« Nous sommes disponibles pour vos courses, aller chercher vos médicaments ou autres... » Voilà le type de messages que l’on a pu lire dans Le Télégramme tout au long du confinement. Dans le cadre d’une initiative baptisée « Solidarité coronavirus Bretagne », le quotidien régional a organisé la solidarité et l’entraide entre les voisins et les habitants de même commune en publiant ce type de propositions, assorties d’un numéro de téléphone afin de contacter les personnes, associations ou collectivités concernées. Un service de proximité qui s'est appuyé sur des outils adéquats - un moteur de recherche par commune, par exemple - et qui a permis de maintenir du lien social alors que tout le monde était confiné.
Des initiatives comme celle-ci, la presse quotidienne régionale (PQR) en a pris toute une série entre les mois de mars et de mai, au plus fort de la crise. Le groupe Nice-Matin a imaginé l’application Coronaides pour, là encore, recenser les propositions de services et mettre en relation les volontaires et les personnes souhaitant de l’aide. Cette solidarité était tournée vers l’ensemble des Français ou, dans d’autres cas, vers le personnel soignant, mobilisé dans la lutte contre le coronavirus. Le Dauphiné Libéré a ainsi publié les dessins, messages et poèmes des lecteurs qui souhaitaient rendre hommage aux médecins, infirmiers, urgentistes… en écho aux traditionnels applaudissements de 20 heures.
Actions concrètes
La Montagne a également relayé les dessins des enfants. Avec « Ondes positives », Midi Libre a ouvert une boîte vocale pour recueillir des messages de reconnaissance à destination des soignants ainsi que de toutes les personnes mobilisées sur le terrain pendant le confinement, comme les commerçants, les employés de supermarché ou les chefs d’entreprise. Cette ligne a également servi à partager astuces et bons plans pour mieux supporter la situation. De son côté, le quotidien Les Dernières Nouvelles d’Alsace a proposé un podcast de témoignages, Paroles de soignants. Dans un autre genre, Le Parisien, comme beaucoup d'autres titres de PQR, a publié chaque jour une attestation de sortie pour les personnes ne disposant pas d’imprimante. Et le 11 mai, pour accompagner le début du déconfinement, le quotidien a aussi fourni un masque de protection avec les journaux distribués en Ile-de-France et dans l’Oise.
Pour la plupart, ces actions concrètes ont un point commun : le fait de contribuer à créer du lien sur le territoire. « Pendant le confinement, les éditeurs de presse ont dû réfléchir à la façon de préserver l’emploi, expose Patrick Le Floch, enseignant-chercheur à Sciences Po Rennes, spécialisé dans l’économie de la presse. Une très grande majorité d’entre eux a subi des pertes. Ils ont dû réfléchir à des stratégies pour renforcer le lien des journaux avec le public, avec l’idée de renforcer leur ancrage sur le territoire. La PQR n’a pas attendu la crise du Covid-19 pour jouer ce rôle, même si le confinement a été l’occasion de le démontrer plus que jamais. « Je ne parlerais pas de renouveau mais de régénérescence. La pandémie et la sortie de la pandémie mettent en lumière des marqueurs forts et essentiels liés à la nature de la presse de proximité : le lien entre les personnes et les territoires, et la cohésion de ces territoires », explique Soizic Bouju, directrice générale du groupe Centre France-La Montagne et membre du conseil d’administration de l’Alliance de la presse d’information générale, qui regroupe plusieurs syndicats professionnels de la presse, dont celui de la PQR.
« Compagnon du quotidien »
Pauline Amiel, maître de conférences à l’École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM), spécialisée dans l’économie de la presse locale, refuse, elle aussi, de parler de renouveau. « Ce qui est nouveau, c’est le retour en force des médias d’information les plus connus. Ce sont des valeurs refuges qui permettent de rester informés. Je parlerais plutôt de prise d’importance d’un mouvement de fond », témoigne celle qui est aussi ancienne journaliste et correspondante locale de presse. Ainsi, beaucoup d’initiatives prises pendant le confinement apparaissent comme le reflet de ce positionnement moins conjoncturel, plus durable. « Coronaides est un bon symbole de la démarche d’innovation menée depuis des années par Nice-Matin », illustre Pauline Amiel.
Au-delà d’une proximité avec les lecteurs et d’une capacité à mettre en œuvre une cohésion territoriale, le confinement a aussi été l’occasion de mettre en lumière une autre dimension : les initiatives proposées se démarquent, pour beaucoup, par un côté pratique. Au-delà de celles déjà citées, il y a eu, par exemple, des conseils d’activités pour s’occuper en temps de confinement. En réalité, cela va de pair : « c’est l’idée qu’un journal puisse rendre service pour le bon fonctionnement de la vie locale », résume Patrick Le Floch. « Par ce biais, nous renforçons notre côté compagnon du quotidien », avance Soizic Bouju.
Coupe du Monde
Création de lien, dimension pratique : durant la période, la PQR s’est aussi illustrée par d’autres atouts. À commencer par la réactivité inédite dont elle a dû faire preuve à l’annonce du confinement, à l’instar de l’ensemble des médias ou de nombre d’autres acteurs économiques comme les commerces alimentaires. Réactivité pour réorganiser sa pagination, sa distribution et l’organisation du travail en tenant compte de l’impossibilité temporaire pour les journalistes et les correspondants locaux de se rendre sur le terrain pour aller chercher l’information.
Autre facteur de complexité : le confinement a commencé en pleine période électorale. « Notre Coupe du monde à nous, ce sont les élections municipales. Il n’y a pas énormément d’actualités dans la démocratie française qui nous occupent autant. Cela nécessite une granularité et une rigueur absolue dans les résultats », relève Soizic Bouju. Là encore, il a fallu s’adapter, en revoyant à la fois les contenus, réorientés vers le coronavirus le temps de la suspension des élections, et les façons de travailler.
Instabilité financière
En dépit de cette réactivité, maintenir la proximité a relevé d’un exercice périlleux. En effet, comme les médias nationaux, les titres de presse locale ont aussi souffert de la désertion des annonceurs, pas totale mais massive, pendant la période. Pour de nombreux journaux, cette situation délicate les a conduits à réduire le nombre de leurs éditions locales, de quoi potentiellement aggraver encore leur économie déjà fragile. « Beaucoup de titres sont déjà en instabilité financière assez forte. C’est un secteur très mouvant avec des changements d’actionnaires, des plans sociaux…», dépeint Pauline Amiel.
Toutefois, la période a aussi apporté des enseignements. « Fondamentalement, l’avenir passe par le renforcement des liens avec la population sur le territoire », synthétise Patrick Le Floch. « Cela nous a permis de percevoir la valeur confiance, un capital immense, poursuit Soizic Bouju. Il y avait la présence rassurante d’un média, au sens premier d’intermédiaire, quand il n’y avait personne dans la rue. Encore chaque jour, nous recevons des messages de remerciement. » Signe que cette proximité se poursuit au-delà du confinement : dans la lignée de « Solidarité coronavirus Bretagne », Le Télégramme a désormais mis en œuvre « J’achète breton », un dispositif visant à inciter les lecteurs à se fournir chez les commerçants et producteurs de la région.
Des audiences au rendez-vous
Le confinement a donné un coup d’accélérateur aux médias numériques et les titres de PQR ne font pas exception. Selon l’ACPM, quatre quotidiens régionaux figurent parmi les vingt premiers sites médias consultés en avril 2020. En tête, le site de Ouest-France a enregistré une hausse de 97 % de ses visites par rapport à la moyenne de 2019, à 172,6 millions de visites. Viennent ensuite Le Parisien (+53 %, à 147,6 millions), Sud Ouest (+147 %, à 65,3 millions) et enfin La Dépêche (+115 %, à 54,3 millions).