«La vidéo, c’est l’avenir des médias sur le web », titrait le magazine Forbes en août 2016. Une prédiction difficile à contredire tant la consommation de vidéos en ligne a explosé ces dernières années.
L’opérateur BuzzFeed, créé en 2006 à New York, revendique ainsi 80 millions de visiteurs uniques tous les mois sur son site internet aux États-Unis, avec des vidéos de chats comme des analyses politiques qui sont visionnées plus de 2 milliards de fois. La force de BuzzFeed ? « Sa chaîne Tasty, répond Heidi Moore, consultante média en stratégie digitale. Ce sont des vidéos courtes, avec une vraie plus-value, puisque BuzzFeed apprend aux internautes à cuisiner. »
Parmi les autres pure players à succès figurent ATTN, avec des vidéos affichant plus de 500 millions de vues par mois ; Mic, créé en 2011 à destination des 18-34 ans, qui revendique 70 millions de visiteurs par mois sur son site avec des rubriques sur la finance, la politique, la cuisine, les voyages, les jeux vidéo… et qui souhaite devenir le leader du journalisme visuel ; AJ +, édité par Al Jazeera, avec des informations pour les millennials ; ou encore NowThis, lancé en 2012, avec 2,5 milliards de vidéos visionnées chaque mois.
Des documentaires de qualité
Sans oublier Vice, même si le média existe depuis déjà quelques années. Né en 1994 au Canada, le groupe, qui éditait initialement des magazines gratuits, s’est largement développé dans la vidéo sur internet. « Vice propose des documentaires d’excellente qualité, reconnaît Heidi Moore. Et le public est au rendez-vous, car il sait qu’à travers ces vidéos, il apprendra quelque chose. »
Mais les pure players ne sont pas les seuls à investir le marché de la vidéo en ligne. Les médias traditionnels s’y sont largement convertis. Selon le rapport « Le futur de la vidéo en ligne », publié en 2016 par l’Institut Reuters pour l’étude du journalisme, la chaîne d’information CNN est passée de 35 à 313 vidéos publiées sur Facebook entre juin 2015 et février 2016. Même constat pour le Huffington Post, qui a publié 302 vidéos en février 2016, contre 68 seulement en juin 2015.
Selon la société d’étude d’audience comScore, CNN occupe la tête du classement de la vidéo en ligne aux États-Unis, avec 119 millions de visiteurs uniques sur son site internet et son application mobile (hors médias sociaux) en août 2017, soit une hausse de 18 % par rapport à l’année dernière. Autre exemple : depuis septembre 2016, le Washington Post a enregistré une augmentation de 33 % de ses vidéos regardées. « Les vidéos intéressent les annonceurs et elles sont mises en avant par Facebook, explique Heidi Moore. Donc les médias se disent que pour augmenter leur audience, ils n’ont pas le choix, ils doivent faire des vidéos. Et plus de vidéos produites, ce sont aussi plus de vidéos regardées. »
Cuisine, lifestyle, animaux : la règle de trois
Pour fonctionner et plaire au public, la vidéo en ligne doit respecter certains principes. « Les vidéos de cuisine, de lifestyle ou d’animaux sont celles qui fonctionnent le mieux. Et sur Facebook, la vidéo doit être sous-titrée », détaille Heidi Moore. Des vidéos pas seulement drôles et courtes, car l’enjeu consiste aussi à se différencier de ses concurrents. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les -médias traditionnels ont trouvé leur place dans l’univers des pure players spécialisés dans la vidéo en ligne. « Notre succès repose sur le support et les ressources de la marque Washington Post, explique son directeur vidéo, -Micah Gelman. On a des reporters locaux, des journalistes d’investigation… et tout ça fait notre force. » Une force que des médias plus récents n’ont pas encore forcément.
Mais les possibilités de capter l’attention sont nombreuses, notamment avec les plateformes de distribution, dont Facebook, « la plateforme la plus utilisée par les médias pour leurs vidéos », d’après Nic Newman, consultant digital et coauteur du rapport sur le futur de la vidéo en ligne. Les médias peuvent utiliser Facebook Live, qui génère, selon le réseau social, dix fois plus de commentaires que les vidéos classiques ; ou encore la nouvelle plateforme Watch, uniquement disponible aux États-Unis pour l’instant. « Watch est une nouvelle interface de consommation de vidéos », explique Édouard Braud, directeur des partenariats médias de Facebook France et Europe du Sud. Cet onglet propose des émissions, du sport, des documentaires ou encore des séries. Des contenus sont produits par des créateurs indépendants et des médias comme NowThis, le New York Times ou USA Today. Les utilisateurs peuvent s’abonner aux épisodes et regarder les vidéos choisies quand ils le souhaitent.
Financer ses vidéos
C’est donc une fonctionnalité supplémentaire offerte aux médias, qui pourrait théoriquement les aider à augmenter leur audience. Car « 8 milliards de vidéos sont visionnées chaque jour sur Facebook », rappelle Édouard Braud. Mais le problème réside dans la monétisation des vidéos sur le réseau social. Le magazine Fortune estimait en juillet dernier que Facebook et la maison mère de YouTube et Google, Alphabet, capteraient 60 % des revenus publicitaires sur internet aux États-Unis cette année. Que reste-t-il alors aux médias ? « Rien, ironise Heidi Moore. Pour l’instant, les médias ne gagnent pratiquement pas d’argent en publiant leurs vidéos sur Facebook. » Même si certains affirment avoir trouvé la parade. Le Washington Post réussit à attirer suffisamment d’audience sur son site et « grâce, à la publicité, [ses] vidéos sont rentables », affirme Micah Gelman.
D’autres misent sur le brand content, à l’instar de BuzzFeed, dont les revenus approcheraient, selon Bloomberg, les 350 millions de dollars cette année. Grâce notamment à « Cher chaton », une vidéo où un chat adulte donnait des conseils à un chaton, mais surtout une publicité pour les croquettes de la marque Purina. Preuve que les chats font encore le succès de BuzzFeed.