Opération réassurance pour Patrick Drahi: le patron d'Altice, maison mère de SFR, va s'adresser aux investisseurs en début de semaine prochaine, au moment où le géant des télécoms, lourdement endetté, est déstabilisé par un scandale de corruption.

L'affaire Altice a éclaté le 13 juillet lorsque son cofondateur Armando Pereira, bras droit de Patrick Drahi, a été arrêté au Portugal dans un vaste coup de filet qui a conduit à la perquisition du siège de l'entreprise à Lisbonne. Les enquêteurs s'intéressent notamment à la vente de quatre immeubles qui appartenaient à l'opérateur historique Portugal Telecom, racheté par Altice, qui aurait lésé l'Etat portugais et Altice International à hauteur de plusieurs millions d'euros, a rapporté CNN Portugal.

Armando Pereira, soupçonné de 11 délits de corruption et blanchiment d'argent, est également soupçonné d'avoir mis en place un réseau de fournisseurs douteux dans le but de détourner d'importantes sommes d'argent via la politique d'achat du groupe. Le milliardaire de 71 ans, sans mandat officiel mais qui continuait à conseiller des dirigeants de l'entreprise, conteste les soupçons qui pèsent sur lui. Il est désormais assigné à résidence.

Patrick Drahi veut rassurer

Généralement discret, le polytechnicien, qui a fait fortune en France en construisant un réseau câblé (Numericable), fusionné en 2014 avec SFR, va tenter de rassurer les investisseurs lundi 7 et mardi 8 août, lors de conférences en marge de la publication des résultats d'Altice International et d'Altice France. L'enjeu est crucial puisque son groupe, retiré de la Bourse en 2021, est endetté à hauteur de plus de 50 milliards d'euros et qu'il fait face à d'importantes échéances de remboursement dans les prochaines années. Le tout sur fond de forte remontée des taux d'intérêt qui compliquent encore davantage son équilibre financier.

« Ce qui a participé au succès de Patrick Drahi, c'est l'accès au capital sous forme de dette à bas prix », décrypte pour l'AFP Denis Lafarge, associé au sein du cabinet PMP Strategy. Les marges de manoeuvre du magnat franco-israélien, par ailleurs entré au capital de l'opérateur britannique BT, propriétaire de la maison de vente aux enchères Sotheby's, et qui contrôle en France les médias BFMTV et RMC, sont par ailleurs limitées.

Précurseur dans la vente des pylônes télécoms et des réseaux de fibre, le groupe « n'a plus trop d'options aujourd'hui en termes de cessions d'infrastructures », analyse Denis Lafarge. Après avoir longtemps poursuivi une stratégie de croissance effrénée, il réfléchit à vendre l'opérateur Meo au Portugal ou des centres de données.

En France, une éclaircie est en vue, nuance toutefois Sylvain Chevalier, associé en charge du secteur télécoms au cabinet Bearing Point: « On observe en 2023 une capacité de l'ensemble des acteurs français à créer de la valeur et remonter les prix », tandis que le « gros pic des investissements est passé ».

Premières conséquences

Outre Armando Pereira, l'enquête judiciaire portugaise a mis en cause trois personnes, tandis que plusieurs hauts dirigeants ont été suspendus ou écartés par Altice dans le cadre d'une enquête interne. Alexandre Fonseca, co-PDG d'Altice, ex-président exécutif d'Altice Portugal et nommé en mars à la tête de la filiale américaine, a communiqué lui-même sur LinkedIn sa mise en retrait. Yossi Benchetrit, patron des achats aux Etats-Unis et gendre d'Armando Pereira, a été « licencié », a annoncé le nouveau dirigeant d'Altice USA, Dennis Mathew.

En France, la directrice exécutive des contenus, acquisitions et partenariats, Tatiana Agova-Bregou, a été suspendue. Selon des médias portugais, elle aurait bénéficié de luxueux cadeaux et d'une propriété en région parisienne de la part d'Armando Pereira. La dirigeante a contesté via ses avocats avoir commis tout « acte répréhensible ».

Problème de gouvernance

Altice affirme « coopérer avec les autorités » et a suspendu certaines dépenses. En interne, des salariés se demandent comment des sommes d'argent importantes auraient pu être détournées sans éveiller de soupçons. « Au quotidien, les dépenses sont la chose la plus surveillée dans le groupe. C'est d'une telle ampleur (...) qu'il y a forcément eu un problème au niveau du contrôle et de la gouvernance de l'entreprise », a expliqué à l'AFP Olivier Lelong, délégué syndical central CFDT.

Seules dix entreprises, sur la centaine mentionnées dans l'enquête portugaise, « ont eu des relations d'affaires, économiques, avec Altice », a assuré le PDG d'Altice France, Arthur Dreyfuss, aux syndicats. Il s'agissait notamment de la réalisation de travaux et d'achat de matériel auprès des équipementiers télécoms. « A ce stade, cela représente moins de 4% de nos achats annuels en volume d'affaires », a-t-il poursuivi, estimant qu'il s'agissait de « quelque chose de très circonscrit ».

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