Il est venu en métro au siège de C à Vous, produit par Mediawan, près des Invalides. Costume et écharpe marine, il tient à la main un élégant parapluie. Très gentleman. Comme tous les jours depuis dix ans, Patrick Cohen sera à l'antenne pour le dîner de France 5, dont l'audience progresse avec 720 000 téléspectateurs, soit 3,7 % de part d'audience entre 19h et 21h. Ses chroniques y font mouche, aujourd'hui, contre la zemmourisation des esprits, hier, contre Didier Raoult. Certains lui reprochent d'être donneur de leçon. Le 23 octobre, Le Figaro Magazine l'a ciblé avec quatre autres animateurs en une dans sa charge contre l'audiovisuel public sous le titre « À gauche toute ! ».
Souvenir extraordinaire
Il anime aussi depuis la rentrée une émission hebdomadaire, L'Esprit public, créée par Philippe Meyer, sur France Culture. Un retour par la petite porte de Radio France, groupe qu'il avait quitté en 2017 pour rejoindre Europe 1 après sept saisons à la tête de la matinale de France Inter. Le journaliste avait contribué à hisser la station du service public sur la première marche du podium. Elle ne l'a plus quittée depuis. Laurence Bloch, sa directrice, lui en a voulu d'être parti animer la même tranche, dans une station concurrente. Lui garde un souvenir « extraordinaire » de cette année de matinalier, même s'il a été remercié à la fin de la saison et qu'il n'a pas su infléchir la pente des audiences de la radio. Son premier gadin en trente ans de carrière. Mais rien n'efface France Inter, l'un de ses trois meilleurs souvenirs professionnels. Aujourd'hui, il affirme sans détour : « Je suis frustré de radio, clairement. La radio me manque. S'il y a des dirigeants qui veulent bien considérer que je peux être utile encore sur leur antenne, très bien. Mais je n'irai pas intriguer ou faire la danse du ventre. D'ailleurs, je n'ai jamais intrigué pour prendre la place de quelqu'un. »
De RTL à Canal+, on est toujours venu chercher ce journaliste dont la rigueur, l'exigence et le talent bluffent ses confrères... depuis l'ESJ de Lille. Il s'en excuse presque : « Étudiant, c'était plus du mimétisme : faire comme les pros que vous avez entendus. Enfant, il y avait toujours la radio en marche chez moi. Adolescent, j'ai réclamé à mes parents un poste avec magnétophone pour enregistrer des émissions, garder des traces, en monter. En fac de droit, j'avais aussi animé une tranche sur une radio dite libre en 1981-82 ». Son père, ingénieur diplômé des Arts et métiers, s'était inquiété de la vocation de son lycéen qui dévorait Le Monde, Le Quotidien de Paris et Le Matin de Paris. « Il était catastrophé quand je lui ai dit que je voulais être journaliste. Ce n'était pas du tout son idée. Mais il a admis mes choix. Je ne viens pas d'une grande famille avec des obligations », affirme-t-il. Du bas Montreuil et d'un milieu où les études comme l'apprentissage ont une valeur, il a sauté le cours préparatoire car sa mère, au foyer, a répondu à son appétence en lui apprenant à lire et à écrire.
Périodes monomaniaques
Sa curiosité compulsive et sa soif de connaissances étaient déjà là. Elles s'étendent à toutes les passions de ce pudique, du genre sensible cadenassé, notamment la musique. Un tropisme qu'il partageait avec son ami, le dessinateur Cabu. Son visage rayonne lorsqu'il parle de ses « périodes monomaniaques pour Gainsbourg, Nougaro, Jonasz, Jean-Claude Vannier ou Anita O'Day. Je cherchais, écoutais et lisais tout ce qui les concernait », lâche-t-il. Même démarche pour son métier. « C'est un bosseur fou et j'en ai eu la confirmation pendant les vacances que l'on a passé ensemble », souligne Renaud Dély, éditorialiste de Franceinfo et animateur du 28 minutes d'Arte. Les deux journalistes se sont connus en 1995, lorsqu'ils couvraient le Front national, le premier pour Libération, le second pour RTL. « C'est quelqu'un qui ne supporte pas l'hystérisation de l'actualité, l'extrémisme et le sectarisme. C'est un apôtre absolu de la raison, de la nuance et de la modération », poursuit Renaud Dély. Des qualités qui ont été appréciées par les téléspectateurs dans ses éditos étayés et pondérés de C à Vous, pendant les périodes de confinement.
Si sa structure reste inchangée, Patrick Cohen s'est « arrondi avec les années. J'essaie de ne plus réagir au quart de tour et de monter au créneau contre des décisions hiérarchiques comme cela m'arrivait plus jeune. Je pouvais être assez emmerdeur. Je n'arrivais pas à accepter facilement une décision qui me semblait injuste. Je pouvais demander à parler au N+1 ». Mais il n'a pas hésité à soutenir les grévistes d'Europe 1 et à témoigner dans la vidéo de Reporters sans frontières sur Le Système B ou Bolloré. « En partant d'Europe 1, j'ai signé comme tous une clause nous demandant de ne pas dire du mal de l'entreprise et de ses dirigeants. Mais Vincent Bolloré n'a jamais été mon employeur. Et je considère qu'il y a un danger pour la démocratie, le pluralisme, le débat public. C'est quelqu'un qui n'a que mépris pour l'activité journalistique », déplore-t-il.
Parcours
1979-1983. Maîtrise de droit à la faculté de Panthéon Sorbonne.
1983-1985. École de journalisme de Lille.
1994-2007. Il intègre RTL : Les auditeurs ont la parole, Le Grand jury, RTL Matin, RTL Soir
2007-2008. Rédacteur en chef de la matinale de France Inter animée par Nicolas Demorand et présentateur du journal de 8 heures.
2008-2010. Europe Soir.
2010-2017. Anime la matinale de France Inter qu'il hisse en tête des audiences.
2017-2021. Anime la matinale d'Europe 1, puis le week-end et Europe Midi.
Depuis 2011. Chroniqueur à C à vous sur France 5.
Depuis 2018. Animateur de Rembob'INA sur LCP.
Depuis 2021. Présentateur de L'Esprit public sur France Culture.