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Dix ans après l’arrivée de Metro et de 20 Minutes en France, les quotidiens gratuits multiplient les initiatives sur Internet, fixe et mobile. Le prélude à l’abandon du papier?

C'est sereinement que Metro fêtera son 10e anniversaire samedi 18 février, quelques semaines avant 20 Minutes. Racheté par TF1 l'été dernier, Metro n'est plus en train de se chercher. Aux dires même de son nouveau président, Edouard Boccon-Gibod, le troisième des quotidiens gratuits en diffusion (755 977 exemplaires en 2011), repart à l'offensive «après une forme de repli attentiste». Nouvelle maquette, format réduit, redéploiement de son réseau de distribution et développement sur smartphones et tablettes: à compter du 5 mars, le journal n'entend plus laisser l'initiative à 20 Minutes et Direct matin sur le terrain de l'innovation.

Mais faut-il encore parler de journal alors que les 45 journalistes de Metro basculeront sur le site, en mars, pour une production de flux en ligne, avant même le papier? «Notre précédent actionnaire, Metro International, ne voulait pas investir à perte. Il préférait donc se déployer sur de nouveaux territoires que sur le numérique. Désormais, le digital est au cœur de notre stratégie», explique Sophie Sachnine, directrice générale.

Un terrain qu'entend aussi conquérir Direct matin, premier quotidien de France avec plus d'un million d'exemplaires distribués chaque jour en 2011, devant 20 Minutes (977 354 ex.), mais grand absent d'Internet. Le 5 mars également, le titre du groupe Bolloré, lancé il y a tout juste cinq ans, mettra en ligne un nouveau site, alimenté non plus seulement par les articles du journal papier, mais par du contenu original, réalisé par une rédaction de dix journalistes. Objectif: atteindre le million de visiteurs uniques d'ici à trois ans et toucher un lectorat plus haut de gamme. «C'est un investissement d'abord défensif, car il n'est plus possible pour un média national d'être seulement présent sur son support d'origine. Et beaucoup d'annonceurs demandent des offres publicitaires bimédias. Mais c'est aussi un investissement offensif puisqu'il va permettre à Direct matin de développer son lectorat et ses revenus publicitaires», souligne Jean-Christophe Thiery, président de Bolloré Média.

Fournir le site en premier, le papier ensuite

Dans la ligne de mire des deux gratuits: le succès de 20 Minutes, qui s'est hissé à la troisième place des sites d'information français en à peine quatre ans (lire page 27). Visité en décembre par 5,5 millions d'internautes, 20minutes.fr est rentable depuis le second semestre 2010, année où il a généré un chiffre d'affaires de 3,9 millions d'euros (sur un total de 52,4 millions). «Pour l'exercice 2011, la marge contributive du digital sera quasi équivalente à celle du print, c'est-à-dire qu'il rapporte autant que le papier. A fin 2012, elles seront à des niveaux de contribution tout à fait équivalents», se félicite Pierre-Jean Bozo, président de 20 Minutes France, dont la société est bénéficiaire depuis 2008.

Pour développer son audience Internet et renouer avec les bénéfices en 2013, après trois années de pertes, Metro mise sur le «reverse publishing», un mode de production où journalistes print et Web (cinquante au total) se confondent en une rédaction unique, qui fournit du contenu d'abord pour le site Internet, puis pour le quotidien papier. Déjà appliquée à la rubrique Actualité de Paris, cette nouvelle organisation a pour ambition de tripler le nombre d'articles produits, mais également l'audience de Metrofrance.com (1 million de visiteurs uniques en décembre).

«Cela permet aussi de faire évoluer la manière dont nous construisons le journal du lendemain, en l'orientant davantage vers l'analyse», explique Sophie Sachnine. Une mise en commun des équipes déjà appliquée à 20 Minutes sur les rubriques Sport, Economie, Planète et Présidentielle 2012. «Nous ne parlons pas de fusion, mais, dans les faits, nos 115 journalistes travaillent ensemble, dans une logique “Web First”», assure Pierre-Jean Bozo. Parmi les projets numériques du quotidien gratuit édité conjointement par le Norvégien Schibsted et le groupe Ouest France, le développement des contenus vidéo, grâce notamment à la mise en place d'un studio TV au sein de la rédaction. Le titre entend également se diversifier sur Internet autour de thématiques.

Le chiffre d'affaires vient du papier

En plus de l'Internet fixe, les gratuits misent sur les supports mobiles, qu'il s'agisse des smartphones ou des tablettes. «Le lieu de lecture privilégié de la presse gratuite se situe dans les transports en commun des grandes villes, des endroits où la pratique du smartphone se développe beaucoup», analyse le sociologue des médias Jean-Marie Charon. D'où la multiplication des applications et des sites optimisés pour ce type de lecture, qui représentait en 2011 quelque 6,9 millions de visites mensuelles pour le seul 20 Minutes, deux fois plus qu'en 2010.

De là à anticiper un abandon du papier à moyen terme, rares sont les acteurs à s'avancer sur le sujet. «La couverture Internet dans les transports en commun n'est pas suffisante, aujourd'hui, pour l'envisager. Le papier reste le mode de lecture le plus ergonomique», estime la directrice générale de Metro, Sophie Sachnine. «Pour au moins quelques années encore, l'essentiel du chiffre d'affaires viendra du papier», ajoute Jean-Christophe Thiery, de Bolloré Média, dont l'objectif est d'amener Direct matin à l'équilibre en 2013, contre encore 10 millions d'euros de pertes l'an dernier.

Pour y parvenir, Bolloré Média passera d'ici l'été les treize titres du réseau Ville plus sous la marque Direct matin. Pas question pour autant de multiplier les ouvertures de villes. Direct matin concentre la distribution de son million d'exemplaires sur treize de celles-ci, quand 20 Minutes est présent dans quarante agglomérations, dont vingt-huit avec une même édition nationale. De son côté, Metro vient d'annoncer le redéploiement d'une partie de ses 760 000 exemplaires distribués quotidiennement dans vingt nouvelles villes, en plus des quinze agglomérations déjà couvertes où des exemplaires seront retirés (–10% à Paris). «Du fait des coûts du papier, de l'impression, du transport et de la distribution, le million d'exemplaires n'est pas aujourd'hui rentabilisable», estimait mi-janvier Edouard Boccon-Gibod, président de Metro.

En dix ans, les gratuits ont également trouvé leur place sur le plan de la publicité nationale. En 2011, ils représentaient à eux trois une part de marché de 39,5% en volume sur l'ensemble des quotidiens, quand PQR 66 se situe à 41,5%, selon Kantar Media. En tête, 20 Minutes, avec 17,5% de part de marché, suivi par Direct matin (15,7%). «Dès le début, les gratuits ont développé les opérations spéciales, en vendant leur une à un annonceur via une surcouverture. Cela a fait bouger les lignes de la presse payante», estime Luc Buhot, directeur général adjoint de l'agence médias PHD (Omnicom). Editoriale, publicitaire ou numérique, les gratuits n'ont pas fini de faire leur révolution. Et de se livrer bataille.

 

Sous-papier

Le gratuit m'a tuer!

Lire un journal gratuit peut-il, à terme, dissuader les jeunes d'acheter de la presse payante ou, au contraire, les y inciter? La question se posait en 2002 pour les éditeurs français, alors qu'arrivaient 20 Minutes et Metro dans l'Hexagone. Une décennie plus tard, le déclin de la presse payante est plus que jamais d'actualité. Entre 2002 et 2010, le tirage global des quotidiens payants, nationaux comme locaux, a chuté de 15,6%. Ces cinq dernières années, les ventes en kiosques ont reculé de 18% quand les abonnements individuels ont perdu 23%, selon l'OJD.

La faute aux gratuits? Pas seulement, répond Jean-Marie Charon, sociologue des médias. «Avec la presse gratuite mais aussi avec le développement d'Internet, l'idée selon laquelle l'actualité générale et les grands titres ont vocation à être gratuits gagne du terrain», explique-t-il. D'autant que 78% des Français jugent l'information gratuite d'aussi bonne qualité que l'information payante, selon une étude Ipsos pour 20 Minutes.

Plus qu'un abandon pur et simple des quotidiens payants, les lecteurs sont surtout de plus en plus occasionnels. Entre 1997 et 2008, la part des Français lisant un journal tous les jours ou presque est passé de 36% à 29%, indique l'étude d'Olivier Donnat pour le ministère de la Culture («Les pratiques culturelles des Français à l'ère numérique»). En revanche, la lecture d'un titre plusieurs fois ou une fois par semaine est stable, à respectivement 11% et 15%. La lecture plus occasionnelle gagne 3 points, à 14%.

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