Damien Viel : L’histoire des réseaux sociaux se confond parfois avec de grands événements historiques tels que le Printemps arabe, ou l’émergence de mouvements mondiaux tels que #MeToo. À quel moment les avez-vous considérés comme essentiels à la Protection civile ?
Grégory Allione : J’ai réellement mesuré le potentiel des plateformes le 12 juillet 2013, lors de l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge. Alors conseiller Sécurité civile au cabinet du ministre de l’Intérieur, j’ai constaté le volume inédit de conversations en ligne générées à cette occasion. J’ai par ailleurs réalisé que l’information y était relatée mais aussi déformée. Cet événement m’a convaincu de l’intérêt fondamental des réseaux sociaux pour les services d’urgence, au moins pour proposer une source d’information de confiance aux citoyens.
Justement, les situations d’urgence sont-elles les seules qui justifient votre présence en ligne ? Ou diriez-vous que les plateformes vous aident aussi sur le temps long, notamment en matière de prévention et d’éducation ?
Avant Twitter, les gens venaient à la caserne quand ils entendaient la sirène, maintenant ils vont directement sur nos réseaux sociaux ! C’est tout l’enjeu de notre présence en ligne : communiquer la bonne information au bon moment. Si cet objectif est clé en situation d’urgence, il l’est aussi sur le temps long, comme l’a confirmé la crise du Covid-19. Nos comptes sont des sources d’information dignes de confiance, ils sont l’anti-café du commerce. Ils nous servent à instaurer un dialogue avec les citoyens qui s’intéressent à nos actions, nous questionnent, et nous encouragent.
Pour les pompiers français, quelles sont les marges de progression les plus évidentes dans l’usage des plateformes sociales ?
De toute évidence, nous pouvons apprendre de l’exemple australien ! J’étais sur place lors de la vague d’incendies qui les a touchés, en janvier 2020, en tant qu’expert des feux de forêts, et j’ai constaté que l’information de la population était au cœur de leur mission. Ils disposent en effet de comptes dédiés au suivi de la situation, ils les mettent à jour en temps réel, et donnent de précieuses informations au niveau local (suivi de l’événement en direct, état de circulation des routes, déplacement de fumées, etc.). Grâce à ces informations, les gens peuvent adapter leur comportement et prendre les dispositions adéquates – en bref, ils sont responsabilisés et plus autonomes. En France, l’information aux populations est une responsabilité partagée avec les autorités locales, ce qui ne nous permet pas encore une telle réactivité mais nous y travaillons.
Vous servez-vous aussi des plateformes comme moyen d’écoute et de veille ?
Évidemment ! En 32 ans de carrière, j’ai utilisé de nombreux systèmes d’alerte, tels que le téléphone, le minitel, le biper ou les SMS. Désormais, les nouvelles générations nous alertent via les réseaux sociaux. Ces informations nous sont précieuses car elles facilitent la préparation tactique de nos interventions. Nous avons pour ambition de systématiser cette pratique, c’est pourquoi nous mettons actuellement au point un logiciel d’alerte qui verra le jour avant les JO de Paris 2024.
Tous les SDIS (Service départemental d’incendie et de secours) opèrent désormais sur les réseaux sociaux de manière autonome. Comment gérez-vous cette autonomie et comment assurez-vous la cohérence de vos prises de parole ?
Nous impulsons les grandes directions en tant que Fédération et nous nous appuyons aussi sur la Direction générale de la Sécurité civile, mais chaque SDIS est autonome. Certains départements, plus moteurs que les autres, ont montré la voie. Par ailleurs, nous avons la culture de la transmission. Nous partageons beaucoup sur tous les sujets, et la communication n’échappe pas à cette règle.
Justement – pour les lecteurs de Stratégies, et pour les communicants en règle générale – comment une marque ou une entreprise peut-elle apprendre de cette révolution dans l’usage des plateformes par les pompiers ?
Nous nous reposons sur le triptyque : transparence, confiance, constance. Nous adoptons une démarche de transparence dans tout ce que nous disons et faisons. Celle-ci se nourrit de notre authenticité d’acteurs de terrain, de notre engagement quotidien et de notre humanité. La transparence est seule capable de générer la confiance du public envers nos actions individuelles et collectives. Or, ces deux principes ne produisent durablement leurs effets que s’ils sont suivis avec constance. Je suis convaincu que ce cercle vertueux s’applique autant aux sapeurs-pompiers qu’aux organisations publiques comme privées.
Quelles évolutions souhaitez-vous pour les plateformes sociales dans les années à venir ?
À court et moyen termes, notre priorité est d’améliorer la capacité du public à donner l’alerte sur les plateformes. Sur un temps plus long, je constate que, si nous communiquons de plus en plus, nous nous rencontrons de moins en moins. Les plateformes doivent continuer à faciliter le dialogue, à œuvrer en faveur d’une meilleure sociabilisation et à permettre aux citoyens d’aller à notre rencontre car rien ne remplacera jamais un échange physique avec un sapeur-pompier pour comprendre ce que nous faisons et ce qui nous anime.