Depuis un an, les incidents ont tendance à se multiplier. C'est le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, Michel Boyon, qui a pointé la dérive lors de ses vœux, le 27 janvier: «Nous avons un souci premier sur Internet, qui est la question de l'utilisation de certaines images ou certaines vidéos par les chaînes de télévision, images qui ont été captées sur Internet et qui se trouvent être des images inappropriées ou de mauvaises images», a-t-il reconnu devant les patrons de l'audiovisuel. Impossible pour ces derniers d'échapper à la mise en cause pour manquement à l'honnêteté de l'information et à la mise en demeure quand sont diffusées des images d'amateurs censées illustrer les bombardements israéliens à Gaza, début 2009 sur France 2, alors qu'il s'agit en réalité d'une explosion accidentelle datant de 2005.
Mais que faire quand il s'agit de cas moins graves? Depuis la fin de l'année, les exemples ne manquent pas de photos ou de vidéos qui ont été utilisées de façon erronée dans les journaux télévisés. Le 28 décembre, un cliché de prétendus manifestants contre le régime de Téhéran, repris par France 2, avait été réalisé six mois plus tôt au Honduras. En octobre, une captation d'un journal télévisé de la chaîne allemande ARD, où le présentateur était pris d'un fou rire à l'évocation de l'affaire Jean Sarkozy, était en réalité un montage d'internaute qui avait réussi à abuser Canal+ et M6. Résultat: procédure de sanction pour l'un, déjà épinglé en début d'année pour un autre cas, et mise en demeure pour l'autre. Sur France 3 et BFM TV, à l'occasion du séisme en Haïti, c'est encore une vidéo d'amateur prétendument tournée par des caméras de sécurité à l'ambassade de France qui s'est invitée dans les JT: elle avait été tournée lors d'un tremblement de terre en Californie… et reprise par l'AFP.
Travailler différemment
«Il y aura toujours des tentatives de manipulation, note Jérôme Bureau, directeur de l'information de M6, en marge d'un débat sur le JT au Centre de formation des journalistes. Pour l'instant, il n'y a pas eu de cas dramatique, mais cela peut arriver. C'est pourquoi il ne se passe pas une journée sans que nous vérifiions les faits. Nous avons récemment réussi à éviter de diffuser un accident bidon de bus à Lyon.» Guillaume Dubois, directeur général de BFM TV, souligne qu'il faudrait sans doute des équipes de «fact checkers» (vérificateurs d'informations) qui, comme à CNN, vérifient une fois les informations provenant de l'agence AP et deux fois celles de l'AFP. Mais les chaînes françaises n'ont pas les effectifs des grands networks américains. «Et Internet a tout de même plus de vertus que de risques, ajoute-t-il, car il offre des outils de vérification des vidéos amateurs, que l'on peut géolocaliser via Google Hearth et l'adresse IP.»
Jérôme Bureau le rappelle, l'image d'amateur sur Internet est aussi un formidable moyen d'avoir accès à des contenus autoproduits en un temps record, avant même l'envoi de reporters, comme lors du tsunami de 2004. Et l'affaire Hortefeux a montré que les chaînes ne pouvaient plus ignorer les images glanées sur le Web. Comme le dit Vincent Giret, directeur de la rédaction de France 24, qui compte quinze correspondants non professionnels en Iran grâce à son réseau des Observateurs, «l'afflux massif d'images amateurs nous oblige à travailler différemment». En atteste BFM TV, qui marche sur les traces de CNN et de son émission I-Report en faisant appel sur son site à des vidéos de «témoins» susceptibles d'être diffusées à l'antenne. Après tout, mieux vaut vérifier à la source des images plutôt que de se faire illusionner par des confrères, eux-mêmes victimes de la circulation circulaire des canulars ("hoax")…