Vous avez présidé le premier conseil d’administration de Droits Voisins de la Presse (DVP), le 9 novembre 2021. Cet Organisme de gestion collective [OGC] veut obtenir des plateformes une rétribution en faveur des éditeurs de médias pour la diffusion de leurs contenus. Qui a d'ores et déjà rejoint votre organisation ?
Jean-Marie Cavada. Soixante quatorze éditeurs et agences de presse sont unis autour de DVP. Notre organisme rassemble aussi Radio France et France Télévisions, l'AFP, Prisma Media (Femme actuelle, Télé Loisirs, Capital, Voici) CMI France (Elle, Marianne, Télé 7 jours), Altice Media (BFMTV, RMC) Le Point, Le Canard enchaîné, L'Équipe, Mediapart et bien d'autres. Le syndicat des producteurs audio indépendants, le PIA, qui réunit des producteurs de podcasts, compte aussi nous rejoindre.
Qui est à l'origine de la création de la société DVP ?
Nos membres fondateurs sont le SEPM (syndicat des éditeurs de la presse magazine) qui compte plus d'un millier de titres et avait initié une première action en 2020. Avant d'être rejoint par la FNPS (Fédération nationale de la presse spécialisée), le Spiil (syndicat de la presse indépendante d'information en ligne) et le Geste (Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne).
Pourquoi créer cette structure maintenant ?
Lorsque j’étais vice-président de la commission des affaires juridiques du Parlement européen, j’ai été à l'initiative de la création d’une loi sur le droit d’auteur et les droits voisins. Son but économique et moral est de rétablir une égalité dans la répartition de la richesse entre les plateformes et la presse. En dix ans, la presse a vu 50 % de ses recettes publicitaires partir vers le digital. Or sur le numérique, les contenus de presse sont empruntés, souvent à vil prix, très souvent sans la moindre rémunération. C’est une machine à fabriquer de la famine pour la presse, et à la vider de ses moyens d’existence économique. Et il était nécessaire que l’Europe fasse une régulation, en raison des équilibres démocratiques et de la charte des droits fondamentaux.
Le combat a été difficile à mener face à Google et les autres Gafam ?
Il y a eu de terribles batailles… et des dizaines de millions d’euros déversés dans des cabinets de lobbying pour faire pression sur les exécutifs et les appareils législatifs des capitales européennes, sur la Commission européenne et sur le Parlement afin d’empêcher la création d’une législation qui diminuerait leurs recettes. Il a fallu sept à huit ans de travail pour faire adopter cette directive européenne en avril 2019.
Mais les plateformes n'ont toujours pas rétribué les médias. Pourquoi ?
La loi a été transposée dans le droit français en juillet, il y a deux ans, puis les décrets d’application ont été adoptés en octobre 2019. La presse a voulu se servir de la loi pour obtenir une juste réparation de la prédation qu’elle subissait. Le SEPM rejoint par la FNPS et le Spiil sont allés devant l’Autorité de la concurrence pour demander l’application de la loi. Sans que rien de productif n’émerge. Jusqu’en juillet 2021. Google a été condamné à verser une amende 500 millions d’euros avec 300 000 euros par jour d’astreinte.
Face à cette situation qui semble bloquée, la société DVP est créée. Pourquoi en assurez-vous la présidence ?
En juillet 2021, le SEPM m’a demandé de créer l’instance que j’avais préconisée lors des discussions à Bruxelles. J’y ai mis deux conditions. Créer un organisme qui regroupe le plus grand nombre de fournisseurs d’informations et pas seulement une catégorie de presse. Et que ces acteurs fassent preuve d’une forte capacité d’union. Nous avons rédigé les statuts et nous nous appuyons sur la Sacem.
La Sacem assurera la gestion de la DVP. Quel sera son apport concrètement ?
Nous aurons un contrat de prestation avec elle. Elle nous épaulera pour l’évaluation de la prédation et les négociations avec les plateformes, la collecte de l’argent et sa répartition. Le Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC) nous aidera aussi pour ce volet de répartition. Ces appuis nous permettront être un organisme ultra léger.
Évaluation, négociations, collecte ou répartition, quelle va être la mission la plus délicate ?
Elles le seront toutes, mais peut-être la qualité de l’évaluation. Elle nécessitera d’être indiscutable et incontestable par les plateformes.
Redoutez-vous des tensions entre mandataires ?
Nous verrons si l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers. Nous sommes très vigilants pour que toutes les formes de presse soient prises en compte et des critères correctifs seront appliqués.
Comment comptez-vous percer le secret des données détenues par des plateformes dont la stratégie est fondée sur l’opacité ?
Jusque-là les évaluations se faisaient effectivement un peu au doigt mouillé. Nous voulons nous positionner comme le bras exécutif de la loi. Cela implique un renversement de méthode. Nous évaluerons le montant dû par chaque plateforme en fonction des audiences et entamerons les négociations, forts de ces éléments. François Claverie du Point sera à la manœuvre pour proposer des méthodes sur ce dossier. Il y a plusieurs moyens dont le recours à des cabinets spécialisés.
Vous avez prévu de réclamer votre dû à Facebook, Google et Microsoft. Avez-vous déjà entamé des discussions ?
Pas encore. Des négociations avec Google et le SEPM, la FNPS et le Spiil sont en cours. Nous prendrons la suite.
Quel calendrier vous êtes-vous fixé ?
Il est encore trop tôt pour vous répondre.
La DVP se fonde sur une gestion collective. Quid du Figaro et du Monde qui ont déjà négocié en aparté et en direct des accords avec Google et Facebook ?
Nous souhaitons éviter l’écueil des négociations et des accords individuels. Mais s’ils veulent travailler avec nous, ils sont les bienvenus. Plus les plateformes nous divisent et moins la recette est grande. La presse a un intérêt collectif à rester unie.
Vous coordonnez-vous avec l’Alliance de la presse d'information générale (Apig) qui a signé des accords avec Google et Facebook ?
L’Apig a été créée en 2018. J’entretiens avec Pierre Louette qui la préside de bonnes relations. Nous nous connaissons depuis l'époque où j'étais président de La Cinquième (1994-1997) et lui au cabinet du Premier ministre Édouard Balladur puis à France Télévisions. J’ai déjà travaillé à rétablir de bonnes relations entre l’Apig et la presse magazine. Il n’y a pas de raison de se battre ou de s’ostraciser. Un accord cadre a été signé mais encore faut-il en connaître la teneur. Et à terme, la question de l’unité se posera.
Quel regard portez-vous sur les offres Google News et Showcase de Facebook ?
Je vois venir depuis quelques semaines un sursaut de citoyenneté de la part des plateformes qui disent vouloir respecter le droit voisin. Mais je ne voudrais pas que la loi soit dévoyée par un contournement commercial. Ce serait une forme masquée pour minorer l’argent à verser au titre de ce droit. Aux éditeurs d’être vigilants et courageux face à ces démarches. J’appelle la presse à être exigeante, solidaire et unie.
La création d’un organisme comme DVP est inédite en Europe. Souhaitez-vous faire des émules ?
Oui d'autant que c’est une grande première pierre posée en Europe. L’info, cela se paie à son juste prix. Le 15 décembre 2020, la Commission européenne a déposé le Digital Markets Act, pour la régulation de la concurrence et le Digital Services Act sur la régulation des contenus. Ces deux instruments vont nous permettre de faire école en Europe. Dans toute l’histoire du commerce, le digital est le seul à s'octroyer le droit de prendre des produits chez un fournisseur et de ne pas les payer ou de ne pas les rétribuer convenablement. C’est presque du colonialisme de contenu. On va chercher une matière première et on ne la paie pas. Car chez les Gafa, il n’y a aucun journaliste.
Comptez-vous sur le soutien des pouvoirs publics ?
Oui. Nous appelons les gouvernements et l’autorité de l’État à aider les organismes qui travaillent à rétablir l’équilibre financier au profit de la presse pour aider à l’application de la loi. L’État a le devoir de faire respecter les lois, directement ou par le truchement d’organisations telles que l’OGC DVP.
Le conseil d'administration de DVP
Présidé par Jean-Marie Cavada, le conseil d'administration de la société Droits Voisins de la Presse compte deux vice-présidents François Claverie (Le Point et le SEPM) et Laurent Bérard-Quélin (Société générale de presse et la FNPS). La fonction de secrétaire général est assurée par Laurent Prud'homme (L'Équipe et Le Geste), avec comme adjoint Rémi Duval (Fédération française des agences de presse) et comme trésorière Marie Hedin-Christophe (La Lettre du musicien et le Spiil). La directrice générale de DVP est Caroline Bonin (Sacem).