Julien Féré, docteur en sciences de l'information et de la communication au Celsa Paris Sorbonne et partner marketing et communication chez OnePoint, a sorti, aux côtés de Lorena Sanchez, coordinatrice stratégie d'engagement et conversationnel à la SNCF, Les dessous de l'engagement en entreprise. Cet ouvrage collectif entend dépoussiérer un sujet peu étudié et pas suffisamment valorisé.
Pourquoi avez-vous choisi de vous pencher sur l'engagement en entreprise ?
Julien Féré : La collection «Les Dessous de...» créée en 2019 accueille ce quatrième opus sur la communication et l'engagement interne. Dans la veine des ouvrages précédents qui s'intéressent au marketing et a la communication (marque, tendances etc.), celui-ci réunit un collectif de dircoms, de DRH et de professionnels d'agence pour laisser une trace des pratiques de différentes entreprises, déconstruire des idées reçues et apporter des méthodes. Le choix de l'engagement interne, c'est d'abord une rencontre avec Lorena Sanchez, qui était en charge de ces sujets chez SNCF et avait monté un podcast dédié, «les afterworks». Et puis, la communication interne est souvent perçue comme le parent pauvre de la communication : pas sexy, très technique (intranet) et parfois appréhendée côté RH ou transformation. Pas de la vraie communication en somme... Nous avons décidé de battre en brèche ce stéréotype
Comment avez-vous travaillé sur cet ouvrage ?
J.F. : Lorena Sanchez a coordonné l'ouvrage, écrit une partie des chapitres et interviewé certains acteurs. Parmi les contributeurs, on trouve des dircoms (Janssen, Pôle Emploi, Alstom), des DRH (Onepoint, Club Med) et des «vrais» collaborateurs qui ne font pas partie de ces directions mais participent à ces dynamiques d'engagement : un chef de bord ou une vendeuse SNCF, un ambassadeur Disneyland Paris. Nous avons complété ce panel avec des professionnels d'agence (comme The Arcane sur la parole du dirigeant vs l'interne)
Qu'est-ce qui vous a décidé à explorer ce thème ?
J.F. : Personnellement, j'ai tout de suite vu un intérêt car je suis passionné par les rapports entre communication interne et communication externe et le brouillage que le numérique a apporté dans ces deux «canaux», au départ tres étanches. Les entreprises ont souvent considéré cette perméabilité comme une fatalité contre laquelle il fallait lutter, en empêchant notamment l'interne de s'exprimer en externe. Depuis les mentalités ont évolué et l'ambassadorat est entré dans les mœurs, même si concrètement, ça fait encore un peu peur à certains. Il faut cadrer et en même temps encourager ces initiatives car un contact avec un membre de l'interne a souvent plus de «valeur» (mémorisation, crédibilité) qu'un contact publicitaire classique. Les algorithmes des réseaux sociaux privilégient même les posts des «vrais gens» sur ceux des marques...
«Inclure ses collaborateurs dans la diffusion de la raison d'être»
Quels sont les défis de la communication d'engagement ?
J.F. : Premier défi, le passage de la diffusion à l'engagement : le but n'est pas le nombre de mails ou de newsletters envoyées mais plutôt la réception (est-ce que ça été ouvert, consulté, est-ce qu'il y a eu des interactions) voire quel effet ça a eu sur les publics visés : fierté, sourires aux clients, baisse de l'absentéisme etc.
Second défi : passer de la diffusion à l'inclusion dans les démarches de transformation. Par exemple, Janssen nous montre comment inclure ses collaborateurs dans la construction de la raison d'être. SNCF l'applique dans ses projets de transformation : comment une vendeuse en boutique peut avoir un rôle dans la refonte de la gamme tarifaire par exemple
Avez-vous des contre-exemples ?
J.F. : Chez SNCF, justement, quand la campagne de lancement de la marque est sortie, il y avait un faux raccord et le petit chien de la famille de clients disparaissait sur le dernier plan. Nous avons lancé avec Lorena une grande opération à l'externe, « Où est Bobby ? », pour retrouver le chien qui se baladait entre Marseille, Rennes, Strasbourg etc. L'opération était destinée à l'externe mais les agents sur le terrain ont adoré cette mascotte. On a même dû produire des peluches miniatures que les agents ont prises en photo dans des endroits insolites : la cabine du conducteur, la «tour de contrôle» de la gare du nord etc. Et cela a produit de la communication externe, au final, car les clients ont découvert sur les réseaux des métiers qu'ils ne soupçonnaient pas et qui ont pourtant une grande influence dans la qualité de service. Dans la même entreprise, un des pires items de great place to work est le niveau de rémunération et de reconnaissance de l'entreprise. Paradoxalement les agents ont l'impression de donner beaucoup et de ne pas être assez rémunérés et reconnus. Pour le moment, l'entreprise n'a pas réussi à faire du B-to-C-to-B, c'est-à-dire utiliser le levier externe comme un moyen de créer de la fierté en interne...
Les Dessous de l'engagement, Editions Ellipses.