Licorne française de l’assurance santé, Alan utilise concrètement l’IA pour sa communication, tout en contournant les difficultés habituellement associées à l’usage de cette technologie. Stratégies a recueilli son retour d’expérience.
L’IA, il y a ceux qui en parlent, ceux qui s’interrogent, ceux qui la testent… Et ceux qui en sont déjà au stade d’après, à savoir une utilisation concrète dans l’entreprise, notamment en marketing et communication. C’est le cas d’Alan, licorne française de 550 personnes spécialisée dans l’assurance santé, qui l’utilise pour décliner à l’infini sa mascotte, mieux analyser ses datas ou communiquer avec ses clients, tous B to B (20 000 entreprises en France, Espagne et Belgique).
Avec un cofondateur ancien data scientist chez Facebook, Instagram et Twitter (devenu X), le contraire eut été surprenant. « Paradoxalement, je ne voulais pas en faire chez Alan, confie l’intéressé, Charles Gorintin, qui a lancé l’entreprise avec Jean-Charles Samuelian en 2016. Mais il y a un an et demi, le marché a commencé à bouillonner. 2022 a marqué une révolution pour les images avec la sortie de Dall-E [2] et de Stable Diffusion. Les outils en open source ont ouvert beaucoup de portes. J’ai donc décidé de me focaliser entièrement sur l’IA. »
Amenant un « changement de paradigme » et une évolution des façons de travailler, celle-ci est intégrée dans l’entreprise à tous les niveaux de réflexion : ingénierie, data, etc. « En marketing, c’était la première application, la plus naturelle car c’est le métier où l’on génère le plus de contenus », continue le CTO, par ailleurs conseiller cofondateur de la société Mistral AI, pépite française de l’open source, qui a levé 105 millions d’euros avant l’été et entend faire de l’ombre aux géants du secteur.
Des marmottes très «open»
« Il y a trois grands sujets en marketing, détaille Aurélie Fliedel, directrice marketing d’Alan : l’IA créative pour augmenter la possibilité de générer des images, l’IA prospective pour analyser les tendances et l’IA pour gagner du temps. » Les premiers tests menés par Charles Gorintin ont consisté – c’est le premier cas de figure, autour de la créativité – à jouer avec la mascotte de l’entreprise (une marmotte) et à la décliner dans tous les décors et situations possibles. Et ce, grâce à un outil développé via l’open source et entraîné à partir d’une image créée par un designer d’Alan pour générer des images similaires. Après quelques semaines de tests et d’ajustements, la mascotte peut désormais être personnalisée à la demande et incluse dans les communications client (newsletters…). Par exemple, elle a été dotée de lunettes pour l’annonce en ligne d’un partenariat avec l’opticien Krys, en septembre, ou flanquée d’une fleur sur une présentation réalisée auprès du client Amorino, glacier dont les produits sont en forme de pétales. « On joue sur un côté sympa, décalé », lance Aurélie Fliedel. Demain, la mascotte pourra s’animer à l’envi… entre autres possibilités.
Auparavant, ces créations mobilisaient un designer plusieurs semaines. Ce qui (re)pose la question de l’IA vs les métiers de la création. « J’aime évoquer le paradoxe de Jevons. Plus on rend quelque chose d’efficace, plus il y aura de la demande. Les designers ont davantage de travail parce que le besoin de personnalisation est en hausse », assure Charles Gorintin. Et d’ajouter, à propos des répercussions sur les recrutements : « Une IA ne va pas remplacer l’humain mais l’humain augmenté par l’IA va remplacer beaucoup d’humains. Chaque personne peut créer plus de valeur. Donc nous aurons envie de recruter plus de personnes car cela crée plus de business. »
Le deuxième usage de l’IA consiste à affiner l’analyse des données disponibles – notamment celles issues des dizaines de comptes rendus de rendez-vous que les commerciaux réalisent chaque jour – afin d’adapter la proposition de valeur en fonction des besoins réels des clients. Fini, les données entrées dans le CRM qui ne servent à rien, faute de moyens pour les décortiquer. « Désormais, nous mettons trois à quatre fois moins de temps à traiter l’info et nous analysons la totalité des comptes rendus », témoigne Aurélie Fliedel. Au-delà d’une adaptation des pitchs des commerciaux pour mieux coller aux attentes des prospects selon leur secteur d’activité, cela permet aussi de flécher les investissements produit. Pas une mince conséquence…
Troisième usage de l’IA, la création et la mise à jour de contenus SEO, pour le blog par exemple. Jusqu’alors confiée à un expert en assurance santé, cette tâche est désormais déléguée à ChatGPT, même si un humain repasse toujours derrière la machine, à la fois pour corriger les éventuelles erreurs et « hallucinations » (inventions – rares apparemment) et ajouter aux contenus une touche reflétant le ton de voix de la marque. « Cela permet une réduction des coûts de 50 à 60 % », chiffre-t-on chez Alan. Un usage de l’IA en publicité n’est pas exclu, alors que les outils servent déjà à la société à couper des vidéos au format court, dans une optique promotionnelle. « La prochaine étape, c’est la génération de voix », complète Charles Gorintin, qui a déjà réalisé des tests en ce sens.
Une «GPT Academy» pour les salariés
Alan sort gagnant de cette stratégie. « L’IA nous apporte plus de créativité, un gain de temps au quotidien, nous augmentons nos connaissances, les datas sont traitées plus rapidement », résume Aurélie Fliedel. Que du bon sous le solAIl ? « L’inconvénient est la pénalisation par les moteurs de recherche pour le référencement. S’il est trop évident que le contenu est généré par une machine, cela ne passe pas. Il faut ménager la chèvre et le chou. Créer des contenus en gardant une touche humaine », relate Charles Gorintin. Par ailleurs, Alan, qui entraîne ses outils sur les données propres de l’entreprise, explique ne pas rencontrer de problèmes de droits liés aux datas, et sait qu’elle sera « réactive » si la loi encadre un jour plus ou moins strictement la pratique.
Quoi qu’il en soit, tout l’interne est touché par cette évolution. « L’un de nos objectifs de l’année est que 100% des salariés utilisent de l’IA au quotidien », dessine Charles Gorintin. Pour cela, Alan a mis sur pied une « GPT Academy », une base de savoirs fondée sur des contenus collectés via internet, à laquelle les salariés se réfèrent pour se former librement sur le sujet. Des ateliers et hackatons sont organisés. Les plus à l’aise aident leurs collègues. Quant à l’investissement financier consenti, Alan le juge bas. « C’est moins une question d’argent – l’abonnement mensuel à ChatGPT coûte 20 dollars [HT] et est suffisant pour faire beaucoup de choses – que de temps et de volonté », assure Charles Gorintin, qui compte poursuivre dans cette voie.
Chiffres clés
550 Nombre de salariés, dont 450 en France.
240 millions d’euros Chiffre d’affaires 2022.