Les établissements culturels jouent un rôle non négligeable dans le réchauffement climatique en raison des déplacements de leurs visiteurs. Mais ils ont aussi le pouvoir de sensibiliser le grand public. Les musées font leur mue.

La Cité des sciences et de l’industrie, porte de la Villette à Paris, vient d’ouvrir une grande exposition permanente baptisée « Urgence climatique », qui permet de visualiser les ordres de grandeur de l’impact environnemental des activités humaines, par exemple la part de la viande dans l'alimentation, ou de la voiture individuelle dans les transports. L’exposition elle-même a été conçue pour minimiser son empreinte avec une durée de vie longue, d’au moins 10 ans, et des structures en bois réutilisables. « Nous voulons faire d’Universcience le musée de l'urgence climatique, assure Bruno Maquart, le président de l’établissement public, qui regroupe la Cité des sciences et le Palais de la découverte. Ce que l'on explique dans cette exposition, il faut le mettre en pratique en tant qu’acteur. » 

De fait, malgré leur image positive de passeurs de culture, les musées ont un impact carbone important en raison des transports des visiteurs, qui viennent souvent de loin. Le Louvre, le musée d’art le plus fréquenté au monde en 2018, avec plus de 10 millions de visiteurs, affiche un bilan carbone équivalent à 4 millions de tonnes, à comparer aux 9,5 tonnes émises par un Français chaque année (il faudrait atteindre 2 tonnes pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris). Lors d’un forum organisé fin 2022, « Climat, quelle culture pour quel futur ? », Laurent le Bon, président du Centre Pompidou, posait la question : « Vaut-il mieux faire voyager les œuvres pour les rassembler dans de grandes expositions internationales ou les visiteurs pour aller voir chaque œuvre séparément ? » Le rapport « Décarbonons la culture! », publié par The Shift Project en novembre 2021, apportait un élément de réponse : « Le Palais des Beaux Arts de Lille, dans son exposition "Expérience Goya", a montré qu’il est possible de produire une exposition de qualité en recherchant à la fois un propos scientifique et culturel riche, et une empreinte écologique maîtrisée, notamment au travers de la diminution du nombre d’œuvres exposées et la réduction de la distance parcourue par ces dernières. » 

L’étude préconisait aussi l’éco-conception des scénographies et le « renoncement » à certains formats d’exposition exceptionnels. « Le renoncement passe par le changement des pratiques, par exemple exclure les matériaux les plus polluants, comme la moquette et le polyane, ou le recours parfois inconsidéré à des dispositifs de transport ultra-sécurisés (caisses isothermes, voitures suiveuses…) », ajoutait le rapport. Des sociétés spécialisées aident le secteur de la culture à réaliser cette transition, comme le collectif Les Augures, l’agence d’ingénierie culturelle Karbone Prod, ou Art of Change 21, dont le prix Art Éco-Conception a pour objectif d’accompagner les artistes dans la réduction de leur impact environnemental [lire Stratégies n°2159]. 

Des rabais pour les visiteurs à vélo

Coprésident du Club du développement durable des établissements et entreprises publics, Bruno Maquart est moins concerné que d’autres directeurs par ces préoccupations, car sa fréquentation est originaire à 90% de France. Cependant, il constate également que 89% du bilan carbone de ses établissements (95 600 tonnes équivalent CO2) proviennent des déplacements des visiteurs. Pour sensibiliser le public, la Cité des sciences a mis en place avec l’Ademe un calculateur carbone sur la page de réservation des billets et une tarification avantageuse pour les visiteurs qui se déplacent à vélo. Pour valider leur tarif réduit, ils doivent déposer leur casque au vestiaire, une mesure qui va donc aussi dans le sens de la sécurité routière, et qui peut inspirer le secteur de l'événementiel.

« Une partie de nos émissions ne peut pas être réduite, mais c’est celle qui a du sens car les visiteurs repartent avec une meilleure sensibilisation. Nous réfléchissons à des mécanismes de compensation des émissions résiduelles en concertation avec des scientifiques pour qu’elles soient réellement efficaces », précise Bruno Maquart. Pour celui qui est aussi président d’Ecsite, premier réseau européen des centres, musées et organisations de culture scientifique, les solutions ne peuvent se trouver que dans la concertation et la mise en commun des moyens. « Il faut structurer les filières d’approvisionnement, standardiser et massifier les achats par zones de chalandise régionales, par exemple en commandant des poteaux de bois qui pourront être réutilisés dans la construction. Ce sont des questions que l’on ne se posait pas avant car les normes étaient faites pour des produits neufs », souligne-t-il.

Autre levier d’action : la délocalisation des musées hors les murs, à travers des ateliers dans les écoles par exemple, ou la création de centres de ressources en ligne (à condition de réduire aussi sa pollution numérique). Enfin, les musées doivent améliorer l’isolation thermique de leurs bâtiments, qui ont souvent été conçus avant les considérations climatiques. Le Centre Pompidou s’apprête ainsi à fermer ses portes pendant cinq ans pour des travaux de rénovation qui lui permettront de réduire sa consommation d’énergie de 60%, selon sa directrice générale, Julie Narbey. Toute la difficulté est de continuer à accueillir du public tout en diminuant l’impact de sa présence.