Adrien Boyer : Avant toute chose, comment définiriez-vous un algorithme de recommandation, et quelles typologies de ces algorithmes peut-on établir ?
Pierre-Nicolas Schwab : Un algorithme est une recette que chacun applique comme il le souhaite, en fonction de ses objectifs. L’algorithme de recommandation permet à l’utilisateur de s’y retrouver dans le trop-plein d’informations qui caractérise nos sociétés digitalisées, et aux entreprises de proposer une expérience client personnalisée. Il existe trois grands types d’algorithmes de recommandation : les «manuels» qui permettent de faire de la curation de contenus sur la base de critères fixes déterminés par l’entreprise ; les «content-based» qui se basent sur les caractéristiques du contenu consommé ou du produit acheté (à l’instar du «filtre collaboratif» utilisé par Amazon) ; et enfin le «user-based», qui est le plus avancé et apporte une expérience personnalisée en fonction d’une personne et non d’un groupe. Il est notamment utilisé par Pinterest et Netflix.
Les algorithmes ont une importance croissante dans nos vies et soulèvent des questions de la part des consommateurs quant à leur programmation, les règles qui les régissent, et leurs conséquences, notamment les «bulles de filtre». Y voyez-vous un simple besoin de transparence ou une défiance plus profonde vis-à-vis de la technologie ?
Les algorithmes provoquent plutôt de l’incompréhension selon moi, car les utilisateurs restent principalement centrés sur leur propre utilisation et ne s’intéressent pas aux aspects technologiques des algorithmes. Ils peuvent aussi provoquer de la frustration, puisque nous n’avons jamais été soumis à autant de sollicitations publicitaires, à tel point que de plus en plus d’acteurs développent des modèles payants sans publicité comme YouTube Premium. Sur le sujet des bulles de filtres algorithmiques, plusieurs études démontrent que le phénomène n’est pas clairement établi. Aussi, nous n’avons jamais autant consommé d’informations online qu’en 2021 et cette consommation croissante de contenus compense l’enclavement supposé des algorithmes.
Comment les acteurs du numérique peuvent-ils motiver une utilisation et un impact positifs de ces algorithmes ?
Idéalement, le changement devrait venir de l’utilisateur, comme cela est le cas dans le domaine du retail. Nous devons exiger la même transparence de la part des acteurs du numérique. Mais pour cela, il faut que ces entreprises rendent les choses tangibles et les exposent de manière très simple pour être comprises du plus grand nombre. Il existe trois grands leviers d’action. D’abord, la sensibilisation du grand public et notamment des générations futures, sur la collecte de leurs données en ligne. Ensuite, les entreprises technologiques doivent lutter contre les biais et éviter au maximum que les algorithmes renforcent la polarisation. Cela passe par le recrutement de développeurs issus de la diversité et l’utilisation de jeux de données non biaisés.
Enfin, les entreprises du numérique ont le pouvoir de changer leur mesure de la performance. La plupart du temps, elles privilégient le temps passé ou la précision de la recommandation, et ce, au détriment de la diversité. Favoriser la diversité des contenus consommés c’est accepter de perdre en taux d’engagement car l’utilisateur est souvent réfractaire aux contenus ou personnes qui ne lui ressemblent pas. Pour aller encore plus loin, il serait intéressant de demander aux utilisateurs quels sont leurs objectifs pour adapter les recommandations qui leur sont faites. On pourrait même déterminer un «facteur d’utilité» en fonction de la plateforme afin d’évaluer dans quelle mesure ces dernières ont aidé les utilisateurs à réaliser des objectifs qu’ils s’étaient fixés. En cela, je trouve que la notion de «projet» sur Pinterest est intéressante.
Ma conviction, c’est qu’en tant que concepteur de plateforme technologique, on a le choix d’agir et de prévenir les dérives, grâce à différents leviers comme les metrics que les algorithmes valorisent, les politiques qui sont adoptées ou encore les fonctionnalités produits qui sont développées. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, les choix faits sur ces leviers, parmi d’autres, sont fondamentaux pour définir le type d’expérience utilisateur et l’utilité du service. Je trouve la notion de positivité intéressante sur Pinterest et certaines mesures mises en place peuvent être prises pour exemple par d’autres plateformes. Je pense à l’encadrement des contenus comme l’interdiction des publicités promouvant la perte de poids, ou encore la mise en place de chartes (la Charte des créateurs et la Charte des commentaires sur Pinterest). Il est également nécessaire de constituer des équipes d’ingénieurs diverses, afin de prévenir au maximum les biais et, comme à Pinterest, de nommer des responsables des produits inclusifs pour travailler sur des fonctionnalités permettant à tous les utilisateurs de se sentir représentés dans les contenus qui leur sont proposés.
Pinterest n’est pas un réseau social mais une plateforme d’inspiration visuelle, qui se base avant tout sur les goûts des utilisateurs. Qu’est-ce que ce type d’expérience vous inspire ?
La découverte d’idées passe en partie par la recherche visuelle. Contrairement à un moteur de recherche classique, Pinterest permet de trouver ce que l’on veut, y compris lorsque l’on n’a pas d’idée précise en tête. De plus, pour avoir des idées et être créatif, il faut faire se rencontrer des idées et concepts différents. Ce processus prend du temps. Pinterest permet de sauvegarder les idées, de les organiser par thématiques et d’y revenir plus tard pour les enrichir. Or, face à l’immédiateté de nos sociétés, il est plus que jamais primordial de prendre le temps de réfléchir et de créer.