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À la faveur des enjeux de transformation auxquels les entreprises sont confrontées, la communication corporate revient au cœur des attentions. Avec un défi majeur : émerger quand tout le monde tient le même discours. Un article également disponible en version audio.

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« Le métier de la communication corporate a connu en cinq ans plus de bouleversements que ces 30 dernières années. » Le constat vient d’une professionnelle aguerrie, Marion Darrieutort. Après avoir créé l’agence Elan, reprise par le groupe Edelman, elle a lancé une nouvelle enseigne, The Arcane. Nous sommes face, selon elle, à « une accélération des transformations ». La transformation a d’abord été digitale, elle devient énergétique, culturelle et sociétale. Le business model lui-même est touché par ces « polycrises », qui appellent des « polytransformations ».

Embauché par l’Élysée pour gérer la communication du président, Clément Léonarduzzi est revenu à la tête de Publicis Consultants, une agence de 160 personnes pour 31 millions d'euros de chiffre d’affaires. « Je suis parti au début de la pandémie et deux ans après, la Chine s’est fermée et une guerre n’en finit pas sur le continent européen. L’accélération des crises a considérablement modifié le contexte politique, économique, diplomatique ou sanitaire », constate-t-il, mettant en avant le côté « protéiforme » des attentes qui pèsent sur les entreprises.

Juliette Mutel, directrice générale de l’agence Babel, fait remonter « le début de la prise de conscience que la communication produit ne suffisait plus à garantir la réussite des entreprises » à une dizaine d’années. La crise sanitaire a agi comme un révélateur. La question de la responsabilité des entreprises dans les transformations qui touchent l’environnement, les modes de vie ou les mobilités, est désormais au cœur du jeu. Directeur général adjoint de l’agence BCW (groupe WPP), chargé du département corporate, Laurent Reynes estime que « l’entreprise ne peut plus se cacher » devant la pression exercée par ses parties prenantes. ONG, citoyens, consommateurs mais aussi collaborateurs poussent pour qu’elle prenne position dans le grand chambardement que nous vivons. Conséquence, selon lui, « le storytelling de l’entreprise l’emporte désormais sur celui du produit ». « Avant, on disait que le produit était roi. Aujourd’hui, le discours de l’entreprise donne le la », avance-t-il.

Corpsumer

Il voit à l’œuvre cette inversion des valeurs dans la démarche engagée par l’un de ses clients, Mondelez, en faveur des biscuits Lu. La marque a mis en place un programme de fourniture en « blés durables ». On trouve au dos du packaging le discours de l’entreprise, ici sur une problématique de production, là sur le recyclage ou la protection de la biodiversité. À tel point, note Laurent Reynes, que « le produit n’est que la preuve du changement de modèle de l’entreprise ». Chez BCW, on parle désormais de « corpsumer », fusion du corporate et du consumer, qui abolit les frontières et fait tomber, dans les agences, la communication par silos en faisant « dialoguer logique d’entreprise et logique de marché ».

Revenue chez Havas Paris comme coprésidente exécutive après un intermède à la communication de Matignon, Mayada Boulos résume d’une formule la situation : « Dans la communication, le B to C est le new corporate ». Dans un monde où la notion d’utilité « a changé de sens », passant « de l’utilité pour soi à l’utilité pour les autres », et où « même manger devient un acte militant », « les entreprises, quand elles s’adressent au grand public, parlent aux consommateurs mais aussi aux citoyens et aux talents » qu’elles doivent recruter, dit-elle. « La communication corporate englobe toutes les autres et s’adresse directement à tous », estime ainsi Mayada Boulos.

« Il y a une fusion entre les problématiques grand public et institutionnelles, on achète une paire de baskets aussi bien pour le produit que pour la façon dont elle est conçue », complète Pierre-Hubert Meilhac, vice-président d’Ogilvy, responsable de l’expertise RP et influence. « On travaille de plus en plus dans un écosystème d’influence global qui inclut les marques », confirme Valérie Lecasble, la présidente de H+K Strategies (WPP).

Ce rôle central joué désormais par la communication d’entreprise est encore renforcé par les attentes des consommateurs. Dans une récente étude sur le comportement des marques dans la cité, Havas Paris note que les entreprises apparaissent parfois comme plus efficaces que l’État pour répondre à certains enjeux sociaux. C’est l’opinion de 64 % des personnes interrogées sur le thème des droits LGBT, en progression de 22 points par rapport à l’étude précédente datant de 2018, et de 44 % (+12 points) pour le sujet de l’égalité hommes-femmes.

Lire aussi : Les agences surfent sur la vague de la communication corporate

Cette pression sur les entreprises vient aussi, et de manière de plus en plus critique, de l’interne. Vincent Stilinovic, le cofondateur de l’agence Reactive, évoque la vague du « conscious quitting », cette tendance à vouloir quitter son employeur du fait de la faiblesse de ses engagements, qu’il voit débarquer en France. Les entreprises doivent aujourd’hui se battre pour recruter, et les missions dites de « marque-employeur » se multiplient. E. Leclerc a ainsi organisé le 25 mars une « grande rencontre », une journée portes ouvertes dans ses 470 magasins invitant les candidats, avec ou sans CV et sans rendez-vous, à venir postuler à l’un des 7 000 postes à pourvoir. L’annonce a été faite via des spots TV de l’agence BETC, dans lesquels l’accent est mis sur la lutte contre le gaspillage alimentaire ou l’isolement des personnes âgées, des thèmes jugés attractifs pour les postulants et qui valorisent l’image de l’enseigne.

Pour les agences, plus besoin de prendre leur bâton de pèlerin pour aller convaincre les entreprises d’embrasser ces sujets de transformation. « Les marques se savent attendues, elles intègrent cette dimension et communiquent en conséquence », affirme Mayada Boulos chez Havas Paris. Revenue en agence comme présidente de TBWA Corporate, après un parcours chez l’annonceur, Coralie Savin a observé la façon dont les différentes prises de parole de l’entreprise étaient en train de « s’imbriquer », avec la nécessité de traiter les sujets d’engagement « de façon simultanée vis-à-vis de tous les publics ».

« On avait toujours pensé le modèle de l’intégration, on en avait tous envie depuis quinze ans, mais dans sa mise en œuvre, il y avait encore des grammaires différentes, note-t-elle. On ne parlait pas le même langage entre social media et relations presse, sans même évoquer la marque employeur ou la communication interne. Aujourd’hui, ce modèle d’intégration se concrétise. » Dans un contexte où les entreprises font face à une « contestation globale, avec une multiplication des acteurs qui cherchent à les déstabiliser », selon Xavier Desmaison, président du groupe Antidox, il faut désormais mener de front la promotion des valeurs et la défense de la réputation de l’entreprise.

Reste à savoir comment émerger quand toutes les entreprises se positionnent sur ces grandes transformations et tiennent le même discours. « Dans le brouhaha médiatique actuel, qu’est-ce qu’on va dire de suffisamment fort et incarné pour être repris. C’est la question clé depuis les réseaux sociaux », reconnaît Valérie Lecasble chez H+K Strategies.

Une communication radicale

Chez Babel, Juliette Mutel estime que le risque pour les entreprises, « c’est, au mieux, qu’elles n’émergent pas et, au pire, qu’elles déçoivent et suscitent du rejet ». Elle plaide pour une communication « radicale », « une communication d’envie ». « Il faut donner envie d’adhérer, de rester dans l’entreprise, de la rejoindre, d’y investir… », plaide-t-elle, en actionnant trois leviers : la cohérence entre les causes que l’on défend et ce que l’on vend, la déclinaison en profondeur dans l’entreprise de ses engagements et, sur le plan formel, une communication « qui fait des choix ». À l’en croire, les clients sont demandeurs, tel le groupe Lactalis. Celui-ci a confié à Babel un accompagnement sur sa communication corporate et l’agence affiche sa volonté, dans ce travail, d’aller « au-delà des traditionnels éléments de langage stéréotypés » en apportant une réponse « clivante ».

En novembre 2022, pour le site de rencontres Tinder, Ogilvy a associé la marque à une vente aux enchères en faveur de la lutte contre le VIH, organisée par le Sidragtion, une association de drag-queens. Pour Pierre-Hubert Meilhac, le vice-président d’Ogilvy, ce type d’actions représente peut-être « ce vers quoi il faudra tendre », en passant d’une communication « dans l’incantation et le washing » à des actions jugées à l’aune de l’impact que l’on cherche à avoir sur la société. « Une campagne de communication n’est pas une fin en soi, mais un moment dans l’ambition que l’on a », argue-t-il.

Clivante, la campagne de Dentsu Creative pour la marque de tronçonneuses Stihl l’est aussi, en allant chercher les témoignages d’un bûcheron ou d’un élagueur pour communiquer auprès de sa cible. L’innovation tient ici au choix du format, le documentaire. « Il casse les codes corporate qui, d’habitude, flattent l’ego des consommateurs », et donne à cette marque technique un côté « lifestyle », estime Samuel Pain, planneur stratégique chez Dentsu Creative. Quant à la Gendarmerie nationale, elle recrute avec une campagne de TBWA Corporate disruptive à souhait, qui part des préjugés sur les jeunes pour valoriser les métiers de l’annonceur.

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