Grand entretien
Entre nouvelles fonctionnalités, polémiques sur la modération des contenus et crise sanitaire et économique, Facebook est tous les jours au cœur de l’actualité. Stratégies a rencontré son vice-président Europe du Sud, Laurent Solly, le 20 août dernier, pour une grande interview.

Vous lancez en cette rentrée une fonctionnalité attendue du monde de l’événementiel. De quoi s'agit-il ?

Face à l’impossibilité de se réunir en cette crise de Covid-19, Facebook lance dans 20 pays, dont la France, la possibilité de créer des événements sur la plateforme et de les faire payer. Des événements d’entreprise, artistiques, culturels, des salons, des congrès... Le monde de l’événementiel a été durement touché pendant cette crise et nous espérons que cette fonctionnalité lui permettra de résister un peu plus. Le principe est simple, il suffit d’activer le mode payant quand vous organisez l’événement. Vous pouvez le créer, l’annoncer et, moyennant quelques euros, le mettre en ligne. Facebook ne prend aucune commission. Nous avions été interrogés en France, pendant le confinement, notamment par des DJ. Le live a un grand succès sur la plateforme depuis la crise sanitaire et le monde du spectacle nous demandait comment récupérer un peu de recette face à l’écroulement de leurs revenus. Nous allons beaucoup le pousser en communication à la rentrée.

 

Justement, avez-vous observé des évolutions de comportements sur la plateforme suite à cette crise ?

La première des observations, c’est l’augmentation du nombre d’utilisateurs. Nous sommes passés de 37 millions d’utilisateurs actifs mensuels sur Facebook en France fin 2019 à 39 millions fin juillet. C’est une grosse progression sur le premier semestre [+5,4%]. Dans le monde nous sommes à 2,7 milliards d’utilisateurs actifs par mois, et 1,8 milliard tous les jours, c’est une croissance de 12% entre juillet 2019 et juillet 2020. Et sur l’ensemble des familles d’applications du groupe, nous sommes à 3,1 milliards d’utilisateurs actifs par mois et 2,5 milliards par jour. Donc nous avons eu une grande croissance d’utilisateurs sur ce semestre, des suites du Covid-19. Néanmoins, si vous regardez les chiffres de 2019, nous étions déjà sur une tendance de forte croissance. Sur l’utilisation de nos outils, nous avons eu des croissances considérables, notamment les utilisations de messagerie ou de vidéos groupées. Dans le monde nous avons eu plus de 700 millions de vidéos d’appels par jour.

 

Vous avez dû vous adapter à cette hausse des usages ?

Oui nous avons très rapidement, dès la fin du mois de mars, diminué le débit des vidéos sur toute l’Europe pour absorber cette forte accélération. Nos datacenters et nos réseaux sont configurés pour soutenir une forte utilisation mais personne n’avait estimé cette consommation. Donc il fallait très rapidement réguler les vidéos.

 

Et économiquement, avez-vous subi des difficultés ?

Au deuxième trimestre, hors variations de change, nous sommes à +12% de croissance dans le monde, pour 18,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Le mois d’avril nous a plutôt affecté, et cette croissance s’est surtout produite sur mai et juin. Ce sont les TPE et PME dans le monde qui ont majoritairement participé à cette croissance de revenus, et notamment les entreprises de e-commerce. Aujourd’hui, 180 millions d’entreprises utilisent Facebook et ses plateformes, dont seulement 9 millions utilisent nos services publicitaires. Cela veut dire que la majorité des entreprises qui utilisent nos plateformes l’utilisent gratuitement. Ce que nous avons vu, c’est que nous sommes un outil de création de valeur pour les entreprises. Elles ont la capacité de vendre, recruter et exporter leurs produits. Donc nous jouons un rôle majeur dans le tissu économique du pays. Aujourd’hui, en France, 50% des TPE et PME utilisent Facebook, dont la plupart gratuitement. Seulement en France, si les deux tiers des Français ont déjà acheté sur internet dans l’année, seulement 19% des entreprises possèdent les outils digitaux pour vendre sur internet. Alors nous avons décidé de lancer un programme de 100 formations à destination des patrons d’entreprises. Fin août, nous avons déjà formé 3500 personnes.

 

Quel bilan tirez-vous de la crise ?

Elle est un accélérateur de la transformation digitale. Une étude de McKinsey attestait qu’il s’est passé en huit semaines ce qui aurait normalement dû prendre cinq à huit années dans ce domaine, et ce phénomène continue. Nous pensons être un acteur majeur de la reprise d’activité pour toutes les entreprises et un facteur d’adaptation à ce nouveau monde digitalisé. Toutes nos récentes innovations vont dans ce sens. Quand nous lançons Shops, c’est pour rendre la vente sur internet très simple, gratuite, donc sans grands investissements. Il y eu ce qu’on appelle un « effet de cliquet», pendant cette crise, qui marque une rupture. C’est à dire que la population a augmenté considérablement sa consommation numérique pendant la crise, il y eu un pic, mais en sortie, on ne revient pas à la normale, on reste à des valeurs plus élevées qu’avant. Face à cette digitalisation rapide et massive, nous aidons les entreprises à s’adapter rapidement à ces nouveaux comportements. Nous avons intégré Zoom dans Portal [un outil d’appels vidéo avec Alexa Intégré], pour faciliter le télétravail et les conversations en famille ou entre amis, lancé Reels sur Instagram en juin dernier [un concurrent direct de TikTok], Messenger Rooms... Tout concourt à créer ces moments de connexion.

 

Cette crise a-t-elle redéfini ce qu’est un réseau social ?

Elle a mis en lumière le rôle social et crucial des réseaux sociaux. Que ce soit avec le gouvernement pour informer la population sur le Covid-19, via des bots dans les messageries, avec nos partenaires, le monde du spectacle, mais aussi pour la solidarité. En dix jours, 500 000 Français, mi-mars, ont rejoint des groupes d’entraide. Nous avons dû être le liant pour maintenir le lien social. Et ça s’est vu. On s’est rendu compte grâce à ces outils, gratuits, redisons-le, de l’importance du lien social. Le public avait parfois un peu oublié notre ADN qui est de connecter les gens.

 

Cela s’est ressenti aussi en interne ?

Oui, évidemment. Les équipes étaient fières de participer, d’aider le pays à ce moment-là. L’AFP a même publié une dépêche affirmant que nous jouions un rôle de quasiment «service public», ce qui dans la culture française est très important. Les équipes ont donné beaucoup de temps, non pas pour l’activité commerciale, mais pour s’interroger sur comment aider. Loger un soignant, vendre des fruits pour éviter qu’ils ne pourrissent... des exemples comme cela il y en a eu plein sur la plateforme : 14 millions de Français ont été confrontés à une action de solidarité, et une grande partie s'est engagée.

 

Pensez-vous que c’est la prise de conscience de l’importance de Facebook dans la société qui accélère les critiques à votre égard – contre la modération, par exemple ?

Absolument. Une entreprise comme Facebook, avec ce nombre d’utilisateurs, et cet impact social et économique, a une grande responsabilité, et elle le reconnaît depuis très longtemps. Il est normal que nous soyons critiqués ou questionnés sur ces sujets. Nos plateformes doivent être des endroits sûrs où ne circulent ni des contenus de propagandes terroristes, ni pédopornographiques, ni de haine. Elles doivent être un lieu où la bonne information circule, où il n’y a pas d’interférence politique lors d’élections ou de grands moments démocratiques, et où ne doivent pas circuler de fausses pages ou de faux profils.

 

Et est-ce le cas ?

Avant toute chose il faut remettre en perspective ce qui est et ce qui a été fait. Depuis sept ans que je suis chez Facebook, je peux vous dire que sur les cinq dernières années, Facebook a mis sur la table des moyens considérables pour assurer ces priorités. Aujourd’hui, 35 000 personnes [dont 15 000 sur la modération] dans le monde travaillent pour assurer la sécurité et la sûreté de nos utilisateurs. Nos investissements en intelligence artificielle, notamment avec le bureau de recherche parisien, sont énormes. Des milliards de dollars ont été injectés. Aujourd’hui, 99,5% des contenus terroristes ou pédopornographiques sont bloqués a priori, et automatiquement, avant même qu’un utilisateur ne puisse le voir. Il y a cinq ans, ces contenus étaient essentiellement modérés par signalement et a posteriori. Nous avons écouté et vu quelles étaient les meilleures pratiques.

Nous avons adapté nos règles, en respectant les lois des pays, mais en apportant des compléments : désormais par exemple, pour la publicité politique, il faut se déclarer, recevoir une autorisation, et toutes les publicités sont transparentes. Un document public indique qui a annoncé, sur quel territoire et pour quel montant. Chez Facebook il y a une doctrine, qui s’appelle la liberté d’expression, mais aussi des règles qui empêchent les personnes de dire n’importe quoi. Nous avançons jour après jour entre ces différents concepts. C’est un équilibre difficile à trouver. Nous avons augmenté nos capacités sur les fausses informations pour pouvoir étiqueter des contenus qui nous paraissent discutables. C’est-à-dire que l’utilisateur peut les dire, mais nous invitons à aller les vérifier.

Sur le Covid-19, il est très clair que les fausses informations susceptibles de mettre en danger la vie des utilisateurs sont désormais retirées de la plateforme. Nous avons eu 7 millions de contenus retirés ainsi depuis le début de la crise. Nous avons aussi renforcé les partenariats avec les factcheckers ; nous en avons 70 dans le monde et la France a été le premier pays à les mettre en place. Il faut savoir que lorsqu’une fausse information est étiquetée en tant que telle, vérifiée par un factcheker, 95% des utilisateurs ne cliquent pas dessus. En parallèle, pour la modération, nous avons créé un conseil de surveillance qui sera effectif d’ici la fin de l’année.

 

En quoi consiste-t-il ?

Certaines personnalités internationales, qui font autorité dans leur domaine, seront amenées à juger les décisions de l’entreprise en matière de modération. Si nous supprimons un contenu et que vous n’êtes pas d’accord, vous pourrez avoir recours à ce conseil qui jugera si notre décision a été bonne ou non. Ce conseil indépendant pourra nous demander de remettre ledit contenu en ligne. Tout notre travail de modération est réalisé en lien avec des partenaires extérieurs, des associations indépendantes, etc. Il ne faut pas voir Facebook comme une société isolée, coupée de regards tiers.

 

Aujourd'hui, tout ce fonctionnement est international, mais peut-on imaginer un jour des règles adaptées en fonction des zones géographiques ou des pays ?

Nous avons besoin d’un socle de règles internationales, car nous sommes une entreprise internationale, avec des valeurs comme la liberté d’expression, le respect des principes démocratiques, la volonté de l’inclusion... Ces valeurs sont les mêmes et sont valables en Amérique, en France, en Europe, en Asie, en Amérique latine. Ce sont les standards de la communauté et ils sont internationaux. Mais nous pensons que ces standards doivent être appliquée au mieux, et donc nous établissons un écosystème de partenaires indépendants qui nous aident ou nous accompagnent dans l’exécution de ces règles. C’est le principe de ce conseil de surveillance qui aura autorité sur les décisions que prendra Facebook, mais qui nous éclairera aussi sur l’évolution de nos règles dans l’avenir.

Cette articulation entre le local et le global a déjà lieu, tout simplement avec les lois des pays que nous respectons à chaque fois, et qui sont, elles, des règlementations locales. En France, par exemple, l’apologie de crime de masse est interdite. C’est un crime, vous n’avez pas le droit de diffuser de tels contenus. Cette disposition particulière nous a amené à bannir de façon permanente de Facebook et Instagram, Dieudonné, qui avait de façon répétée transgressé ces règles, à la fois de notre communauté, et à la fois de la république française. Donc il est banni définitivement de nos plateformes.

 

Dans un autre pays, il n’aurait pas été banni ?

Si. Je pense que les règles que nous avons nous-mêmes font qu’il aurait subi les mêmes sanctions. D’ailleurs si vous regardez, nous venons de supprimer aux États-Unis 980 groupes liés à la mouvance Qanon, qui appellent à la violence et aux émeutes. C’est quelque chose que nous faisons régulièrement et nous continuerons à le faire.

 

Mais n’y a-t-il pas eu un changement de doctrine ces dernières semaines ? La modération des messages du président Trump, l’exclusion de l’humoriste Dieudonné... Ces décisions hautement symboliques n’indiquent-elles pas que vous avez pris un virage plus dur sur ces sujets ?

Non, comme je vous le disais, c’est un travail de fond que nous menons depuis longtemps. En revanche, le contexte a changé. Et le fait que l’importance du rôle social ai pu émerger lors de cette crise a mis en lumière ces questions alors que les progrès étaient en cours. Par exemple, en février, nous avons publié notre rapport sur les standards de la communauté dans lesquels nous indiquons les chiffres sur les contenus supprimés par catégorie. À l’époque, on notait une très nette évolution grâce aux progrès réalisés en intelligence artificielle : en quatre ans, nous sommes passés de 0 à 88% de suppressions proactives des contenus de haine. Mais cette progression est totalement passée sous le radar médiatique, car l’actualité traitait davantage du Covid-19.

En revanche, au cours du printemps, deux actualités extrêmement fortes ont surgi : l’entrée en campagne de la société américaine mêlée à des événements dramatiques, notamment l’assassinat de Georges Floyd, et la crise sanitaire avec le confinement. À ce moment-là, tout le monde s’est retourné vers nous pour nous questionner : «Qu’est-ce que vous faites ? Quels moyens vous utilisez ?» Il est normal qu’on nous interroge sur ces questions. Mais nous avons réagi. Nous avons mis en place un centre d’information sur le Covid-19 avec des informations vérifiées. Car pour lutter efficacement contre les fausses informations, il faut d’abord propager les bonnes informations. Alors nous avons fait des dons à l’OMS, en termes d’espace publicitaire, au gouvernement avec des bots mis à disposition sur les messageries, pour informer les citoyens...

Au total, 2 milliards de personnes y ont été exposées, et 600 000 millions d'entre eux ont cliqué sur une de ces informations. Depuis 2018, nous avons une politique de retrait des fausses informations nuisibles qui peuvent provoquer un danger physique. Depuis janvier, nous avons appliqué cette règle aux fausses informations liées au Covid-19 dans toute la plateforme, y compris dans les groupes. Récemment, nous avons retiré plusieurs contenus de ce type dans des groupes en France et au moins un groupe dans son intégralité aux États-Unis parce qu’ils rapportaient de fausses informations liées au Covid-19, et notamment aux masques, expliquant qu’ils étaient inutiles voire dangereux pour la santé.

 

À force de hiérarchiser et d’éditorialiser les informations ne craignez-vous pas de devenir un média et donc, d’être soumis à la législation propre aux médias ?

Je ne pense pas, car nous ne sommes pas un éditeur. La différence fondamentale entre Facebook et un média, c’est que personne chez Facebook n’édite de contenus. Nous n’avons pas de journalistes, ni de directeur de publication. Néanmoins, ce n’est pas parce que nous n’éditons rien que nous n’avons pas de responsabilités vis-à-vis de l'information. Nous sommes une entreprise de nature différente. Bien sûr le combat pour un internet sûr n’est pas terminé, et il est normal d’être questionné ou critiqué là-dessus. Mais nous avons progressé depuis quatre ans, la Commission européenne l’a reconnu ainsi que les associations. Nous avons investi en 2019 plus de 10 milliards de dollars en R&D, et notamment sur ces outils de modération. Ce n’est pas un chiffre anodin.

Il faut aussi reconnaître que nous sommes une entreprise pionnière sur ces sujets et que nous avons à résoudre des questions qui n’ont jamais été posées. Donc nous essuyons les plâtres pour les autres. Les décisions «spectaculaires», sur Donald Trump ou sur Dieudonné, ne sont que la mise en œuvre de nos politiques. Des milliers de décisions de même nature sont prises régulièrement sur des personnalités moins médiatiques. Ce sont cependant parfois des questions difficiles, et quand certains nous reprochent d’être trop sévère, d’autres nous reprochent d’être trop laxiste.

 

Quelle est la position de Facebook par exemple, sur le groupe anti-masque, ou antivaccin, qui pourraient arriver en masse prochainement ?

Que les choses soient claires : les mêmes règles de modération s’appliquent pour tous les utilisateurs, dans un groupe ou non. Les règles concernant le Covid-19 et des contenus qui pourraient mettre en danger les utilisateurs sont les mêmes dans les groupes. Et nous retirons les contenus qui violent nos standards, qu’ils soient dans un groupe privé ou public, ou encore dans le fil d’actualité.

 

Même si c’est un groupe privé ?

Dans ce cas-là, il faut que ce soit signalé. Car il y aussi le respect des données personnelles, évidemment. Oui, s’il est signalé. Mais vous voyez, il y a un équilibre à trouver et de nombreux paramètres à prendre en compte. En revanche, si un groupe récidive en permanence, ce groupe peut être fermé. Mais là encore, c’est une décision importante, et il faut réfléchir avec soin. La liberté d’expression n’est pas qu’un mot. Nous avons la responsabilité d'assurer la sécurité de Facebook, c'est pourquoi nos politiques s'appliquent à l'ensemble de Facebook, y compris aux groupes privés.

 

Prenez-vous en compte dans votre modération le fait que des utilisateurs en désaccord pourraient finir par quitter la plateforme ?

Non. La preuve ? Nous le faisons régulièrement. Nous pensons qu’il est important d’avoir un Facebook sûr, et c’est une demande très forte de la part des utilisateurs, pour leurs enfants par exemple.

 

Et aussi pour vos annonceurs ?

Oui. Si la modération est primordiale pour les utilisateurs, il est tout aussi important d’assurer la sécurité de notre plateforme pour nos entreprises partenaires. En toute honnêteté, pour avoir parlé avec les entreprises, elles ont bien vu les progrès que nous avons réalisé en la matière. Et elles le voient depuis longtemps. Déjà parce que d’autres entreprises du marché ont soulevé la question [Google avec YouTube], et qu’elles ont maintenant l’habitude d’être très exigeantes sur la brand safety. Ce n’est pas un nouveau sujet. L'année dernière, nous avons pris l’initiative de faire partie du Garm (Global alliance for responsible media) qui rassemble énormément d’annonceurs.

 

À ce propos, quelles ont été les conséquences pour Facebook France du boycott publicitaire qui a eu lieu au mois de juillet ?

En France nous sommes restés relativement protégés. Les entreprises françaises et européennes se sont beaucoup interrogées. En tant qu'annonceurs ou agences, elles ont voulu comprendre ce qu’il se passait et nous ont questionnés. Je crois qu’en France et en Europe nous avons pu avoir un dialogue qui ne s’effectuait pas dans le même climat qu’aux États-Unis, où la question était plus sensible, et c’est bien normal au regard de la situation. Mais la plupart ont compris ce que nous faisions contre ces contenus et pour assurer la brand safety. Globalement, sur ce débat, la relation très forte que nous avons ici avec nos partenaires nous a permis d’expliquer la situation sans impact majeur pour nous.

 

Et donc à ce jour, le boycott est sur la fin ?

Il concernait beaucoup d’entreprises américaines, qui ont des filiales en Europe. Vous dire que c’est terminé, non, mais je pense que le travail d’explication que nous faisons sur ce que l’on fait permettra d’en minorer encore l’impact dans les semaines qui viennent.

 

Vous venez de lancer Reels sur Instagram, fin juin. Avez-vous déjà dressé un bilan de ce lancement ?

C’est encore un peu tôt pour avoir les premiers chiffres. La France a fait partie des premiers pays à le tester, et le lancement a à peine quelques semaines pour les autres pays. Ce que je peux vous dire c’est que Reels répond à la question de l’innovation permanente. Nous sommes sur un marché hyper concurrentiel, avec d’autres plateformes comme Snapchat, Tiktok, ou WeChat en Asie, et nous devons innover en permanence pour nos utilisateurs, qui sont en demande. Mais l’innovation répond à d’autres problématiques : elle permet de rester humble. Pour l’entreprise, c’est un défi permanent. Elle est primordiale aussi pour rester leader sur les nouvelles technologies. Que ce soit sur l’IA, la réalité virtuelle ou augmentée. Elle nous met face à l’inconnu. Quand Yann Le Cun a monté le laboratoire d’IA de Facebook, il ne savait pas réellement où il allait ni combien de temps cela prendrait. Il se trouve que c’est allé vite, mais ce n’était pas écrit au départ. Aujourd’hui, nos innovations dans ce domaine sont disponibles en open source et elles servent même à d’autres secteurs comme la médecine. Donc notre innovation a aussi des impacts en dehors de notre écosystème.

 

C’est dans ce cadre d’innovation que vous rapprochez de plus en plus Instagram et Messenger ? À quoi répond précisément ce projet ?

Oui c’est de l’innovation, mais avec la particularité que, dans notre écosystème, trois messageries se sont développées : WhatsApp, Messenger et Instagram Direct. Nous nous sommes rendus compte il y a deux ans qu’au fond, certains de nos utilisateurs avaient des messageries privilégiées et que celui qui était davantage habitué à une ne pouvait pas correspondre avec celui qui était sur l’autre. L’objectif est donc de travailler sur l’interopérabilité entre les messageries. Il ne s’agit en aucun cas d’aboutir à une seule application de communication, mais de créer des ponts. C’est un travail très long, très complexe, qui pose des questions techniques et de respect des données. Cela prend beaucoup de temps, car les modèles technologiques sont différents.

 

Il y a eu des rumeurs cet été de partenariats avec la chaîne Telefoot, de Mediapro. Avez-vous discuté avec eux ? Quel est la stratégie de Facebook en termes de diffusion du sport ?

Alors non, il faut clarifier les choses. Nous discutons avec Telefoot comme avec l'ensemble des médias pour ce qui est de l’utilisation de nos outils notamment vidéo. Certains de nos produits – comme Fan Subscriptions, utilisé par certains acteurs du sport – pourraient les intéresser. Mais nous ne discutons pas du tout d’un accord commercial de distribution de leur chaîne. Pour ce qui est de la diffusion d'événements sportifs en direct chez Facebook, c’est un sujet sur lequel nous menons quelques tests à petite échelle dans le monde. Le test le plus poussé a lieu en Inde, pays dans lequel nous avons acquis des droits directement pour le sport national, le cricket. Mais ce ne sont pas des droits de diffusion de matchs en entier, ce sont des droits spécifiques pour certains contenus. Et cela n’a pas encore été mis totalement en œuvre, nous verrons plus tard. Ce ne sont vraiment que des tests pour le moment.

 

Êtes-vous concernés par la réforme sur les droits voisins ?

La loi traduite de la directive européenne demandait à ce qu’il y ait des discussions entre les plateformes et les éditeurs. Nous discutons donc avec eux et espérons rapidement trouver un terrain d’entente. Nous avons toujours été proches des médias. En parallèle, un des grands rôles que nous jouons auprès de la presse, c’est dans le fait d’accélérer les abonnements numériques.

 

Est-ce que la crise a changé votre manière de travailler avec les agences ?

Les liens que nous avons avec les agences sont historiquement forts et je pense que cette crise les renforce. Déjà car nous avons partagé une vision commune, qui est celle de voir dans cette rupture une accélération de la digitalisation du monde, et donc de l’industrie du marketing et de la publicité. Mais aussi parce que les clients, les annonceurs, nous posent beaucoup de questions, à tous. Ils sont touchés dans leur économie : le tourisme, le transport, par exemple, sont très affectés. Mais cette crise interroge aussi leur stratégie, et cela dépasse le marketing et la publicité. Ils s’interrogent sur leur stratégie commerciale et leur chaîne de valeur ajoutée.

Enfin, tous nous demandent, à nous et aux agences, comment on peut être un élément de leur prise de décision. On parle de e-commerce et de digitalisation, mais vous savez, passer de 10% à 25% de ventes en lignes dans un temps très réduit est un choc structurel très important pour une entreprise. Relations clients, data, logistique, contenu... C’est facile à dire, mais cela implique énormément de domaines. Donc je pense qu’avec les agences nous nous sommes rapprochés en jouant le même rôle auprès de nos clients, avec le même degré d’exigence. Nous devons les éclairer sur cette crise économique car elle n’est pas terminée, et va encore durer plusieurs mois. Cette accélération de la digitalisation implique de repenser rapidement ses modèles. Prenons la distribution, par exemple, avec Carrefour. Ils ont dû massivement digitaliser leurs prospectus et utiliser les messageries. Je crois beaucoup à l’essor des messageries dans la relation client, comme c’est déjà le cas en Asie. Avec les agences, nous allons devoir les utiliser au profit de nos partenaires.

 

Comptez-vous monétiser les messageries ?

Pas publicitairement parlant. Ce n’est pas le modèle que nous avons choisi. Je crois à l’essor des messageries pour développer une nouvelle relation client. L’essor du e-commerce, quelle que soit l’industrie dont on parle, induit de nouvelles relations clientèles, avec des questions précises : «Je n’ai pas été livré», «je voudrais un autre produit, dans une autre couleur»... Et la messagerie est un outil puissant dont les Français se sont saisis naturellement. Et cette facilité d’usage, sans friction, est vraiment en train d’arriver en Europe et va révolutionner la relation client. C’était déjà un sujet il y a quelques années, mais l’accélération que nous venons de vivre a fait passer un cap à ce média, selon moi.

 

Avec quel modèle économique donc, pour vous ?

Pour le moment, c’est utilisé organiquement par l’annonceur. Mais nous lançons des produits du type «call to WhatsApp» ou «call to Messenger». C’est-à-dire que pour une campagne précise sur une de nos plateformes, lors d’une opération particulière, vous aurez un bouton qui vous mettra directement en relation avec la marque via messagerie. Après nous pourrons utiliser d’autres formes de monétisation pour les entreprises qui voudront relancer leur clientèle ou leurs prospects, mais nous n’en sommes pas encore là.

 

Qu’en est-il du paiement sur Facebook, un domaine sur lequel vous semblez accélérer avec la création par exemple de Facebook Financial ?

Le paiement progresse sur Facebook, notamment via les dons sur la plateforme qui ont été très importants pendant la crise sanitaire, mais déjà par le passé, où nous avions fait une opération pour Notre Dame de Paris. C’est une fonctionnalité qui est très efficace, mais qui doit être utilisée avec précaution. Aux États-unis, nous avons lancé un outil d’envoi d’argent entre particuliers directement dans Messenger. Et si vous avez rentré votre carte de crédit, et que vous le souhaitez, vous pouvez l’utiliser pour réaliser des achats sur nos plateformes. Cet outil s’appelle Facebook Pay, il est en test avec une quarantaine de marques sur Instagram.

Les autres tests que nous menons sont des paiements sur WhatsApp, notamment au Brésil. Mark Zuckerberg l’a dit lui-même, c’est un élément important de notre stratégie. Car nous voyons dans l’utilisation que le public veut pouvoir échanger de l’argent aussi facilement qu’il échange des photos et des messages. Et les entreprises elles-mêmes nous demande d’avoir la fonctionnalité de paiement dans un process d’achat en ligne. Donc il y a une demande très forte sur ce sujet.

 

La crise sanitaire a remis en lumière la question de l’environnement et du climat. En quoi est-ce un sujet pour Facebook ?

C’est un sujet depuis longtemps. Nous avons beaucoup travaillé à réduire notre impact environnemental avec deux axes clairs : améliorer l’efficacité énergétique de nos outils et développer l’utilisation d’énergie renouvelable. Notre objectif est d’arriver à 100% d’énergie renouvelable fin 2020. Autre point, nous voulons réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 75% entre 2017 et fin 2020. À fin 2019, nous les avions déjà réduits de 59%. Par exemple, nous avons banni les bouteilles en plastique et donné des gourdes à nos 52 000 employés. Avec les climatisations et nos datacenters, nous travaillons aussi à réduire l’utilisation d’eau, où à réutiliser les énergies de chaleur aux alentours, comme au Danemark. Mais ce qui est important c’est que tout ce que nous faisons dans ce domaine est publié en open source pour que ce soit réutilisable.

 

Et concernant l’application Facebook elle-même ?

La majeure partie de l’impact environnemental provient de l’utilisation de l’énergie. Imaginez que nos 15 datacenters utilisent de l’énergie fossile ? Ce serait considérable. C’est pour cela que nos efforts se concentrent sur le renouvelable, et nos infrastructures situées en Europe utilisent à 100% cette forme d’énergie. Concernant l’application, nous avons mesuré, après ces efforts, que l’utilisation de nos outils revient, par an, en termes d’énergie, à l'impact carbone d’une casserole d’eau portée à ébullition. Mais nous continuons à travailler à l’efficacité énergétique de nos outils. J'ajouterai qu’il faut compter sur la puissance de notre plateforme pour sensibiliser la population à ces questions. Au-delà de ce que fait Facebook sur l’aspect industriel, il y a le rôle que nous jouons pour porter le débat.



Vous venez de passer un accord avec le gouvernement concernant la fiscalité entre 2009 et 2018, avec un redressement de 106 millions d'euros. Ce montant vous satisfait-il ?

Nous prenons nos obligations fiscales au sérieux, et nous travaillons étroitement avec les administrations fiscales en France, et partout dans le monde. Nous coopérons en toute transparence avec l’administration fiscale, c’est un de nos principes clés et nous sommes engagés à traiter ouvertement les normes nouvelles ou changeantes. C'est ainsi nous avons conclu un accord en France.

 

Vous aviez déjà procédé à des modifications de déclaration en 2017. Qu'avez-vous changé cette année pour que vos impôts augmentent de 50% ?

Depuis 2018, nous avons changé notre structure de vente afin que les revenus issus des annonceurs accompagnés par nos équipes en France soient enregistrés dans ce pays. Nous avons proactivement décidé de mettre en place ce changement afin de fournir plus de transparence sur nos revenus. Cette année, nous payons 8,46 millions d'euros d'impôt sur les bénéfices, ce qui s'est traduit par une augmentation de près de 50% par rapport à l'année dernière. Je tiens donc à rappeler que Facebook France paye des impôts, en conformité avec les régulations en vigueur en France.

Il y a beaucoup de débats et beaucoup de questions autour des règles d’imposition internationales. Nous pensons, et avons exprimé publiquement à plusieurs occasions, que le système international de taxe actuel n’a pas été conçu pour gérer les défis de l’économie mondialisée, et qu’un nouveau consensus sur les règles mondiales d’imposition est nécessaire. C’est la raison pour laquelle nous soutenons le processus en cours à l’OCDE, qui vise à répondre à la digitalisation de l’économie.

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