TF1 et M6 voudraient bien éviter de lui faire une place à table. Dans le cadre de son droit à une chaîne compensatoire – dite bonus – après l'arrêt du signal analogique hertzien, le 30 novembre 2011, Canal+ a décidé de lancer sur la TNT une nouvelle chaîne… gratuite. Le groupe hésitait entre une chaîne cryptée, sans doute Canal+ Family, qui aurait rejoint l'offre Canal+ Le Bouquet (Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport), et une nouvelle télévision en clair. Les perspectives de développement du groupe sont apparues plus intéressantes sur ce second terrain.
Canal 20, nom de code du projet, serait opérationnel dès la fin de l'année. L'arrivée de ce concurrent sérieux sur leur marché publicitaire irrite particulièrement TF1 et M6, qui n'ont pas encore retrouvé leur chiffre d'affaires publicitaire d'avant la crise. Mais le duo, déjà présent sur la TNT avec TMC et NT1 pour TF1 et W9 pour M6, a aussi légalement droit à ses chaînes compensatoires. Les deux groupes privés craignent une perte de ressources et affirment que le marché aura du mal à absorber trois nouvelles chaînes gratuites, même si Canal 20 entend davantage viser les CSP+ que les ménagères de moins de 50 ans.
«Le projet de Canal+ apparaît comme une offre complémentaire intéressante pour les annonceurs, estime Sébastien Danet, président de Zenith-Optimedia. Je suis plutôt favorable à des programmes différenciés et des alternatives fortes au marché actuel.» Également président de l'Union des entreprises de conseil et d'achat média (Udecam), le dirigeant a rencontré à ce sujet Rodolphe Belmer, directeur général adjoint du groupe Canal+, le 30 mars. «La première question à se poser est: y a-t-il une place dans l'audience pour une chaîne comme Canal 20? Je pense que oui, estime Didier Beauclair, directeur médias de l'Union des annonceurs (UDA). Si cette nouvelle offre fait son chemin, elle aura une grande chance de fonctionner sur le plan commercial.»
Machine à cash
Les trois chaînes compensatoires de TF1, M6 et, donc, Canal+ s'inscrivent dans un contexte économique en renouveau. L'an passé, selon l'enquête France Pub, qui interroge les annonceurs, les dépenses publicitaires en télé ont progressé de 11,2% à 4,07 milliards d'euros (lire le graphique). «Le média a su se restructurer et innover en matière d'offres commerciales afin de recréer de la valeur, observe Xavier Guillon, directeur de France Pub. Le potentiel existe clairement. Ces chaînes n'arrivent pas dans un environnement en déclin.»
Chez Canal+ Régie, la structure commerciale du groupe, on gère la pénurie d'espace dans les écrans diffusés sur les plages en clair de Canal+. Impossible de trouver une seconde libre en avril. Depuis la suppression de la publicité en soirée sur les chaînes de France Télévisions, les annonceurs visant les CSP+ s'arrachent les rares supports TV intéressants. Les chaînes d'info frisent ainsi l'embouteillage de spots pour des voitures.
Par ailleurs, en interne, les commerciaux observent les chiffres d'affaires de W9 et TMC, leaders de la TNT. Quatre ans après leur lancement, avec une part 3% de part d'audience, les recettes publicitaires nettes de ces deux chaînes sont estimées à 100 millions d'euros. Juste le budget annoncé pour Canal 20. Au-delà d'être une vitrine pour Canal+ et un moteur de recrutement d'abonnés, la chaîne se présente donc aussi comme une machine à cash…
Toutefois, avant d'étrenner sa caisse enregistreuse, Bertrand Meheut, président du groupe Canal+, devra patienter. L'attribution automatique des canaux bonus aux chaînes «historiques» est contestée par la Commission européenne. «L'annonce de Canal+ n'intervient pas au meilleur moment, se désole-t-on au ministère de la Culture et de Communication. Même si cette chaîne a de bonnes chances de bien fonctionner, cette nouvelle fragilise notre discours auprès de Bruxelles.» Le ministre, Frédéric Mitterrand, doit aussi trancher sur la future norme de diffusion en haute définition et gérer les nouveaux entrants. Bolloré (Direct 8, Direct Star), Next Radio TV (BFM TV) et NRJ (NRJ 12) réclament aussi leur chaîne compensatoire. Il va falloir beaucoup de levure dans le gâteau publicitaire.
