Elle pesait à peine plus d’un kilo lorsqu’elle est née. Vingt-neuf ans plus tard, elle détient le plus beau palmarès du judo français : médaillée d’or aux JO de Tokyo, quintuple championne du monde et d’Europe, Clarisse Agbégnénou a déjoué le destin. Hors des tatamis, la petite fille que les profs appelaient volontiers la « justicière » est devenue adjudante de gendarmerie et l’une des figures les plus engagées de sa génération. Ambassadrice du sport féminin, marraine de l’association SOS Préma, et même Marianne parmi les 109 choisies par le gouvernement au printemps, la judokate veut mener par l’exemple. Elle imagine un avenir égalitaire.
Valérie Salomon : Dans dix ans, aurons-nous encore besoin d’un ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes ?
Clarisse Agbégnénou : Oui, bien sûr, nous sommes encore loin de l’égalité. Il faut consolider et entretenir les avancées que nous avons obtenues. Dix ans, ça passe très vite. Il y a encore beaucoup à faire, notamment former les générations futures. Nous avons besoin de modèles pour la jeunesse, au-delà de ce que les réseaux sociaux ou la téléréalité proposent.
Diriez-vous qu’il y a plus d’égalité dans le sport ?
Il y a des discriminations sexistes dans le sport, comme dans la vie. Au judo, nous avons de la chance : le temps de combat est le même chez les hommes que chez les femmes, et pour les catégories seniors olympiques, les primes sont les mêmes. Et quand on regarde les résultats, les femmes rapportent plus de médailles que les hommes. En fait, les femmes se battent toujours plus fort pour répondre au sexisme et montrer qu’elles sont à la hauteur. Combien de fois j’ai entendu «les filles ne devraient pas faire de sport de combat», ou «vous les femmes, vous ne faites pas le même sport» ! Pour ce qui est des violences sexuelles dans le sport, elles existent et c’est horrible. Il faut que cela cesse, nous devons nous soutenir.
Vous prenez la parole sur les enjeux de santé féminine, et vous êtes ambassadrice d’une marque de culottes menstruelles, Réjeanne. Pensez-vous que dans dix ans, on comprendra mieux le corps des femmes ?
J’ai appris comment fonctionnaient ces culottes seulement l’année dernière ! [rires] Lorsqu’on est une athlète, le corps est essentiel. Encore plus pour nous, au judo, où nous portons des kimonos blancs qu’il ne faut pas tacher. Les filles ont honte de parler de leurs règles, alors que cela peut avoir un impact sur leurs performances : cela change votre poids, votre concentration… Sans parler de l’endométriose qui peut paralyser de douleur. Il faut apprendre à se connaître et trouver des solutions pour que la jeune génération s’en sorte encore mieux.
Avez-vous des modèles et vous voyez-vous comme un exemple ?
Petite, hormis Beyoncé, je n’en avais pas vraiment. Aujourd’hui, j’admire Serena Williams, Djokovic aussi. En France, on a beaucoup d’excellentes athlètes, mais on est pudiques. Les Américaines s’emparent plus facilement d’enjeux de société et tapent du poing sur la table pour faire avancer les choses. La tenniswoman Naomi Osaka ou la gymnaste Simone Biles qui se retirent des compétitions pour préserver leur santé mentale, ce sont des exemples pour toutes les petites filles. Il ne faut plus avancer cachées