucoup de médias sont encore jeunes et qu’avec le temps, les formats offrant des espaces narratifs et créatifs s’imposeront. D’ailleurs, Facebook vient de rebaptiser «creaters» les influencers». Voyons-y un signe encourageant.