En décidant de décompter le temps de parole d’Éric Zemmour, le CSA a amené CNews à renoncer à son chroniqueur. Pourtant, on n’a jamais autant vu Éric Zemmour sur les écrans. Comment percevez-vous cette mise en avant ?
La préservation du pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion dans les médias audiovisuels est un principe constitutionnel. La loi nous donne mission de nous assurer du respect de ce pluralisme qui est indissociable de notre démocratie. Certains semblent l’avoir oublié. Tous les mois, les médias ont l’obligation de nous transmettre les temps de parole des personnalités politiques, y compris du chef de l’État quand il intervient dans le débat politique national, pour que le Conseil puisse veiller à leur équilibre, hors période électorale comme en période électorale. Ce n’est pas le fait d’être ou non candidat qui est déterminant mais le fait d’agir dans le champ politique. Le Conseil a considéré qu’Éric Zemmour avait changé de statut, qu’il n’était plus simplement un commentateur mais un acteur de la vie politique.
Et si Zemmour n’est finalement pas candidat, il aura réussi à diffuser très largement ses idées, y compris la théorie du grand remplacement de Renaud Camus... Ce n’est pas un problème ?
Nous sommes le garant de la liberté d’expression et nous serons toujours là pour la garantir, y compris lorsque les opinions choquent ou dérangent. Mais celle-ci s’exerce dans un cadre défini par la loi elle-même et si on transgresse la loi, le CSA peut intervenir sous la forme de mises en demeure, voire de sanctions, qui restent cependant exceptionnelles.
De nombreuses radios diffusent des émissions de télévision. C’est le cas d’Europe 1 avec CNews. Ne risque-ton pas d’avoir de la télé à la radio et donc un rétrécissement du champ du pluralisme ?
Il y a des règles strictes sur la double diffusion entre chaînes de télévision de la TNT parce qu’elles utilisent une ressource rare, les fréquences hertziennes. Concernant les collaborations entre radios et télévisions, elles s’observent sur RMC, Europe 1, un peu sur RTL et sous une autre forme avec franceinfo. Cela répond à un objectif compréhensible de synergies au sein des groupes, et cela reste dans des proportions raisonnables.
Vous êtes apparu favorable à la fusion TF1/M6 lors de votre intervention à l’Udecam, le 7 septembre. À tel point que Gilles Pelisson s’en est félicité. Êtes-vous dans votre rôle de président quand vous vous prononcez avant même les auditions des différents acteurs ?
En réalité, j’ai indiqué que le secteur audiovisuel était soumis à un fort mouvement de concentration à l’échelle mondiale. En témoignent par exemple les rapprochements Disney-Fox, Warner-Discovery ou MGM-Amazon. En France, on peut citer la reprise des chaînes Lagardère et de RTL par le groupe M6, ou l’entrée de Vivendi au capital de Lagardère. J’ai donc dit que dans un paysage qui changeait, beaucoup d’acteurs se mettaient en ordre de marche pour faire face à ce changement. Sur l’opération en question, nous sommes au tout début de l’instruction. Par ailleurs, nous rendrons un avis à l’Autorité de la concurrence début 2022. Le fil rouge pour le CSA sera celui du pluralisme, dans l’intérêt du public, et notamment le pluralisme des offres, le pluralisme de l’information et la préservation de la diversité de la création. Le CSA, qui instruit le dossier en toute impartialité, n’a donc pris aucune position et son président encore moins. C’est un dossier qui va nous conduire jusqu’en 2022 et même 2023. L’Autorité de la concurrence devrait faire connaître sa décision à l’été ou lors de la rentrée de l’année prochaine. Nous statuerons ensuite sur le changement de contrôle des services hertziens du groupe M6, vers octobre, puis nous aurons à statuer sur le renouvellement des autorisations des chaînes TF1 et M6 en fonction du nouveau paysage.
Pour vous, on peut garantir une pluralité de l’offre en regroupant des forces ?
On peut avoir une consolidation, mais encore faut-il que l’ensemble du paysage soit suffisamment pluraliste, divers, pour que le téléspectateur ait un choix, y compris en matière de sources d’information.
On pourrait donc avoir une fusion des rédactions…
N’anticipons pas. L’instruction démarre. Il y aura une analyse très approfondie des services du CSA, y compris sur la dimension des ressources publicitaires. Nous ferons aussi notre analyse du secteur que nous ferons connaître à l’Autorité de la concurrence.
Europe 1 va changer d’opérateur de contrôle avec le rachat des parts d’Amber dans Lagardère par Vivendi qui sera suivi d’une OPA. L’autorisation d’émettre d’Europe 1 sera-t-elle caduque ?
La loi est très claire : tout changement de contrôle du titulaire d’une autorisation est soumis à l’agrément du CSA. C’est ainsi qu’en juin dernier, nous avons auditionné les dirigeants du Groupe Lagardère et constaté qu’il n’y avait, à cette heure, pas de changement de contrôle au plan capitalistique. S’agissant du projet d’OPA, on est dans une phase où les autorités de la concurrence, probablement Bruxelles, seront amenées à se prononcer. Europe 1 devra nous soumettre l’opération au regard des mêmes critères de pluralisme et de diversité que pour l’opération TF1/M6. La question de la ligne éditoriale, c’est autre chose. La loi de 1986 accorde une liberté éditoriale aux éditeurs. Ce n’est pas le CSA qui fait la programmation des chaînes ni qui choisit les journalistes.
L’Arcom va être créé le 1er janvier. Avec sa fusion avec la Hadopi, c’est aussi la lutte contre le piratage qui rentrera dans vos prérogatives. Raymond Hugonnet, le rapporteur LR au Sénat, a estimé que le texte ne permettra pas à l’audiovisuel de s’adapter au monde des plateformes. A-t-il tort ?
La loi de 1986 a été modifiée près de quatre-vingt fois pour s’adapter aux évolutions du paysage. Force est de constater qu’on est aujourd’hui face à une mutation très spectaculaire, avec une fragmentation des usages – six écrans par foyer -, un développement des vecteurs d’accès par Internet, des nouveaux formats etc. La constitution de l’ARCOM va permettre à un régulateur intégré de couvrir l’ensemble de la chaîne de la création, de la fixation des obligations jusqu’à la protection du droit d’auteur et la lutte contre le piratage. C’est aussi une autorité qui va mieux embrasser les problématiques du digital, la lutte contre les infox et les contenus haineux, et la régulation des plateformes de vidéo par abonnement avec les obligations leur incombant. Pour autant, bien des sujets resteront à traiter, comme la question de l’évolution du service public. La fin de la taxe d’habitation en 2023 pose la question du devenir de la redevance : reste-t-on sur le principe d’une taxe affectée ou non ? Pour le CSA, ce principe est essentiel. C’est la garantie de l’indépendance du service public et d’un niveau de financement adéquat de la création dans notre pays.
Cette question n’est pas du tout présente dans la campagne présidentielle…
Elle devrait l’être. D’autant que certains proposent la privatisation de l’audiovisuel public [Marine Le Pen]. D’autres, et le CSA l’a régulièrement souligné, estiment que nous avons besoin d’un service public fort.
Y a-t-il un risque de non accès aux grands événements sportifs par les moyens de diffusion audiovisuels après l’obtention des droits de la Ligue 1/Ligue 2 par Amazon ?
Bien sûr, on a des acteurs de taille mondiale inscrits dans une logique de consolidation avec une force financière massive. Dès lors, un risque élevé pèse sur l’acquisition des droits audiovisuels, cinématographiques et sportifs. Cela se traduit, en parallèle, par un développement très spectaculaire du piratage. Préserver la capacité d’acquisition en matière de droits sportifs des chaînes gratuites, et notamment celle du service public, est un enjeu très important. Le décret sur les événements d’importance majeure est à cet égard très utile, mais au-delà, il faut préserver les capacités financières des acteurs du paysage audiovisuel français. Le sport est un élément fédérateur dans notre pays. Attention à ne pas en priver les Français !
Pour lutter contre la désinformation, les plateformes restent discrètes sur leur algorithme qui amènent à exposer ces contenus. Or, ils ne doivent faire qu’une déclaration annuelle au CSA. Comment faire en sorte qu’elles soient plus collaboratives ?
Ce qui est en jeu, c’est de concevoir un nouveau modèle de régulation. L’autorégulation a fait la preuve de ses limites avec la multiplication des contenus illicites, la diffusion massive de fausses informations comme de contenus haineux. La Commission européenne s’est saisie du dossier avec les projets de règlements DMA et DSA. Le mouvement est lancé, y compris chez les plateformes. A qui on impose des obligations de moyens. Le régulateur veille au respect de ces obligations, et le juge doit pouvoir sanctionner l’auteur des contenus illicites. J’ai, pour ma part, une vision optimiste tant les opinions publiques sont en attente face aux excès constatés. Sur la transparence des algorithmes, il y a encore du chemin à parcourir. Ce ne sont pas tant les aspects techniques que nous souhaitons interroger mais plutôt les effets de ces algorithmes. Pourquoi mettent-ils en avant tel ou tel contenu problématique ? Quels sont les flux financiers associés le cas échéant à ce contenu ? La « loi Infox » fonctionne sur le principe du « name and shame » et la loi confortant le respect des principes de la République nous donne, quant à elle, un pouvoir de sanction en matière d’obligations de moyens pour les contenus haineux, jusqu’à 6% du chiffre d’affaires mondial.
Avez-vous un droit de regard sur les publicités associées à ces contenus et allez-vous y veiller pendantla campagne électorale ?
On s’intéresse en effet à la monétisation de ces contenus. De manière plus générale, nous avons adapté notre organisation à ces nouvelles compétences avec la création récente d’une direction des plateformes en ligne, composée pour l’heure de six personnes. Nous constatons que les plateformes jouent le jeu vis-à-vis du régulateur, en répondant notamment à des questionnaires très précis.
Sur la campagne présidentielle, avez-vous une mise en garde à faire aux médias ?
La préservation du pluralisme politique est un principe constitutionnel qui participe de la vitalité du débat démocratique. Certains disent qu’il est d’un autre âge de recenser les temps de parole des personnalités politiques. Je ne partage pas cette analyse. La force de frappe des médias audiovisuels, et en particulier des chaînes de la TNT, reste très grande. Ce sont des millions de français qui les regardent chaque jour. Les débats politiques dans ces médias contribuent ainsi de manière significative à la formation de leurs opinions. Courant octobre, nous publierons, après avis du Conseil constitutionnel, une recommandation sur les règles applicables aux médias audiovisuels pour la couverture de l’élection présidentielle afin d’assurer un traitement équitable entre les candidats. Ce texte prendra en compte le contexte particulier de cette campagne électorale, à savoir, que la France assurera à compter du 1er janvier 2022 la présidence du Conseil de l’Union européenne. Le CSA intègrera cet élément dans le décompte des temps de parole.
Vous avez aussi la charge de veiller à la non exposition des contenus pornographiques auprès des mineurs. Comment voyez-vous la mission de l’Arcom sur les sujets de société ?
L’enjeu de l’Arcom est d’être au plus près des préoccupations des Français tout en sachant en même temps accompagner les acteurs du secteur. Ce n’est pas un régulateur conservateur, inscrit dans le statut quo. Légalement, on ne peut exposer des mineurs à des contenus pornographiques. La loi relative aux violences conjugales de juillet 2020 donne la faculté au président du CSA de mettre en demeure les sites pornographiques s’ils ne mettent pas en place un dispositif pour s’assurer que la personne qui se connecte a plus de 18 ans. En cas de non-conformité, il peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris pour bloquer l’accès du portail en cause.
Le CSA est chargé de superviser les contrats climat mis en place par les médias. Comment allez-vous procéder ?
Certains défendaient une approche coercitive avec des mesures d’interdiction. Nous avons plaidé pour une approche plus incitative, car la publicité est vitale pour les acteurs du secteur et nous sommes garants de leur équilibre économique et financier. Des codes de bonne conduite vont se bâtir sous l’égide du CSA. Nous en rendrons compte devant le Parlement. Nous allons reprendre les discussions avec les éditeurs et la filière publicitaire pour édifier ces nouvelles chartes climat afin d’avoir une publicité « plus verte ». Dans les bilans que nous serons amenés à dresser chaque année, le CSA désignera explicitement les bonnes et les mauvaises pratiques.
Des négociations sont en cours sur la chronologie des médias. Les différents acteurs ne sont pas d’accord sur les fenêtres d’exposition des films. Quelle est votre approche ?
Conformément au décret Smad, nous sommes en phase de négociation de leurs conventions avec les plateformes de vidéo à la demande. Nous leur avons transmis une première maquette de convention et nous espérons pouvoir les adopter avant la fin octobre, conformément au délai fixé. A défaut, c’est le CSA puis l’ARCOM qui notifiera à ces acteurs le montant de leurs obligations. C’est une étape très importante de rééquilibrage avec les acteurs historiques. Pour la chronologie des médias, ce sont des négociations interprofessionnelles. Elles sont naturellement toujours longues. Il faut préserver les acteurs traditionnels, en particulier les salles de cinéma et les acteurs de la télévision payante et gratuite, tout en améliorant la situation des plateformes de vidéo à la demande par abonnement, qui doivent voir leur fenêtre se rapprocher compte tenu de leur contribution à la production de 20 à 25% du chiffre d’affaires réalisé sur le territoire national. Je ne doute pas qu’un point d’équilibre finira par être trouvé.
La députée Céline Calvez estime que le compte n’y est pas encore concernant la place des femmes dans les médias. Diriez-vous que cela progresse malgré tout ?
La juste représentation de la diversité de la société française et de l’égalité entre les femmes et les hommes est un sujet central pour le régulateur. Quand on regarde la télévision, chacun doit pouvoir s’y retrouver. Sur la place des femmes dans les médias audiovisuels, comme le relève notre baromètre annuel, il y a des progrès incontestables ; mais il faut aller plus loin, nous y sommes résolus. Les entreprises de l’audiovisuel public, présidées par des femmes, contribuent à ce mouvement dans lequel sont aussi engagés des acteurs privés.
Le DAB+ va être lancé mi-octobre sur l’axe Paris-Lyon-Marseille. Comment expliquer que, à l’inverse de la TNT, cette technologie ne suscite pas d’engouement. Le déploiement n’est-il pas trop lent ?
Outre la qualité de son et le confort en mobilité, le DAB+ permet d’enrichir l’offre avec l’arrivée de nouveaux acteurs. Il est déjà accessible dans les grandes agglomérations françaises, et les constructeurs automobiles ont l’obligation de fournir un autoradio avec la puce DAB+ depuis un an. Le 12 octobre, 25 radios nationales vont diffuser sur cet axe Paris-Lyon-Marseille et dès l’année prochaine, plus de 50% du territoire sera couvert. Le mouvement est enclenché, même s’il est vrai que nous avons pris du retard par rapport à d’autres pays. Une campagne d’information sur le DAB+ devrait être lancée cet automne avec l’appui de tous les acteurs concernés.