Carrefour, Casino, Auchan en France, Delhaize en Belgique… les grands groupes de supermarchés optent de plus en plus pour une exploitation de magasins en franchise, moins gourmande en capitaux mais qui fait craindre aux salariés une casse sociale à bas bruit.
À l’échelle d’Auchan, « un coup de tonnerre » : c’est ce qu’a écrit à l’AFP le délégué syndical CFDT groupe Gilles Martin quand le distributeur nordiste a annoncé fin mai faire passer 7 magasins en franchise et vouloir s’appuyer davantage sur cette forme d’exploitation des magasins. Certes, le nombre de magasins concernés est limité, sur un total de 119 hypermarchés, 235 supermarchés et 10 magasins de proximité en France détenus par Auchan. Mais le changement est important pour cette enseigne historiquement propriétaire de ses magasins.
Ce chemin avait auparavant été emprunté par Casino et surtout Carrefour. Le premier, en pleine déconfiture financière, compte toujours sur la franchise pour étendre son maillage de magasins de proximité sous enseigne Franprix notamment. Quant à Carrefour, il prévoit de s’appuyer de plus en plus sur une exploitation des magasins en franchise ou en location-gérance, une variante dans laquelle le groupe reste propriétaire du fonds de commerce mais externalise l’exploitation commerciale à un gérant.
Un modèle plus performant
Le phénomène ne s’arrête pas aux frontières françaises, puisqu’en Belgique c’est 128 magasins, soit l’ensemble des supermarchés belges encore sous gestion propre, que la direction de Delhaize - filiale du groupe belgo-néerlandais Ahold Delhaize - prévoit de passer en franchise. « On a chiffré toutes les options. Celle qui est sur la table est la seule qui permette de garantir un futur à Delhaize », a estimé fin mai auprès de l’AFP Roel Dekelver, porte-parole du groupe.
Pour Magali Daubinet-Salen, qui a récemment pris la tête des enseignes Casino, « le modèle de la franchise est plus performant ». « L’exploitation qui en est faite est meilleure, l’amplitude horaire correspond plus au développement du chiffre d’affaires et quand c’est son propre magasin il y a plus d’implication, sans faire de généralités », estimait-elle courant juin.
Carrefour précise de son côté dans sa documentation financière que la franchise, « peu consommatrice de capitaux, permet de s’appuyer sur l’implication et la connaissance du marché local des partenaires ». Le premier point est essentiel : avec la franchise, « la société centrale va générer du résultat sur son volume d’activité en ayant externalisé un certain nombre de dépenses, à commencer par les salaires ou les investissements, ce qui va améliorer sa rentabilité », explique à l’AFP l’expert en consommation Philippe Goetzmann.
Jugé « bancal » pour certains
En outre, le franchisé s’approvisionne auprès de la centrale du groupe, plaçant l’entreprise franchiseuse dans un rôle de grossiste.
« Chez Carrefour comme Casino, la majorité de la rentabilité en France vient de la marge qui est faite auprès des franchisés », estime auprès de l’AFP Clément Genelot, analyse financier spécialiste de la distribution chez Bryan, Garnier & Co, jugeant ce modèle « un peu bancal ».
Du point de vue des salariés, ce changement de statut est problématique : un magasin franchisé est une entreprise indépendante et ses accords d’entreprise ne sont pas les mêmes que ceux d’un grand groupe. Un passage en franchise ferait perdre aux salariés « tout ou partie de leurs avantages négociés sur plusieurs décennies », regrette Gilles Martin, de la CFDT Auchan. Un constat partagé par la syndicaliste belge Myriam Delmée (SETCa-FGTB), qui veut pouvoir encore « négocier des garde-fous à la précarité et à la flexibilité », refusant de voir les magasins « remplis de (travailleurs) étudiants, comme en Hollande ».
En outre, les groupes d’envergure nationale sont beaucoup plus exposés et soucieux de leur notoriété que les franchisés, dont certains exploitent des dizaines de magasins. Pour la CFDT Services, qui rappelle que 750.000 salariés travaillent dans ce secteur en France, les passages en franchise de magasins sont « en réalité des restructurations qui ne disent pas leur nom et devraient être traitées comme telles » par les autorités. Des clauses garantissent généralement le maintien de l’emploi à l’issue du transfert, mais pendant une période relativement courte, quelques années tout au plus.