Nike et Hermès sont les dernières marques en date à avoir dû batailler contre des NFT de leurs produits vendus sans autorisation. Les sommes en jeu sont colossales.
Révoltée par la commercialisation sans permission de NFT de baskets Nike, la marque américaine a porté plainte le 3 février à New York contre la plateforme de commerce en ligne StockX, lui réclamant des dommages et intérêts. Le mois dernier, le groupe de luxe Hermès a lui-aussi engagé des poursuites contre l'artiste Mason Rothschild, qui a vendu aux enchères 100 MetaBirkins, des NFT à l'effigie du célèbre sac de la maison, récoltant des dizaines de milliers de dollars.
A ce stade, il est encore difficile de savoir si les marques peuvent remporter la bataille, en particulier dans le cas d'Hermès, estime l'avocate Annabelle Gauberti du cabinet Crefovi, spécialisée dans la filière des industries créatives. Pour défendre ses MetaBirkins, Mason Rothschild s'appuie en effet sur le premier amendement de la Constitution américaine, qui garantit la liberté d'expression et protège les artistes devant les tribunaux du pays.
L'argument du «fair use», qui accorde des exceptions aux droits d'auteur dans le cas d'une parodie par exemple, obtient souvent gain de cause devant les juridictions américaines ou britanniques, ajoute Annabelle Gauberti. Elle considère toutefois que Mason Rothschild aura du mal à convaincre un juge du mérite artistique de son œuvre. «Le message qu'il porte n'est pas évident à comprendre, au-delà de la volonté de récolter de fortes sommes d'argent. Son équipe juridique va avoir beaucoup de travail», ironise-t-elle.
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Dans une réponse à Hermès publiée sur Twitter, Mason Rothschild compare ses MetaBirkins à la célèbre peinture d'Andy Warhol représentant des conserves de soupe Campbell. «Le fait de vendre de l'art en utilisant des NFT ne change pas le fait qu'il s'agit d'art», a-t-il défendu.
Edward Lee, qui dirige un programme sur la propriété intellectuelle à la faculté de droit de Chicago-Kent, n'est pas tout à fait d'accord avec cette comparaison. Dans un article publié sur Bloomberg Law, il explique que la marque Campbell Soup n'avait jamais fait part de sa volonté de se lancer dans le commerce d'œuvres d'art, alors qu'Hermès pourrait bien décider un jour de créer ses propres NFT.
Le conflit opposant Nike et StockX ressemble pour sa part à un litige commercial plus classique, la plateforme de commerce en ligne n'ayant jamais prétendu que ses NFT étaient des œuvres d'art. Reste à voir comment le droit des marques pourra être transposé dans un univers numérique.
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Le fait qu'aucune œuvre matérielle ne soit échangée au cours des transactions de ces «non fungible tokens» (jetons non fongibles) complique encore les possibilités de régulation. «Beaucoup s'imaginent que le contenu des NFT se trouve à l'intérieur d'un jeton, or ce n'est pas le cas, et pour cette raison il n'y a aucune interdiction de reproduction», souligne Primavera De Filippi, co-autrice du livre Le blockchain et la loi, dans le magazine Business of Fashion.
Hermès a demandé à l'artiste Mason Rothschild de détruire ses MetaBirkins, que la plateforme de NFT OpenSea a accepté de retirer de la vente. «Même si les marques remportent leurs litiges, comment vont-elles poursuivre un consommateur qui a déjà acheté un NFT, ou l'empêcher de le revendre aux enchères ? En termes d'application, le numérique est un far west», nuance toutefois Annabelle Gauberti.
Selon elle, les marques devraient riposter en créant leurs propres NFT officiels. C'est d'ailleurs ce qu'a fait Nike avec l'acquisition de RTFKT en décembre, une société spécialisée dans la conception de baskets virtuelles. «L'attaque est la meilleure défense», relève l'avocate. «Mais pour l'instant, ces marques sont encore frileuses (à l'idée de créer leurs NFT), car leur cœur d'activité reste les produits matériels, et qu'ils observent encore si le métavers va vraiment décoller», conclut-elle.