Le modèle économique de Google, basé sur une galaxie de services gratuits, la récolte des données des utilisateurs et la publicité, est remis en cause par les poursuites lancées contre ce groupe par le gouvernement américain, qui l'accuse d'abus de position dominante.
Le ministère de la Justice va devoir prouver que Google a enfreint les lois de la concurrence, et renforcé son monopole sur la recherche et la publicité en ligne d'une façon illégale, en utilisant ses différents services ; e-mail, cartes et GPS, outils pour faire les courses ou réserver en ligne. Or pour gagner devant les tribunaux, les autorités doivent montrer que le groupe californien a nui aux consommateurs, alors que ses outils sont gratuits.
Les poursuites «ignorent la question du prix et se concentrent sur l'impact en termes de qualité et d'innovation», pointe Avery Gardiner, membre du Center for Democracy & Technology. «Dans le passé, les agences en charge de l'antitrust ont été réticentes à avancer sans preuve sur les conséquences pour les prix», a souligné cette ancienne avocate du ministère de la Justice chargée des ententes et de l'antitrust.
Les données fournies par le ministère montrent que Google contrôle 88% des recherches en ligne aux États-Unis, et même 94% des recherches sur internet via un appareil mobile. Le gouvernement fait aussi valoir que le géant des technologies a renforcé son monopole grâce à des contrats qui excluent la compétition, notamment celui passé avec son voisin Apple pour que Google soit le moteur de recherche par défaut sur l'iPhone. De cette façon, l'outil s'impose de lui-même sur les deux systèmes d'exploitation mobile dominants, Android (Google) et iOS (Apple).
Lire aussi : Les États-Unis attaquent Google pour abus de position dominante
Le fleuron d'Alphabet, qui vaut plus de 1 000 milliards de dollars en Bourse, a généré 161 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2019, l'essentiel venant de la publicité numérique (adossée aux recherches, aux vidéos sur YouTube, à Google Maps, etc.), qui se nourrit de la navigation et des profils des milliards d'utilisateurs.
Les recherches sur Google «ne sont pas véritablement gratuites, puisqu'on peut les considérer comme des transactions où le consommateur donne son attention aux publicités en échange des résultats de recherche», note Christopher Sagers, professeur de droit de la Cleveland State University.
Il estime que la gratuité ne sera pas un obstacle majeur pour le gouvernement, qui devrait se concentrer sur la publicité numérique, «un produit que Google ne donne pas gratuitement». L'argumentation du ministère semble fondée sur «les atteintes à la vie privée, la protection des informations personnelles et le recours aux données des consommateurs», constate Maurice Stucke, un professeur de droit de l'université du Tennessee spécialisé dans le droit de la concurrence.
Les poursuites devraient examiner plus largement les conséquences des pratiques de Google pour tout le secteur. Selon lui, les avocats du gouvernement ont évoqué l'affaire Microsoft il y a vingt ans, quand les autorités avaient échoué à démanteler la firme, mais réussi à ouvrir l'industrie des technologies à plus d'acteurs. «La perception générale est que le procès Microsoft a permis à des innovations d'émerger, parce que les concurrents n'opéraient plus dans l'ombre du groupe», remarque Maurice Stucke.
Les poursuites lancées par le ministère associé à onze procureurs généraux d'États américains, tous républicains, pourraient s'étaler sur plusieurs années, dans un contexte de colère et défiance des autorités vis-à-vis du pouvoir accumulé par les sociétés de la Silicon Valley.
Lire aussi : La presse française est trop dépendante de Google
La plainte déposée à Washington appelle à des changements «structurels», et laisse donc envisager un possible démantèlement de certains pans du leader de la recherche en ligne. Google a qualifié ces poursuites de «douteuses». «Les gens utilisent Google par choix et non parce qu'ils y sont forcés ou ne trouvent pas d'alternatives», s'est défendu Kent Walker, un vice-président du groupe de Mountain View (Californie), dans un communiqué mardi 20 octobre.
«Nous ne sommes pas en 1990, quand changer de service était long et compliqué, et nécessitait l'achat et l'installation d'un logiciel avec un CD-ROM», s'est-il moqué. Selon l'analyste indépendant Richard Windsor, le ministère dispose d'arguments solides, mais «la solution la plus probable n'est pas un démantèlement. Ce serait plutôt des mesures qui renforcent la compétition», comme de permettre à des outils concurrents de figurer de façon plus proéminente sur son magasin d'applications mobiles (Google Play Store).
«Pour être honnête avec Google, leur écosystème de services est le meilleur disponible dans de nombreuses catégories», analyse Richard Windsor sur son blog. «En revanche, Google force les fabricants de smartphones à mettre en évidence ses outils et à les installer par défaut.»