Presse
À la tête d'un trésor de guerre de 129 millions d'euros, Le Canard enchaîné, hebdo de presse satirique plus que centenaire, fait sa mue digitale. De quoi endiguer la diminution des points de ventes et renouveler son lectorat ?

Depuis 1915, Le Canard enchaîné était attaché au papier comme un voilier à son enclume. Au risque de couler sous la vague numérique. Mais l'hebdo satirique est sorti en version digitale pour la première fois pendant le premier confinement, à la suite de la fermeture de 25 % des points de vente. Depuis décembre, il propose des abonnements intégrant la version numérique disponible dès le mardi soir, et la possibilité d'acheter les anciens numéros sur internet. « Un mois après cette offre, on atteint les 10 000 abonnés numériques. Et on a gagné 20 000 abonnés papier en un an, passant à 90 000 ex. Ce sont surtout des lecteurs de communes de moins de 2 500 habitants qui n'ont plus de points de vente à proximité », explique Nicolas Brimo, le directeur du Canard enchaîné, invité le 4 mars 2021 de l'Association des journalistes médias (AJM) qui reconnaît une problématique de vieillissement du lectorat.

Plusieurs millions dans une plateforme de flux

Le patron a entamé une « réflexion » sur l'opportunité d'investir « plusieurs millions d'euros » dans une plateforme de flux. Mais on le sent plein de réserves : « À part Mediapart, qui gagne de l'argent sur le numérique ?, interroge-t-il. C'est vrai que l'on n'était pas très geek. Je ne sais pas ce que la presse sera dans cinq ans. Mais le modèle du Canard n'est pas menacé car on s'est assuré les moyens de faire face au virage numérique. Comme disait Robert Hersant, la liberté de la presse commence et s'arrête au tiroir-caisse. »

Celui du Canard enchaîné est riche d'une réserve de 127 millions d'euros mais, placés en bons du trésor de l'État français, il évolue désormais à la baisse. D'autant que le titre a perdu 34 000 euros en 2019 et sera de nouveau en perte en 2020.  Mais ce trésor de guerre garantit son indépendance et celle de ses 40 journalistes, « payés 5 000 euros brut en moyenne mais tenus de n'accepter ni voyages de presse, ni cadeaux, ni invitations au restaurant ».

C'est dans cette caisse que le journal puisera pour payer les 2,8 millions d'euros de déficit liés au naufrage de Presstalis. Conséquence ? Après un prix stable depuis 1991, Le Canard enchaîné, qui refuse toute publicité, est passé de 1,20 à 1,50 euros le 3 février. « Nous avons reçu une centaine de lettres dont certaines nous incitaient à demander 2 euros. Il n'y a qu'un seul lecteur qui nous a engueulés », affirme Nicolas Brimo. Des lecteurs qui achètent 230 000 ex. par semaine, dont 30 000 à Paris, autant à l'étranger et 170 000 en province. 

Des scoops moins vendeurs

Le journal, qui refuse toute subvention directe, reconnaît que les scoops sont moins vendeurs. « Avant, on affichait +20 à 25 % de ventes. Aujourd'hui, c'est plutôt 5 à 10 % car avec les reprises, l'info circule vite », poursuit le directeur. Et le journal se refuse toujours à traiter de la vie privée. Si la présidence de Nicolas Sarkozy et l'affaire Fillon ont dopé les ventes, la macronie n'a pas servi les plumes du Canard. « La classe politique actuelle, c'est une colonie d'énarques, loin du relief d'un Pasqua ou d'un Seguin » déplore Nicolas Brimo. « Mais plus on parle de transparence et moins il y en a », s'amuse celui qui voit aussi dans le Parquet national financier « un excellent sujet d'enquête »

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