Le jour de la rentrée 2021, 6 000 écoliers manquaient à l’appel à Paris ! De mémoire de directeur d’école, on n’avait jamais vu une telle hémorragie. Si ces têtes blondes sont parties voir du pays, c’est évidemment que leurs parents ont largué les amarres. Les cadres parisiens rêvent plus que jamais de départs pour changer d’air, d’ambiance ou de rythme. Parfois aussi pour revenir dans leur région d’origine, un grand nombre d’entre eux étant en réalité des provinciaux venus à Paris pour étudier et travailler… Selon Cadremploi, entre mars 2020 et mars 2021, ils ont été 30 % de plus à se porter candidats en région. Dorénavant, un cadre sur cinq recherche du travail hors Île-de-France. Principalement à Nantes, Bordeaux et Lyon.
De nouveaux comportements d’achat
Bien que majoritairement parisien, le phénomène n’a fait que s’accentuer et s’étendre à toutes les grandes agglomérations sous l’effet du covid et de l’expérience du confinement. L’exode touche évidemment aussi les secteurs de la communication et des médias. Parfois, des salariés plaquent tout, tel ce journaliste médias du Figaro et ancien de Stratégies parti à la campagne se spécialiser dans le jardinage et l’horticulture, ou encore cette directrice d’une grande agence parisienne s’échappant dans les Alpes pour devenir naturopathe. D’autres restent en poste mais choisissent de vivre ailleurs en télétravaillant, leur présence au bureau n’étant souvent plus obligatoire que deux à trois jours par semaine. Ce retour au local induit de nouvelles migrations et organisations pour les entreprises comme de nouveaux comportements d’achat chez les consommateurs. « Priorité dorénavant à la consommation locale, à la “villagisation” du quotidien et à l’attrait pour les commerces de proximité », pointe Matthieu Quillere, responsable de Proximity, une offre de S4M pour accompagner la croissance locale des enseignes à réseaux. La proximité est devenue « une valeur refuge qui redessine entièrement le commerce », affirme de son côté l’Observatoire de la petite entreprise. Dans ce contexte post-covid de difficultés d’approvisionnement et de coûts des transports prohibitifs, le made in France et les productions locales reprennent des couleurs. Même le textile français, laissé pour mort il y a quelques années, semble renaître de ses cendres : des enseignes majeures de la grande distribution, telles que Kiabi, E.Leclerc ou encore Carrefour, recommencent à passer commande aux entreprises locales. Idem dans l’alimentaire qui carbure aux circuits courts et aux productions locales. Les ventes sur des places de marché virtuelles des petits commerces et producteurs affichent de belles promesses (le volume d’affaires pour les marketplaces locales a augmenté de 50 % en un an).
Le local fait vendre
De son côté, la grande distribution n’a pas manqué de communiquer sur le local et ses efforts pour soutenir les petits producteurs. Une occasion rêvée de capter de nouveaux consommateurs et de s’afficher écoresponsable et solidaire. Et même les e-commerçants s’y sont mis. Ici, Leboncoin qui a lancé un plan de soutien à destination des TPE et PME, mettant à leur disposition ses équipes pour créer une boutique virtuelle gratuite. Là, Amazon qui réserve un espace dédié aux produits made in France… Les enseignes l’ont compris : aidé par les outils de marketing et de communication, le local fait vendre. « Tout ce qui est estampillé local prend de la valeur, tout ce qui est global se banalise », résume Georges Lewi. Pour ce spécialiste des marques, ce retour au local exprime, pour les consommateurs, « un retour vers l’essentiel, une recherche de proximité et de transparence ». Mais cette tendance à la consommation locale va-t-elle s’installer durablement ? « Global/local, c’est un mouvement de balancier permanent avec des cycles. Ici, la demande de proximité est une réaction au mouvement de globalisation né il y a trente ans, analyse Georges Lewi. Aujourd’hui, c’est le temps de la confiance dans le local. Parfois d’ailleurs une confiance qui n’est validée par rien, si ce n’est le seul fait d’être proche géographiquement. Demain, il ne faudra pas que cette confiance soit trahie. » En attendant, ce retour aux territoires est une aubaine pour le marché de la communication et des médias en région. De nouvelles marques locales et campagnes associées fleurissent. Dans le secteur du tourisme par exemple, avec « Normandie, ailleurs c’est ici ! » ou « Bretagne, passez à l’Ouest », les régions sont devenues des marques. Avec des résultats mitigés. En pointe, les régions Bretagne et Grand Est, qui communiquent à travers les labels collectifs « Produit en Bretagne » et « Saveurs d’Alsace ». Et de nouveaux territoires comme l’Ain ou le Berry et des villes telles qu’Aix-en-Provence ou Nancy ne se privent plus de communiquer via des campagnes nationales ciblées, souvent en affichage dans le métro parisien. Côté agences de communication locales, on se frotte les mains. « Non seulement il y a beaucoup plus d’activité en région qu’avant, mais en plus, comme les distances ne sont plus un problème, on gagne aussi des clients à Paris », se réjouit Jessica Marcou, codirigeante de l’agence Comback à Nice, qui travaille notamment pour la Fédération française de football à Paris.
Un marché attractif pour les médias
Dans les médias locaux aussi, on veut profiter de cette soif de proximité des citoyens. Les télévisions locales connaissent un nouvel élan. Un marché qui attire comme jamais les grands groupes de médias, convaincus que l’information de proximité est l’information de demain. Cet écosystème en pleine évolution promet d’être encore bousculé par l’arrivée de la publicité segmentée, qui permet notamment aux chaînes nationales de proposer aux annonceurs de faire de la géolocalisation. En presse écrite locale aussi, ça bouge. Pas question de connaître un destin à l’américaine où la presse a perdu plus de la moitié de ses effectifs en dix ans et où les médias locaux ont pratiquement disparu. Pour enrayer la crise, la PQR multiplie les échanges avec les communautés de lecteurs : Le Télégramme sillonne la côte bretonne avec sa caravane rouge pour aller à leur rencontre, La Dépêche du Midi organise des visioconférences entre journalistes, experts et lecteurs, Nord Littoral propose des échanges sur la plage… En deux ans (2019 et 2020), Nathalie Pignard-Cheynel, professeure à l’Académie du journalisme et des médias de l’université de Neuchâtel, autrice d’une étude sur les actions de 140 médias locaux français, belges et suisses pour renouer avec leur public, a recensé plus de 550 initiatives (dont plus de 300 pour les médias français). « Cela marque l’émergence d’un journalisme d’engagement vis-à-vis des lecteurs », juge-t-elle.
Relocaliser la publicité
Pour s’en sortir, presse et télévision régionales, dont le modèle économique repose sur la publicité, veulent convaincre les annonceurs de la valeur du local. « C’est un insight qui permet à des marques nationales de renouer un lien fort avec leurs publics », martèle Florian Grill, président et cofondateur de CoSpirit MediaTrack. Cette agence de conseil média a créé en mai dernier, aux côtés de la régie de la PQR, 366, de JCDecaux, de FranceTV Publicité et d’Adot, « Les Relocalisateurs », un collectif bientôt structuré en association pour valoriser l’ancrage local dans les stratégies des marques. « Le secteur a l’occasion aujourd’hui de montrer qu’il est responsable en étant résolument du côté des territoires, de leur relance et de leur dynamisation », plaide Florian Grill. Pour ce promoteur des investissements médias locaux, outre l’impact économique, relocaliser la publicité est aussi un enjeu démocratique. « Un titre de presse [local] qui disparaît, c’est un peu de démocratie qui s’efface », rappelle-t-il. Nul doute que les nouveaux médias locaux d’investigation partagent l’analyse. Ici, pas de publicité mais « de fortes communautés et beaucoup de citoyens qui nous soutiennent », souligne Jean-Marie Leforestier, rédacteur en chef de Marsactu. Et le poil à gratter marseillais a fait des émules. À l’image de Mediacités, présent à Lille, Lyon, Toulouse et Nantes, ou encore du média normand Le Poulpe et du Breton Splann ! « Nous travaillons beaucoup les mécaniques de communautés, souligne Faustine Sternberg, cofondatrice de ce dernier. Ce sont souvent nos lecteurs qui nous alertent, c’est normal que l’on travaille ensemble. » Y a-t-il un marché pour ces nouveaux médias locaux d’investigation ? « Le journalisme, c’est d’abord un métier d’offre, explique Jacques Trentesaux, cofondateur de Mediacités. Il n’est pas simple de lutter dans la même temporalité contre des distractions (vidéos, jeux, réseaux sociaux) qui touchent plutôt à l’émotion. Mais au bout de cinq ans, nous sommes toujours en vie. » Le local n’a décidément pas dit son dernier mot.